Les jeunes promoteurs face à la crise : pour certains une opportunité, pour d’autres une menace

cjd_2802091.jpgLes mesures prises récemment par l’Etat tunisien pour soutenir
les entreprises exportatrices sont-elles suffisantes pour juguler les effets
d’une crise qui ne cesse de faire des vagues, entraînant dans son sillage, à la
perte, certaines d’entre elles ? Cette mondialisation, ou globalisation, selon
que l’on soit francophone ou anglophone, phénomène incontournable des relations
internationales et qui a imposé le libre-échange en doctrine et fait disparaître
les frontières économiques n’a-t-elle eu sur nous que des effets positifs ? La
crise serait-elle là pour nous rappeler que mondialisation ne rime pas toujours
avec développement économique, conquête de marchés, performances inattendues?
Pour nous rappeler que le revers de la médaille de la mondialisation est
également la globalisation des crises.

«La
PME tunisienne a été préparée à faire face aux défis de la mondialisation,
est-elle aujourd’hui préparée à faire face à ses effets pervers ?». C’est la
question posée par Monia Jeguirim Essaidi, présidente du CJD lors du
petit-déjeuner débat organisé par le Centre des Jeunes Dirigeants à propos
des conséquences de la crise sur les petites et moyennes entreprises samedi
28 février 2008.

Les mesures prises par le gouvernement et qui s’adressent en premier
lieu aux entreprises totalement exportatrices sont-elles suffisantes pour
soutenir le tissu entrepreneurial fragilisé par une crise qui le dépasse ?
D’autres mesures seront-elles nécessaires pour renforcer encore plus le
dispositif mis en place?

L’Etat essaie d’agir de manière efficiente, il reste ouvert à toute
proposition tendant à préserver les PME, assure Mohamed Agrebi, directeur
général au ministère de l’Industrie, de l’Energie et des PME. «Le dispositif
prévu par l’Etat peut être révisé s’il arrive de nouvelles donnes que nous
ne soupçonnons pas mais également selon l’efficacité et la pertinence des
mesures prises par le gouvernement pour faire face à la crise et leurs
résultats sur le terrain, nous restons souples», assure-t-il.

«Le chômage technique n’est pas une solution, c’est un problème de plus»

Les mesures prises pour contenir les effets de la crise, soutenir les
entreprises dont les activités ont régressé en leur accordant quelques
avantages à caractères social et financier, réconforter leur compétitivité
et dynamiser l’activité économique, ont touché le secteur de l’export en
premier lieu. Les entreprises opérant dans ce secteur ayant été lésées à
cause du rallongement des délais de paiement par les donneurs d’ordre
internationaux, le non-recouvrement des créances suite au dépôt de bilan des
clients et/ou le ralentissement de la production et des exportations. Nous
parlons dans ce cas de figure principalement des secteurs des composantes
automobiles et des textiles.

A-t-on atteint nos objectifs ?

Ce n’est pas si sûr réplique la présidente du CJD. Pour encourager les
exports, il faut plus qu’un taux de remboursement de 50% du Famex, penser
peut être l’élever à 80% serait plus pertinent. «Nous avons misé sur le
marché européen, nous avons énormément travaillé sur ce marché, aujourd’hui
que ce marché se ferme, il existe des marchés africains potentiels mais qui
ne nous offrent pas beaucoup de garanties, ce qui fait peur aux
entrepreneurs, augmenter le taux de remboursement du Famex pourrait inciter
les promoteurs à s’aventurer en Afrique». Mais il n’y a pas que cela, pour
être compétitif, il faut réduire les coûts : «Je pense aux coûts de
l’énergie qui restent trop chers, pourquoi ne pas penser aujourd’hui à
baisser la facture de l’énergie pour limiter les dépenses y afférent ?»,
ajoute-t-elle.

Plus important encore, le facteur humain dont on n’a pas beaucoup parlé
ces derniers temps et qui paraît capital.

