Leila Mabrouk Khaïat : La force tranquille

Du raffinement, de la classe, une élégance naturelle conjuguée à la modestie
et une douceur toute féminine qui jure avec tous ces stéréotypes assimilant les
femmes d’affaires à des femmes de fer. Pour Leila Mabrouk Khaïat, tour à tour,
PDG, sénatrice, active dans le travail associatif au national et à
l’international, «c’est une aberration de considérer qu’une femme chef
d’entreprise perd de sa féminité, elle travaille beaucoup plus que les autres
car une entreprise exige de la disponibilité, de la discipline et de la
rigueur». Leila Khaïat, la déterminée, cette femme de réseau, vice-présidente de
l’Union tunisienne de l’Industrie, du Commerce et de l’Artisanat «UTICA»,
présidente Honoraire Mondiale FCEM, membre du Conseil d’administration des
Chambres tuniso-française et tuniso-italienne de commerce et d’industrie, croit
ferme aux droits des femmes à accéder aux postes à responsabilité et en leur
capacité à s’imposer dans des milieux socioprofessionnels, mais que ce soit fait
sans heurts, sans brutalité…délicatement…

leila-khaiat1.jpgTelle
Pénélope tissant sa toile, Leila Khaïat ne s’arrête jamais ; pour elle,
l’édification d’un ouvrage exige un travail de longue haleine qui se fait
dans le temps avec de la patience et de la persévérance. Intégrer la femme
dans la dynamique politique et économique, réaliser la parité relève de la
responsabilité de tous et de chacun : «Il faut reconnaître que nous évoluons
dans un sens hautement positif. Etre une femme chef d’entreprise devient de
plus en plus banal et je pense que nous arriverons à un moment où nous
n’aurons plus besoin d’une structure féminine au sein de la centrale
patronale. Nous aurions réalisé nos objectifs de parité sans luttes
insensées ou combats inconvenants. Nos réalisations consacreront la maturité
d’une nation, l’ouverture de la société et de la classe économique en
Tunisie et la reconnaissance de la femme en tant qu’élément déterminant pour
l’expansion du pays».

Et pourtant, rien ne prédestinait Leila Kaïat à une carrière de
businesswoman, si ce n’est un des ces tours que le destin nous réserve quand
on s’y attend le moins : «Passer des lettres aux chiffres n’est pas chose
facile, j’ai dû le faire lorsque j’ai pris en charge l’entreprise
familiale».

Sénèque disait “Ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que nous
n’osons pas, c’est parce que nous n’osons pas qu’elles sont difficiles”.
Leila Kaïat a osé, elle n’a pas cédé les reines des affaires familiales,
elle s’en est chargée et s’en est bien sortie. Aujourd’hui, elle est
président-directeur de Plastiss, un groupe de sociétés industrielles dans le
secteur du textile et a sous sa direction près de 125 personnes qu’elle gère
avec des gants de velours…

«Je n’approuve pas la discrimination positive»

La femme remplit-elle sa place au sein de la centrale patronale ou y
fait-elle du surplace ? «Ca serait injuste de penser que les femmes se
trouvent au sein du patronat pour la forme, il y a une volonté sincère et
effective de les associer au plus haut niveau de l’UTICA, c’est-à-dire au
bureau exécutif et dans les Fédérations et les Unions régionales. Nous avons
des responsabilités que nous assumons, la reconnaissance est là, il y a un
partenariat réel entre les femmes chefs d’entreprise au pouvoir décisionnel
et leurs collègues hommes». Fidèle à elle-même, Mme la sénatrice, modeste,
tient à préciser qu’elle ne parle pas uniquement d’elle mais de toutes ses
consœurs qui bénéficient de cette confiance méritée à l’UTICA, celles qui
président des fédérations comme celle des transports, de l’Union régionale
de l’Ariana ou encore des femmes membres du bureau exécutif.

Et la parité ? Les femmes chefs d’entreprise sont-elles aussi bien
représentées que leurs confrères hommes ? Diplomate, Leila Kaïat estime que
les femmes sont «dans une excellente trajectoire, la démarche est saine,
constructive et encourageante. A chaque fois qu’une compétence se révèle,
elle s’impose d’elle-même et a autant de chances d’accéder aux postes de
responsabilité que n’importe qui. Nous ne sommes pas pour la discrimination
positive. Je ne suis pas d’accord sur ce genre d’approche. Je suis pour
celles qui accèdent aux plus hauts postes parce qu’elles le méritent».

