Causerons-nous la chute de l’empire informatique?

 
 

or271106240.jpgMettre
en place et gérer ces relations étroites entre le système éducatif et nos
organisations informatiques est la seule façon de terminer l’évolution de
l’entreprise avec cet homo informaticus mature que nous avons cherché
pendant les dernières décennies. Si nous ne donnons pas vie à cette nouvelle
génération, nous serons collectivement responsables de la chute de l’Empire
informatique.

Le business doit en permanence s’adapter pour survivre. La concurrence
acharnée favorise une sorte d’évolution darwinienne au cycle extrêmement
court. La réponse aux modifications de l’environnement doit être rapide et
intelligente… et si n’est pas le cas le business est en danger. La
principale conséquence est une contraction du temps de réaction. Les
entreprises ont besoin de prendre des décisions majeures créant une valeur
métier immédiate. Atteindre cet objectif demande une organisation efficace
capable de réaliser la vision stratégique. Pas de place pour l’amateurisme,
c’est un monde professionnel et les deuxièmes chances sont rares.
L’informatique est ancrée dans cette vision, focalisée sur l’amélioration
métier et l’obtention d’avantages concurrentiels. Chacun dans l’entreprise
doit faire son devoir en fournissant des services alignés sur les métiers,
au bon coût. Mais si l’on attend de l’informatique un important
différentiateur concurrentiel, ce sera plus grâce à des applications
innovantes qu’aux services quotidiens.

Néanmoins les services informatiques sont aussi essentiels et simples que
l’énergie. Les fournir demande uniquement d’utiliser les bonnes pratiques.
Elles sont largement reconnues et pourraient rapidement devenir obligatoires
dans de nombreux secteurs avec le succès du déploiement de la norme ISO/IEC
20000. Nous devons accepter que les bonnes pratiques de la gestion des
services représentent désormais la pierre angulaire des opérations
informatiques.

Sous la pression du business, la gouvernance informatique conduit et
accélère la prise de décision. Cela a fort impact sur les ressources
humaines informatiques qui devraient être bilingues, en disposant de
capacités métiers et techniques, et qui devraient pouvoir intégrer
facilement les projets ou les services offerts, en maîtrisant processus et
méthodes. Dans la vraie vie, ce n’est pas le cas. Découvrons ensemble les
causes de ce problème urgent.

Les étudiants, futurs techniciens et ingénieurs de nos équipes, n’apprennent
pas les technologies fondamentales et les services liés, utilisés chaque
jour dans nos informatiques. Parce qu’ils sont attirés par l’argent et la
vie supposée facile d’un poste non technique, les jeunes préfèrent les
écoles de management aux écoles d’ingénieurs. C’est aussi une raison de la
nouvelle prédominance des disciplines de management dans les cursus
informatiques. Et, pour finir sur cette même lancée, les écoles
informatiques accordent plus d’importance à la programmation qu’aux
opérations. Il est certain que, durant le cycle de vie d’une solution
informatique, planification, conception et construction sont bien couverts.
Mais les opérations sont presque complètement oubliées.

Cela signifie-t-il que la moitié de notre personnel, qui travaille sur le
terrain des opérations, n’a pas été suffisamment formé pendant ses études ?
Universités et grandes écoles nourrissent l’objectif global de fournir à
leurs étudiants un bagage initial qui constitue une solide fondation pour
l’ensemble de leur vie professionnelle. Les employeurs pourraient parfois
lui préférer une intégration rapide dans leur direction informatique. La
recherche de productivité induit une utilisation optimale des ressources et,
par voie de conséquence, les arrivants doivent connaître les technologies et
normes utilisées dans l’entreprise. Prêt à l’emploi dans un temps très court
!

La clé est de trouver le bon équilibre entre les fondations de
l’organisation informatique et la facile intégration de l’employé dans
l’entreprise qui paie son premier salaire. Pour mieux apprécier les
différences entre la vie étudiante et la vie professionnelle, mettons en
exergue quelques problématiques, souvent pavées d’idées fausses.


L’informatique n’est
pas pleine d’innovations et de nouvelles technologies.

On peut dire que les technologies ne durent pas longtemps. Mais en réalité,
les architectures informatiques sont géologiques, empilant des générations
d’applications et de technologies. On peut même trouver des dinosaures !
Nous devons être transparents et avouer que les entreprises utilisent et
maintiennent (et parfois continuent de développer) des centaines
d’applications Cobol et Pacbase, qui tournent sur des serveurs VMS ou MVS.
Difficile d’attirer des jeunes, qui ne connaissent que Java-J2EE ou les web
services, avec ces vieux trucs. L’étudiant qui est seulement formé aux
dernières technologies, celles que l’on trouve plus dans un laboratoire ou
une salle de classe qu’en entreprise, reviendra brutalement sur terre en
commençant à travailler.

Nous devrions le préparer à cela pour éviter des désillusions. Les
entreprises et le corps professoral ont besoin d’être très clairs sur ce
point : les organisations exploitent de vieilles architectures et, de plus,
garantissent avec elles des niveaux de service élevés. Réussir la cohérence
globale de l’informatique est ainsi tout simplement un cauchemar. La
convergence des réseaux, communications et applications aidera surement à
l’obtenir mais elle ajoute pour cela de nouvelles dimensions au puzzle
informatique…

Nous avons besoin d’informaticiens qui comprennent les dernières techniques
et pratiques mais qui acceptent de travailler sur de vieilles technologies.


