Tunisie : Concepts de l’écologie et préceptes de l’Islam

La mobilisation en faveur du développement durable nécessite une certaine
sensibilité laquelle requiert un ancrage culturel. Naturellement, l’engagement
citoyen joue son rôle mais ne suffit pas à lui tout seul. D’où cette
transgression à l’initiative des responsables de la Coopération allemande GTZ de
prospecter d’autres pistes et notamment de rechercher des corrélations entre
concepts de Développement durable et préceptes coraniques. Et c’était le thème
d’une soirée coranique, le jeudi 17 septembre 2009, organisée par la GTZ qui
signe sa rentrée sous le signe du cogito et de la métaphysique écologique.

L’idée est méritoire et audacieuse, de même que le soutenait Philippe Lotz,
responsable de la composante ‘’Innovation’’ à GTZ, en présentant la
problématique du sujet. Kamel Ben Ameur, DG d’Optimax, bureau privé de Conseil,
et Fatma M’selmi, expert à GTZ, ont réalisé un travail louable d’interfaçage
entre la matrice des valeurs musulmanes et les pré-requis du développement
durable. Certes le travail est fouillé, méthodique et assez complet. Nous
pensons que son approfondissement serait encore enrichissant et apporterait des
trouvailles intéressantes.

Les repères du développement durable

C’est à Rio en juin 1992, en pleine pandémie «reaganienne» et «thatchérienne»
stigmatisant l’intervention de l’Etat et généralisant le «laisser faire»
générateur du laisser aller, et notamment en matière de respect de
l’environnement, que l’ONU a organisé son neuvième sommet mondial appelé «Sommet
de la Terre». C’est là où la communauté internationale s’est majoritairement
prononcée en faveur d’une mobilisation générale et qu’elle a posé les termes du
développement durable.

Point d’histoire : dans les années 70, le Club de Rome avait tenté une percée
sous le signe de «la croissance zéro». Mais peut-être qu’à l’époque les esprits
n’étaient pas prêts. Et, vingt ans plus tard, les carottes étaient cuites et
l’ONU a joué de tout son prestige pour amener les pouvoirs politiques dans une
attitude de réaction. C’est ce qui a facilité les accords de Kyoto sur la
limitation des émissions de CO2. Depuis 2007, le Grenelle de l’environnement et
son pendant le GIEC (Groupement Intergouvernemental des Experts du Climat)
s’activent. Et tout récemment, à la faveur de la tenue de l’Assemblée Générale
de l’ONU, on attend que ça bouge davantage.

Dans cette effervescence existe-t-il une voie d’interfaçage entre développement
durable et foi musulmane ? Y a-t-il un manifeste musulman de l’économie
écologique ? Quels points d’ancrage entre la foi musulmane, ses commandements et
la sensibilité du développement durable ?

Les deux conférenciers ont préféré coller à une démarche pratique. Ils sont
partis des quatre dimensions de développement durable, à savoir : humaine,
économique, de gouvernance et écologique, et ont puisé dans le texte coranique,
versets et sourates, des extraits en correspondance directe. Le résultat est
édifiant.

«Usus, fructus ma non abusus»

Les conférenciers ont commencé par planter le décor. A la base, il y a cet appel
pour le savoir. Cette consigne fait que l’homme soit tenu d’un comportement
rationnel. Ceci posé, il est par conséquent jugé sur le bilan global de ses
actions. Ce bilan est de nature dichotomique, c’est-à-dire scindé entre non pas
le bien et le mal, mais le licite et l’illicite. L’intérêt ici est de savoir que
ce qui est licite profite à l’individu et à la collectivité. Il n’y a donc pas
de conflit entre l’intérêt individuel et l’intérêt général. Et, ce qui est
illicite peut profiter à son initiateur mais sera, quand même, nuisible à la
collectivité. Et il tombe sous le coup du châtiment divin.

Une fois ces principes posés, les conférenciers ont parlé de la notion de
propriété des ressources. Il est dit que les individus peuvent puiser dans les
ressources naturelles de quoi satisfaire leurs besoins. Ce qui exclut la
possibilité de leur exploitation abusive : «C’est à Allah seul qu’appartient
tout ce qui est dans les cieux et sur la terre et il en est l’unique héritier».
Etant exclusivement usufruitier des richesses de la terre, l’homme ne peut se
comporter comme s’il en était le maître imprescriptible, se les accaparer et les
dilapider égoïstement.