«Nous pesons quelques centaines de millions de dinars»

Parler des success-stories féminines, why not ? “C’est bien de parler de des
femmes qui réussissent et souligner leurs succès. Ca peut avoir un effet
entraînant, un effet de locomotive. Nous lisons très souvent dans les
journaux des récits sur des success-stories des hommes. En parler sert de
stimulus, ne serait-ce que pour les jeunes». Et il est vrai que dans les
médias, les femmes chefs d’entreprise ne sont pas très présentes. Pourtant,
«c’est un tissu entrepreneurial qui se développe à très grande vitesse. Les
microcrédits profitent dans un pourcentage important aux femmes, autour de
52 à 55% en faveur des jeunes promotrices et pas uniquement dans le secteur
artisanal, dans les petites industries également et les services».

Au tout début de la création de la Chambre nationale des femmes chefs
d’entreprise, les adhérentes étaient moins de 200, aujourd’hui on les compte
par milliers, 10.000 tous secteurs confondus. Elle est loin l’époque où les
femmes reprenaient les affaires familiales. Aujourd’hui, la plupart des
femmes chefs d’entreprise ont été les instigatrices de leurs propres
entreprises, elles ont fait des études pour monter leurs sociétés et ont
amplement mérité leur statut de femmes entrepreneurs.

Pourquoi une chambre de femmes chefs d’entreprise dans une structure
patronale ?

«Je pense que c’est très important. Le meilleur exemple est celui de
l’Organisation mondiale des femmes chefs d’entreprise, dont j’ai été la
présidente pendant 8 ans. Cette organisation regroupe autant de femmes en
provenance des Etats-Unis, d’Europe, des pays du Nord que des pays
émergents. Il y a un réel besoin de la femme chef d’entreprise de
s’affirmer, de se frayer une place dans un monde qui a été pendant longtemps
un fief masculin. En Tunisie, nous échangeons des idées et des expériences.
Cette structure de femmes chefs d’entreprises au sein de l’UTICA, qui en a
encouragé la création, nous a permis de mesurer le poids des femmes dans le
tissu économique en Tunisie, mine de rien, nous pesons quelques centaines de
millions de dinars… ».

Toujours est-il que le parcours d’une femme dans le milieu des affaires
reste semé d’embûches, rien que parce que les mentalités ne changent pas
d’un jour à l’autre. En France où est née la FCEM, la femme chef
d’entreprise trouve des difficultés rien qu’au niveau de l’accès au crédit,
difficultés largement partagées par d’autres femmes de par le monde et à
plus forte raisons dans les pays arabo-musulmans. «Parce que si vous essayez
de contracter un crédit, la banque exige une garantie réelle qui ne vous
appartient pas en réalité, elle est ou bien celle du mari, du père ou du
frère. Pour l’accès aux marchés, le démarchage nécessite certains
déplacements ou disponibilités auxquels les femmes ne sont pas
familiarisées, qu’elles soient du Nord ou du Sud. C’est grâce aux réseaux
féminins que les choses sont en train de s’améliorer»…

Quant à l’image des femmes chefs d’entreprise, elle n’est pas des plus
brillantes. L’entourage n’est pas très encourageant : «Je me rappelle d’un
film que je viens de voir sur les femmes entrepreneurs en France. L’image de
la femme n’y est pas très positive. Elle est montrée comme une personne
arrogante, dure, dénuée de féminité, c’était caricatural. C’est plus facile
pour une femme d’être magistrat, médecin, institutrice, professeur. Ca me
rappelle un des ouvrages de Montesquieu qui interrogeait dans l’une de ses
correspondances un ami : «Comment peut-on être persan ?». En ce qui nous
concerne, nous sommes des chefs d’entreprise mais avant tout des femmes».

Lire aussi :

– Femmes
et entrepreneuriat : ce que femme veut, …

– Parcours de femmes, parcours d’exceptions

– Paroles de femmes entrepreneures

– Faiza Kéfi : «Les femmes, une force dynamique pour le progrès que personne ne pourra arrêter»

– Ines Teminmi : «Il est important d’abattre les barrières et de relever les défis»

– Tunisiennes et politique : la parité n’est pas pour demain

– Aida Bellagaha Gmach : «Le Rocher bleu est un défi. Mon combat est de préserver notre patrimoine»

– Raoudha Ben Saber : L’adversité rend plus fort