La valeur de
l’informatique n’est pas limitée à ses applications.

Le support de l’informatique au business repose sur l’efficacité de ses
services. La meilleure application, celle qui pourrait tuer la concurrence,
est sans utilité si la qualité de bout en bout, telle que vécue par les
utilisateurs et les clients, n’est pas assurée. En conséquence,
l’informatique doit servir les utilisateurs avec efficacité et efficience,
en utilisant le minimum de ressources et en s’appuyant sur un patchwork
complexe de technologies. C’est un défi quotidien qui doit être relevé à la
satisfaction de l’utilisateur et sans qu’il s’en aperçoive.

Nous avons besoin d’informaticiens maîtrisant à la fois les techniques et
les processus.


La standardisation est
aussi pertinente dans la gestion des services.

Les meilleures pratiques de gestion des services sont indépendantes des
technologies et des applications. Le domaine est maintenant assez mûr pour
comparer l’organisation informatique à une fabrique industrialisée. Cela
induit que le personnel informatique ne travaille pas avec des méthodes
maison mais dans un large écosystème permettant le partage d’expérience.
Soyez assurés que les processus sont plus invariants que les technologies !
Sans compter que l’employabilité de chacun est améliorée puisque les bonnes
pratiques sont conservées en changeant d’entreprise.

Nous avons besoin d’informaticiens préparés à être engagés proactivement
dans un monde industrialisé, et non de chercheurs perpétuels ou de
théoriciens.


Ouverture, partage des
connaissances et esprit d’équipe sont essentiels.

Le département informatique est désormais une entreprise à part entière, de
son interface métier à son pilotage par le client. Les informaticiens font
partie d’une équipe et certains sont de futurs managers qui piloteront une
équipe de techniciens. Dans l’organisation informatique, chacun est
conscient du business et ceci est déterminant des actions et des décisions.
Chacun est ouvert aux enjeux de l’organisation, de ses contraintes et des
besoins du service. La conséquence est une reconnaissance partagée que le
business devrait fournir un cadre et des orientations pour les opérations
informatiques.

Les meilleures pratiques sont maintenant identifiées (merci ITIL !),
largement acceptées et déployées au sein de l’entreprise. Mais, pour
réaliser leur appropriation, vous devez d’abord accepter qu’il n’existe
qu’une façon d’effectuer une tâche ou une action, ce qui revient à suivre
une meilleure pratique qui a été déterminée par d’autres. Pas de place pour
l’improvisation ou pour la reconnaissance d’un génie sournois.

Fournir un service efficace, c’est être le maillon d’une grande chaîne.
Contribuer à développer des processus efficients, c’est être dirigé ou
contrôlé par des managers transverses, comme dans toute organisation
matricielle.

Nous avons besoin d’informaticiens sachant travailler en équipe pour
atteindre un objectif commun, avec un engagement de résultats.


Que doit-on faire ?

Les organisations informatiques, qu’elles soient client ou fournisseur,
recherchent des candidats comprenant, et acceptant, ces enjeux. Elles ont
besoin d’embarquer de nouveaux collaborateurs bien structurés par une
orientation service. Mais pour assurer le recrutement de tels candidats, à
la fois en quantité et en qualité, elles devraient être proactives et
engagées à développer le cadre qui peut les produire !

En d’autres termes, nos organisations informatiques doivent changer
drastiquement leur manière de trouver, attirer et embaucher leurs jeunes
informaticiens. Elles doivent investir massivement dans le secteur de
l’éducation, et le faire dès maintenant. Sinon, les filières informatiques
vont sûrement continuer à décliner.

Les organisations informatiques doivent créer un marché de l’emploi
attrayant pour les jeunes en déterminant leurs besoins en compétences et en
technologies, mais aussi en montrant les carrières informatiques qu’elles
proposent. On peut dire que ce n’est que marketing, mais mettre des
ressources pour promouvoir les carrières, écoles et formations informatiques
pourraient produire de bons résultats pour le recrutement futur. Et elles en
ont grandement besoin, compte tenu de leurs difficultés de recrutement.

Les organisations informatiques doivent être associées le plus possible au
système éducatif. En amont, elles doivent fournir leurs demandes et besoins
à moyen terme. Elles doivent co-définir des parties du cursus éducatif ou,
tout au moins, largement influencer les orientations et les catalogues de
formation, en sélectionnant les technologies, méthodes et pratiques à
couvrir. Cette implication doit aussi inclure certains cours planifiés,
coordonnés et donnés par les entreprises. Vous ne trouverez pas de meilleure
façon d’enseigner les bonnes pratiques qu’avec ceux qui les ont
implémentées !

Enfin les organisations informatiques doivent elles-mêmes s’adapter, en
offrant aux étudiants plus de postes en alternance et de stages, et en
créant de véritables programmes d’intégration.

 


Note pour la version
française.

durand.jpgUne version anglaise
de cet article a paru dans ITP Europe Report fin 2006.


* Président de l’ISTASE
(Ecole d’ingénieurs de l’Université Jean Monnet de Saint-Etienne) –
Vice-Président du Club Mines Informatique


NDLR :
L’article
nous a été communiqué par l’auteur à Tunis, à l’occasion de sa participation
aux conférences sur l’ITIL, le COBIT et le CMMI, organisé par

AB Consulting
du 29 au 1er décembre 2006.