Parlant des mesures prises par l’Etat pour assurer la couverture sociale
en cas de chômage technique, Monia Jeguirim attire l’attention sur le fait
que le chômage technique en lui-même est un problème. «C’est une solution
extrême qui coûte à l’entreprise, au redémarrage en moral des travailleurs,
en perte de confiance, en perte de productivité, en scepticisme par rapport
à la stabilité de l’emploi»… Et la présidente du CJD d’appeler à investir
plus dans le management, à associer plus les travailleurs à la gestion de la
crise et pourquoi pas à organiser des séances de coaching pour qu’ils se
sentent concernés et impliqués et assurent leur rôle en tant que facteur
efficient dans la lutte pour la survie de leurs entreprises.

La Tunisie moins chère que la Chine

Pour faire face à une situation d’urgence, il faudrait soutenir autrement
les entreprises en combattant encore plus l’économie informelle ou si l’on
préfère le commerce parallèle. «Pourquoi n’arrivons-nous pas à vendre nos
produits aux Tunisiens ? La Tunisie est moins chère que la Chine, le marché
parallèle nous étouffe», s’écrie la présidente du Centre des Jeunes
dirigeants.

D’autre part, il faut reconnaître que les mesures exceptionnelles prises
par l’Etat tunisien ne pourront pas à elles seules dompter les effets d’une
crise économique aussi perverse que les subprimes qui l’ont provoquée. C’est
bien beau d’accorder des aides financières aux sociétés exportatrices par le
biais de leurs filiales, encore faut-il que les sociétés mères puissent
tenir le coup afin que leurs antennes dans d’autres pays résistent. «J’ai
50% de mes clients qui ont fait faillite, ils ont déposé le bilan, je vais
probablement virer deux ou trois ingénieurs d’ici la fin de l’année et je ne
vois pas comment les mesures prises par le gouvernement pourraient m’aider à
m’en sortir si je n’ai plus de marché. En réalité, si mon client va faire
faillite, je ne vois pas de raison de le financer à travers la trésorerie
tunisienne», déclare un jeune dirigeant qui opère dans le secteur
informatique. Il appelle à des mesures incitatives pour soutenir les projets
en direction du marché Tunisie : «Je ne vois aucun encouragement particulier
pour soutenir le secteur des services en Tunisie. L’année dernière, on avait
entendu parler de grands projets industriels sur l’activité informatique, à
ce jour, cela ne se traduit pas dans la réalité. Est-il prévu de les
réactiver ? L’Allemagne a investi pour consolider l’assise des entreprises
travaillant sur le marché local. C’est bien de construire des ponts et des
échangeurs mais on voudrait bien que l’on se tourne un peu sur les
services», ajoute le jeune homme qui ne cache pas son amertume par rapport à
une situation qui menace la survie de son entreprise.

Crise, comme opportunité

«Lorsque l’on écrit crise dans la langue chinoise, il y a une composante
linguistique qui comprend le sens d’opportunité. C’est pour cela que la
crise ne doit pas être un prétexte pour baisser les bras et s’avouer
vaincu», soutient Philippe Lotz de la Coopération technique allemande. Car
crise ne rime pas automatiquement avec faillite, dépôt de bilan ou
licenciement de travailleurs. Elle pourrait représenter une opportunité et
pas des moindres.

«Au mois d’août dernier, mon cabinet d’ingénierie informatique employait
uniquement deux personnes, mon capital était de 1.000 euros. Aujourd’hui,
nous sommes quinze ingénieurs et je veux recruter plus de personnel. Mon
capital a atteint près de 50.000 euros. Je ne peux pas dire que cette crise
n’a pas été pour nous une véritable manne. Je travaille avec des partenaires
français, une partie du travail qui se faisait dans l’Hexagone est réalisée
aujourd’hui en Tunisie», déclare un jeune promoteur sur un ton optimiste. Il
est rejoint par un autre jeune consultant en entrepreneuriat qui estime que
la crise doit représenter pour les dirigeants des entreprises une bonne
occasion pour se ressourcer, prendre du recul et éventuellement changer leur
vision même de l’avenir de la société, leurs stratégies et leurs
positionnements. «Il faudrait penser à de nouvelles niches, de nouveaux
marchés, affirme-t-il, les fonds de financement alloués devraient,
peut-être, être dispatchés sur de nouveaux créneaux, telles les nouvelles
énergies et l’écologie. Aux Etats-Unis, ils ont investi dans ces créneaux,
demain les orientations de l’économie mondiale se décideront toujours aux
Etats-Unis et il faudrait se hâter de se préparer à ces nouveaux marchés et
essayer de prendre le train en marche».

