L’économie tunisienne à la recherche de nouveaux repères (1)

Stabilisée et mise sur une trajectoire de croissance
crescendo, depuis plus de vingt ans (+5%), l’économie tunisienne, fondée sur la
corrélation entre le social et l’économique, subtil dosage associant
libéralisation progressive, équilibre macroéconomique, a besoin, aujourd’hui et
plus que jamais, de transcender le stade de la rente sociale dont elle a
bénéficié jusqu’ici (bas salaires, paix sociale…) à celui de la création de
nouveaux avantages comparatifs dignes d’une économie moderne immunisée contre
les chocs exogènes (crises) et endogènes (aléas climatiques).

L’objectif est de doter l’économie du pays d’une nouvelle
image-identité qui satisfait, en priorité la communauté nationale, et dans une
seconde mesure les bailleurs de fonds et les partenaires commerciaux de la
Tunisie. Le mot d’ordre, après 53 ans d’indépendance, est, désormais, de faire
profiter les Tunisiens des richesses que leur économie crée.

Pour mieux comprendre l’urgence d’une réflexion stratégique sur les moyens de
consacrer cette mutation qualitative et immunisante, il n’est jamais inutile de
rappeler les moments forts par lesquels est passée l’économie nationale.

Naissance d’une économie

Durant la décennie 1960-1969, l’économie du pays a subi les affres d’une
politique dirigiste et collectiviste qui a touché particulièrement l’agriculture
et l’industrie. Cette politique collectiviste a donné l’avantage à
l’investissement dans les coopératives au détriment des secteurs public et
privé.

Le socialisme destourien, tel qu’il était défini par le 7ème congrès du Parti
socialiste destourien de l’époque (Bizerte, 22 octobre 1964), prônait pourtant
la coexistence des trois secteurs, coopératif, public et privé.

Globalement, cette décennie a été marquée par la planification de tous les
secteurs jusqu’à l’échéance 1970. C’est au cours de cette période qu’ont été
programmés les grands projets d’infrastructure : construction de barrages,
forage de puits profonds, réalisation de nouvelles routes et de nouvelles
centrales électriques.

Point d’orgue de cette politique, le mérite d’avoir jeté les bases d’un
véritable équilibre régional : la création de zones économiques : Sfax – Gabès-
Menzel Bourguiba pour l’industrie lourde, Tunis et Sousse pour l’industrie
légère, Kasserine pour l’industrie papetière, les régions du nord ouest (Béja,
Jendouba, Le Kef, et Siliana) pour la céréaliculture et l’extraction des
produits miniers (substances utiles et fer), le Cap Bon, le Sahel et l’ile de
Djerba pour le tourisme. Une des conséquences désastreuses du collectivisme : la
déstructuration économique du nord-ouest, de l’axe médian et du sud ont été
fortement déstructurés (exode rural, abandon de certaines activités…).

Principale zone d’ombre : l’industrie développée, particulièrement
l’industrie chimique, à été fort polluante. Les villes de Gafsa, Gabès, Sfax et
Kasserine ont payé un lourd tribut. Le phophogypse, matière très polluante,
rejeté par millions de tonnes à Taparura (nord de Sfax) et dans le golfe de
Gabès ont fait des ravages. Des milliards de dinars sont dépensés actuellement
pour dépolluer ces sites. Idem pour le mercure rejeté par la société de
cellulose de Kasserine.

Les événements d’Ouardanine, symbole de la révolte des petits exploitants
agricoles et les inondations de 1969 gommeront tous les progrès accomplis en
matière d’infrastructure et sonneront le glas du collectivisme, et partant, d’un
cycle du développement de la Tunisie contemporaine.

Une première correction de tendance libérale (1970-1980)

La décennie 1970-1980, qui a été marquée par l’empreinte de l’ex-premier
ministre, le défunt Hédi Nouira, s’est employée à éliminer les séquelles traces
du collectivisme et à réhabiliter le secteur privé, devenu, une décennie durant,
la priorité des priorités au détriment d’autres préoccupations : la culture, le
social, l’éducation et le déséquilibre régional.

Au plan macroéconomique, l’efficacité économique est privilégiée à
l’efficacité sociale.

La période des années 70, de tendance libérale, a connu un essor économique
dû à l’émergence d’une industrie de substitution manufacturière, à
l’augmentation du cours mondial du phosphate et de pétrole (la Tunisie étant
exportateur à l’époque de ces deux matières premières) et à une pluviométrie
favorable durant plusieurs années successives. Le défunt Nouira n’avait-il pas
déclaré «la pluie a voté pour moi ?».

Une fois ces conditions favorables disparues, les problèmes sociaux ont
refait surface (grèves, détérioration du pouvoir d’achat en raison de la hausse
de l’inflation (+8%). Ces problèmes sociaux connaîtront leur paroxysme en 1978,
date de la grève générale (26 janvier 1978).

Il faut reconnaître, toutefois, que d’importantes avancées sociales ont été
enregistrées, au cours de cette décennie : la conclusion d’un pacte social et
l’organisation des rapports entre patronat et syndicats par le biais de
conventions collectives.

La rébellion armée qu’a connue la région de Gafsa en 1980 mettra fin à cette
décennie de tendance libérale. …