Emploi : Un Plan Marshal pour résoudre le chômage en Tunisie?

jamal-belahrach-1.jpg Le marché de l’emploi souffre d’une inadéquation entre l’offre et la demande; il souffre également du manque de compétences et de débouchés. Les jeunes souffrent de leur inactivité surtout lorsqu’ils ont des diplômes sensés leur assurer un emploi. Quel est le rôle des opérateurs privés, des agences de recrutement et d’intérim dans la lutte contre le chômage?

C’est à cette question et à d’autres que nous répond Jamal Belahrach, Manager général des filiales extérieures de Manpower France.

Webmanagercenter : Où est-ce qu’on a failli, d’après vous, pour que les jeunes se réfugient dans des solutions désespérées à cause d’un chômage de longue durée?

Jamal Belahrach : D’abord, il faut dire que le chômage des jeunes touche tous les pays du monde et particulièrement notre région, le Maghreb. Maintenant pour répondre à votre question, je dirais, en ce qui me concerne, c’est le fait que nous ne donnions pas de signaux forts aux jeunes qui les met en situation de désespoir. Il leur faut de la visibilité et surtout qu’ils sentent une véritable mobilisation et dynamique pour les aider par du concret au-delà des grands discours à propos de leurs préoccupations de fond.

Le monde a changé, nos jeunes ont d’autres repères, et les institutions, les politiques, les opérateurs économiques doivent suivre cette évolution.

Quel rôle peuvent jouer des entreprises privées de recrutement dans la lutte contre le chômage lorsque l’on sait que les Etats maghrébins, pour ne parler que de notre région, n’arrivent pas à venir à bout de ce problème?

Notre rôle est d’accompagner les demandeurs d’emplois, gratuitement, à trouver l’emploi qui correspond à leurs compétences en tenant compte des besoins des opérateurs économiques. Nous sommes des experts sur le sujet, et à Manpower, à titre d’exemple, nous avons plus de 60 ans d’expérience à travers le monde. Nous savons ce qui marche et ce qui ne marche pas. Ce savoir-faire, nous le mettons au service des jeunes Tunisiens depuis 10 ans maintenant. Aujourd’hui, nous avons démarré des collaborations avec l’ANETI (Agence nationale de l’emploi et de travail indépendant) et certains services de l’Etat pour des emplois à l’étranger. Mais, nous pouvons aller plus loin. Nous avons des idées originales et nous sommes prêts à les suggérer aux institutions nationales.

Quels sont les instruments à mettre en place entre entreprises et cabinets de conseils en solutions RH et opérateurs publics et privés pour arriver à trouver des solutions plausibles à même d’enrayer ce fléau qui sévit au Maghreb?

Je pense, d’abord, qu’il faut réunir ce monde là et bâtir un vrai “Plan Marshal emploi“. J’en ai parlé auparavant. Ce n’est pas qu’une affaire d’outils, c’est aussi une question de mobilisation nationale avec des objectifs et des moyens à mettre en face. L’Etat, le patronat, les partenaires sociaux doivent se sentir complètement engagés sur ce sujet. L’allocution du président de la République a été claire. Il faut le mettre en musique pour qu’il ait du sens et que l’exécution du plan soit rapide. L’évolution rapide de la vie économique et sociale exige de nous de dompter le temps et de ne pas nous laisser aller. Nos jeunes attendent des actes, pas des mots.

Vous êtes un expert en emploi, pourquoi le chômage est-il devenu un problème structurel dans notre pays, selon vous?

D’abord, il y a eu une crise majeure dont nous payons encore les conséquences. D’autre part, il faut accepter l’idée qu’il y a un vrai problème se rapportant à l’inadéquation entre l’offre de compétences sur le marché et la demande des entreprises. J’insiste sur le fait que la typologie de nos économies est en pleine transformation, et de ce fait, nécessite des compétences nouvelles. L’humilité nous commandera de réfléchir à cette question pour prendre des décisions pour le futur.

J’ajouterais que la culture du diplôme ne doit pas prendre le pas sur le développent des compétences basé sur un savoir, certes, mais d’avantages sur un savoir-être qui permettra à nos jeunes une adaptation et une bonne intégration dans nos entreprises. C’est la fin d’une époque. Ensemble, nous devons préparer le futur.

Le marché du travail a-t-il évolué rapidement par rapport aux formations universitaires? Et dans ce cas, comment pouvez-vous intervenir en tant que formateur ou consultant à ce niveau?

Nous connaissons le besoin de nos clients et surtout nous suivons les évolutions à travers le monde. De ce fait, nous sommes un observatoire pour contribuer à l’évolution des programmes, voire être acteur dans l’enseignement à travers des interventions de nos équipes dans les écoles et universités. Là aussi, nous pouvons faire des suggestions.

La Tunisie est pour l’impulsion de l’initiative privée et du travail indépendant et la promotion des services des bureaux de l’emploi et le développement des programmes s’y rapportant. Comment cela devrait-il se traduire sur le terrain selon vous ?

Le tout est de mettre de la cohérence dans cet ensemble d’initiatives et de veiller à la capacité des uns et des autres à être éligible dans tel ou tel programme. En effet, les dégâts peuvent être lourds si l’accompagnement n’est pas à la hauteur des attentes.

Quel bénéfice pourrait-on trouver dans un partenariat plus solide entre public et privé dans la promotion de l’emploi lorsque beaucoup prétendent que les structures privées doivent travailler beaucoup plus sur leur image et leur crédibilité pour gagner la confiance aussi bien de leurs vis-à-vis publics que des demandeurs d’emplois?

Votre question est intéressante. II faut faire un nettoyage, vous avez raison. Mais il ne faut pas mettre tout le monde dans le même sac. Nous nous battons pour structurer le secteur privé de l’emploi depuis plus de 8 ans. Je dois reconnaître que nous ne sommes pas aidés. Il appartient à l’Etat et aux acteurs privés de créer des référentiels pour redonner confiance aux candidats à l’emploi et aux partenaires sociaux qui ont raison d’être vigilants sur ces questions.

Je crois que le moment est venu de faire ce travail ensemble avec l’Etat. Nous sommes disposés à le faire.

Pour qu’il y ait emploi, il faut qu’il y ait investissements, or nous nous trouvons devant une situation de manque d’investissements à l’échelle locale. Devant cette situation, comment doit-on réagir selon vous?

Promouvoir l’investissement local et international. Je constate que le chef de l’Etat a lancé de nombreuses initiatives sur le sujet. De plus, il faut créer des incitations originales pour aider les entreprises à recruter.

Donnez-nous les exemples de pays où les agences privées de recrutement et d’intérim ont pu aider à lutter contre le chômage.

La France où un partenariat important avec Pôle emploi a été signé pour placer des demandeurs d’emploi, et cela marche plutôt bien.

Je crois très sincèrement qu’il faut un “Plan Marshal sur l’emploi“ avec une gouvernance dédiée à ce plan pour le gérer comme un projet privé et rendre les gens comptables des résultats. C’est le vrai signe qui redonnera de la visibilité et du sens à l’ensemble des jeunes.