Ce qui est toujours surprenant, s’agissant de l’entrepreneuriat en
Tunisie, c’est cette attitude qu’ont les promoteurs par rapport à leurs
entreprises, déclare M. Lotz : «L’entreprise est vue plus comme étant un
moyen de garantir une vie confortable à son créateur que comme un
investissement dont on doit assurer la pérennisation, la continuité dans une
optique de développement et d’évolution et pour laquelle nous devons nous
prévaloir d’une attitude anticipative pour être prêts à confronter les
imprévus», précise-t-il. Et le chef de la Composante Innovation du GTZ de
s’étonner qu’en Tunisie, les chefs d’entreprise ne soient pas en mesure de
régler les problèmes qui se posent à eux alors que, comme il l’explique, «si
vous n’êtes pas un chef d’entreprise motivé, vous n’arriverez pas à motiver
vos troupes ou à les structurer. On n’a pas que des problèmes, on a aussi
des obligations dont celle de se restructurer, face à la crise, on ne peut
plus rien faire et quelle que soit son ampleur que personne d’ailleurs ne
peut évaluer… pour le moment, on reste dans la réaction et dans toute
réaction, il faut prévoir une dose d’erreurs. Ce qu’il faut, c’est penser à
l’après crise, et aux opportunités qui peuvent se présenter à différents
niveaux»..

Tous logés à la même enseigne…

«L’Administration et l’entreprise sont du même côté, nous sommes
condamnés à travailler ensemble. Par conséquent, il faut que la
communication entre nous soit aussi étroite que possible. L’entreprise est
un patrimoine économique national, elle n’appartient pas qu’à
l’entrepreneur, nous sommes des partenaires, administration centrale,
banques, douanes et ceci plutôt on le comprendra, mieux ça sera pour tout le
monde», a assuré Mohamed Agrebi. L’Etat tunisien, a-t-il affirmé, a pris des
mesures choc contrairement à ce qu’en pensent certains. Quoi de plus que
d’assumer les charges sociales à 100% pour les entreprises qui mettent leurs
employés en chômage technique, 50% pour celles dont les activités sont au
ralenti sans parler de celles qui sont en difficultés et qui ont besoin du
rééchelonnement de leurs prêts bancaires. Au ministère de l’Industrie, de l’Energie
et des PME, une cellule de crise s’attelle à résoudre tous les problèmes en
rapport avec les entreprises et les accompagne au cas par cas. Tous les pays
ont mis en place des mesures conjoncturelles, pour faire face à la crise, on
en parle très souvent ces temps-ci; en Tunisie d’autres mesures ont été
mises en place pour soutenir les entreprises indépendamment de la crise,
dont un programme pour accroître les compétences dans le domaine technique,
notamment celui des ingénieurs, la création d’un conseil national pour
lutter contre la contrefaçon, un programme pour l’innovation en Tunisie,
pour les nouvelles générations de PME, pour le coaching, la formation et
autres. Ces mesures n’ont aucun rapport avec la crise mais ont été mises en
place dans une option de performance de l’entreprise. «Les PME tunisiennes
constituent près de 99% du tissu entrepreneurial du pays, nous sommes à
l’écoute et sommes prêts à mettre tout en œuvre pour les aider et les
secourir», conclut le directeur général chargé de la promotion des PME.