Le coulissage serein des générations

De ce point de vue, la liaison est faite avec développement durable. La foi
musulmane recommande que chaque génération, en arrivant sur terre, doive se
servir comme dans un self service selon ses besoins et s’emploie à restituer la
planète en l’état. Il y a ainsi une correspondance avec les exigences d’un monde
viable, vivable et équitable. De la sorte, le glissement des générations devrait
se faire sans angoisse de rupture de stock ou menace réelle sur la qualité de la
vie. De ce point de vue, on aurait dû réfléchir par deux fois avant de siffler
tout le pétrole sur deux siècles et empoisonner l’atmosphère avec du gaz
carbonique. Sous cet angle, nos quelques générations avides, gloutonnes et
égoïstes, ont eu un comportement hideux, détestable et par-dessus tout tombent
sous le coup de la justice divine.

La liberté est à la base de tout l’édifice social

Rentrant dans le vif du sujet, les conférenciers ont adossé les quatre aspects
du développement à la matrice des commandements coraniques en y ajoutant les
hadiths du Prophète, «Paix et Salut sur lui» ainsi que des enseignements des
califes «bien guidés». La confrontation, ici, est totale. L’on s’appuie sur le
corpus des commandements divins et la praxis, tels que la recèle la «Sira», les
agissements du prophète, et de ses quatre successeurs directs.

Les conférenciers ont donc puisé dans la sphère la plus large, celle de la
métahistoire musulmane. Et toujours avec cette même règle binaire du licite et
de l’illicite. A la base de l’édifice se trouve le principe de liberté. Tout au
départ, il est reconnu le droit de la liberté d’expression, celui de la liberté
d’opinion, et également d’association ainsi que, tenez-vous bien, d’audit. Et
c’est pareil pour le droit à l’éligibilité et le droit de vote. Ce préalable
rend la dimension économique transparente. Parmi ses points forts est qu’il
favorise l’initiative, l’investissement et le progrès social.

L’islam et les quatre dimensions du développement durable

La dimension économique s’accomplit selon les commandements licites de sérieux,
de sincérité, de respects des engagements de loyauté et de respect de la parole
donnée. Ils excluent la tricherie, le vol, l’exploitation illicite, l’usure et
la corruption. A ce niveau donc, la compatibilité est assurée. Voyons au niveau
de la dimension humaine. Elle intime à l’individu des comportements précis
envers soi, mais aussi envers Dieu, autrui et enfin la nature, c’est-à-dire
l’environnement.

Il y a des prescriptions parlantes de raison. Il est ainsi recommandé de «payer
son salaire au travailleur avant que sèche la sueur de son front». En matière de
bienséance, il est intimé à deux personnes qui veulent se parler en aparté de
recueillir au préalable le consentement du reste du groupe. En résumé, le
comportement de l’individu en société est de nature à favoriser un cadre régenté
par la réglementation, aux antipodes d’un ensemble ou règne la loi de la jungle.
Et les vertus requises sont la patience, l’endurance, le self control, la
générosité et la droiture.

A l’opposé sont prescrits le mensonge, l’injustice, l’orgueil, l’ingratitude,
l’espionite, le fait de rappeler à quelqu’un qu’on lui a donné quelque chose.

Au plan de la gouvernance, les corrélations sont nombreuses. Le principe général
est que «chacun est berger et qu’il est responsable de l’objet de sa garde». Il
y a donc le supposé de bien guidance. Quels sont, sur ce plan les consignes ? Il
y a tout l’attirail du comportement du gouvernant qui doit s’obliger à «dominer
ses envies» et éviter l’ascendant de son ego ainsi que l’empire de la félonie
«le gouverneur ne doit pas ressembler à un fauve mais donner l’image de la
clémence et de la mesure». Ceci est de nature à avoir un ordre social qui permet
un partage équitable des richesses et l’égalité des chances.

Un contrat social et un code civil

Les conférenciers ont réuni un amoncellement d’éléments desquels on peut sortir
une charte de valeurs comportementales, de même qu’un contrat social et un code
civil. Cela suppose qu’on peut aujourd’hui, en pleine modernité, formaliser un
ordre social musulman en intelligence avec les données du développement durable.
Il reste que l’ensemble des consignes avancées s’adressent à l’individu. Il
reste donc à les assortir en un code collectif. On disposera ainsi d’une sorte
de constitution pour un modèle de développement d’essence musulmane qui
répondrait à nos attentes dès lors qu’on sait que les préceptes coraniques ne
heurtent pas les fondamentaux du développement durable.