Textile / habillement : la guerre Sud-Sud a bel et bien commencé

Par : Autres

Textile/ habillement : la guerre Sud-Sud a bel et bien commencé

 


textile_05072005.gifNe nous étonnons pas, le
scénario semble déjà écrit. Depuis le 1er janvier 2005, la disparition du
système des quotas, en vigueur dans le commerce international des textiles
instauré au milieu des années 70, a donné le coup d’envoi d’une compétition
féroce entre les pays producteurs pour récupérer des parts de marchés
jusqu’ici artificiellement protégées. Sous la bénédiction, bien entendu, de
l’OMC par l’entremise des géants mondiaux du textile.

Sur un marché annuel de 360 milliards de dollars et malgré une
libéralisation programmée depuis dix ans, la moitié des échanges se font à
l’intérieur d’un jeu complexe de contingents alloués par les principaux pays
importateurs, à savoir les Etats-Unis et l’Union européenne, aux pays en
développement pour lesquels le textile a servi de marchepied au processus
d’industrialisation.


Et dans cette compétition, dans l’espace de 6 mois, la Chine a déjà mis
chaos tous ses concurrents ; mais le sous-continent indien s’accroche à
l’arrière de la locomotive chinoise. En effet, le premier exportateur
mondial de vêtements est sur le point de rafler la mise, d’autant plus que,
pour les multinationales du textile, contraintes jusqu’ici de diversifier
leurs sources d’approvisionnement et de fabrication, la Chine leur offre
l’intérêt de pouvoir concentrer la majorité de leurs sous-traitants sur ce
pays qui affiche un avantage compétitif écrasant par rapport aux autres
pays. Et tous les économistes de dire que la Chine a tout, des matières
premières au coût du travail qui compte parmi les plus faibles du monde, en
passant par une main-d’oeuvre qualifiée, des équipements renouvelés
régulièrement grâce à l’afflux continu d’investissements directs étrangers,
des infrastructures, … Sans oublier une monnaie notoirement sous-évaluée.


Les comptes ont vite été faits par l’Organisation mondiale du commerce. Cinq
mois après la levée des quotas, la part de la Chine dans les importations de
vêtements de l’UE passerait aujourd’hui de 18% à près de 40% et de 16% à 50%
dans le cas des Etats-Unis, n’eût été les pressions exercées ces deux
derniers mois par la Commission européenne et les Etats-Unis, qui ont
utilisé la clause de sauvegarde prévue par les Accords de l’OMC.


Du coup, les producteurs de ces pays ont commencé à sentir les effets tant
redoutés par cette levée des quotas, mais beaucoup moins que les pays en
développement qui avaient fait de cette rente, un des piliers de leurs
économies, au rang desquels, notamment, le Cambodge, le Pakistan, le Sri
Lanka, le Népal, la Tunisie, le Maroc, la Turquie, l’Egypte … Ce qui
complique davantage la situation de ces pays, c’est qu’ils ne possèdent
d’aucun autre atout que ce bon d’accès aux marchés occidentaux et la feuille
de salaires de leurs ouvriers.


Rappelons à ce titre que, bon an mal an, le textile procure 80% des revenus
à l’exportation du Bangladesh, 76% au Cambodge, 73% au Pakistan, 71% au Sri
Lanka, 61% au Népal, 53% en Tunisie, 49% au Maroc et seulement 12% en Chine.
Il assure entre 20% et 60% de l’emploi industriel selon les pays.



Mort subite ou transition progressive des industriels du secteur ?


A ce niveau, il faudrait souligner que le degré de vulnérabilité n’est pas
le même pour tous mais il est d’autant plus grand que le pays se trouve loin
de son marché d’exportation (importance des coûts de transports, délais plus
longs) et qu’il produit du bas de gamme avec une matière première importée,
le Bangladesh et le Cambodge sont dans ce cas.


Ceci dit, une question agite tous les esprits : y aura-t-il une «mort
subite» ou au contraire une transition progressive ? Bon nombre de
spécialistes du secteur plaident pour la seconde hypothèse. Et pour l’heure,
les faits leur donnent raison : face aux menaces de sanctions des pays
occidentaux, qui peuvent intervenir à tout moment, contre le raz de marée du
«made in China», les grandes enseignes ont préférer ne pas prendre le risque
de mettre brutalement tous leurs oeufs dans le même panier. Toutefois, un
autre argument pourrait conforter la première hypothèse : la concurrence.


L’OMC, la Chine et les futurs perdants …


La Chine est-elle bénie des dieux ? Pas tout à fait, mais disons qu’elle a
profité de la sous-estimation de la communauté
internationale. Car le bon sens voudrait qu’on se rende compte que l’accès
du géant chinois à l’Organisation mondiale du commerce devrait permettre à
ce pays de bénéficier, d’un seul coup, des trois premières étapes de la
libéralisation du secteur engagée depuis 1995. Ainsi, en un an, les
exportations chinoises vers les Etats-Unis ont explosé de 50%, et les prix
ont baissé de près de 30%. Dans le même temps, le Bangladesh, dont les
produits sont directement en concurrence avec ceux de son voisin asiatique,
a vu ses ventes à destination de l’Amérique chuter de moitié.


Mais ce n’est pas tout, puisqu’à l’île Maurice, les investisseurs
hongkongais présents depuis les années 1970 ont plié bagages, ce qui a
entraîné la suppression de 20.000 emplois sur 90.000. Au point
qu’aujourd’hui, la seule chance qui reste au pays pour sauver le secteur
c’est de produire du haut de gamme et de trouver des niches qui ne soient
pas en concurrence avec les entrepreneurs chinois.


Quant aux autres pays les plus menacés, ils réclament un régime préférentiel
qui compenserait au moins en partie la perte de leurs quotas. Des accords
existent en ce sens mais ils sont loin d’être suffisants au regard de la
puissance de frappe de Pékin. Parmi ces mesures, on peut citer l’initiative
«Tout sauf les armes !» lancée par l’Union européenne en 2001 qui permet aux
pays les moins avancés d’écouler leurs marchandises vers l’Europe en
franchise de douanes. Il y a également l’African Growth and Opportunity Act
(AGOA), mise en place par les Etats-Unis (une loi sur la croissance et les
opportunités économiques en Afrique).


Mais ces programmes sont en réalité d’une générosité très comptée, puisque
pour en bénéficier, les producteurs du Sud doivent acheter à leur futur
client un pourcentage souvent très élevé de leurs matières premières (fibres
naturelles, tissus…), avec une sévérité de ces «règles d’origine» qui
ruine souvent une bonne partie de l’avantage consenti. Interpellée par
plusieurs de ses membres, l’OMC n’aura pas réussi à aménager le couperet du
1er janvier 2005, d’autant plus que la Chine et l’Inde s’y sont opposées.
Désormais en position de force au sein de l’organisation multilatérale du
commerce, la Chine a recommandé aux futurs perdants de s’adresser à la
Banque mondiale et au Fonds monétaire international pour obtenir une aide.


Sans commentaire !


Tallel BAHOURI


 

  06
– 07 – 2005 :: 06:00  –  ©webmanagercenter