
Malgré des approches méthodologiques distinctes, les deux experts s’accordent sur la nécessité de réformer l’orientation générale des politiques financières en Tunisie afin de les rendre plus cohérentes avec les objectifs économiques et sociaux de la prochaine étape. Ci-après la traduction d’un texte, que nous estimons intéressant, publié sur la page de Ridha Chkoundali.
Points de convergence : le diagnostic de la fragilité de la croissance économique.
Les deux experts s’accordent à dire que la croissance économique en Tunisie reste fragile et non durable, reposant principalement sur la consommation privée sans base productive solide ni investissement efficace. Ils estiment que les investissements publics et privés sont partiellement bloqués, et que la croissance sectorielle dépend fortement des conditions climatiques et mondiales (agriculture, tourisme, transferts des Tunisiens à l’étranger).
Critique du caractère fiscal du budget
Les deux spécialistes considèrent que le projet de loi de finances 2026 est avant tout un texte fiscal plutôt qu’un outil de développement. Le gouvernement se concentre sur la mobilisation des ressources fiscales sans accompagner cela de mesures incitatives pour stimuler l’investissement ou soutenir la production nationale.
Faiblesse de la vision économique et réformatrice
Ils jugent que le budget présenté manque de vision économique intégrée, avec des objectifs sectoriels clairs et une coordination entre les finances publiques, la politique monétaire et les politiques sociales. Le budget ressemble davantage à un exercice comptable visant un équilibre arithmétique.
Reconnaissance de la faiblesse de l’État dans les dépenses publiques
Aussi bien Essammari que Chkoundali soulignent que l’État n’a pas réussi, en 2025, à mettre en œuvre ses programmes de développement et sociaux. Le taux de réalisation des projets publics est faible par rapport aux engagements annoncés, tandis que la priorité a été donnée au remboursement de la dette au détriment de l’investissement et des services sociaux.
Rôle social de l’État
Ils s’accordent sur le fait que le concept d’un « État social » ne se limite pas aux augmentations salariales ou à l’emploi, mais implique l’amélioration de la qualité des services publics (santé, éducation, transport, énergie…), renforçant ainsi la justice sociale et la confiance entre le citoyen et l’État.
Points de divergence : approche de l’endettement et de la politique monétaire
Le docteur Essammari estime que le gouvernement brandit le slogan de « l’autonomie » sans le concrétiser, poursuivant le recours à l’endettement extérieur et aussi à l’endettement intérieur, y compris le financement direct par la Banque centrale. Il appelle à plafonner ce type de financement et à le lier exclusivement aux dépenses d’investissement productif, sous la supervision d’un comité national mixte.
Chkoundali adopte une position plus prudente vis-à-vis du financement direct par la Banque centrale, qu’il considère comme une menace pour la stabilité monétaire et un facteur d’inflation. Il appelle à des financements internes et externes plus structurés et institutionnalisés.
Choix fiscaux et répartition de la charge fiscale
Essammari critique l’orientation fiscale du gouvernement, qu’il juge injuste pour les classes moyennes et peu efficace sur le plan du développement. Il propose des solutions concrètes comme l’adoption d’un taux d’imposition dégressif sur les bénéfices des entreprises (plus le bénéfice est élevé, plus le taux est bas) pour encourager la déclaration réelle et lutter contre l’évasion fiscale. Chkoundali, pour sa part, insiste sur la nécessité de réformer le système fiscal en élargissant l’assiette fiscale et en intégrant l’économie informelle, plutôt que d’imposer de nouvelles taxes ou des taux progressifs qui nuisent aux petites et moyennes entreprises.
Orientation des dépenses publiques
Essammari appelle à une restructuration des dépenses publiques en orientant une partie du financement vers des projets productifs à impact direct sur l’économie, tels que le soutien aux énergies renouvelables, à l’agriculture, et la réduction du coût de l’énergie pour les usines et les ménages. Chkoundali insiste davantage sur la nécessité de réorganiser les priorités budgétaires autour de la santé, de l’éducation et des infrastructures de base, piliers d’un développement social durable.
Lecture de la relation avec le FMI
Essammari considère que la Tunisie progresse effectivement dans les réformes demandées par le Fonds monétaire international, ce qui facilite les négociations et permet d’obtenir des financements à des conditions moins coûteuses.
Chkoundali se montre plus réservé face à la logique des réformes imposées par le FMI, estimant qu’elles pourraient compromettre la souveraineté économique de la Tunisie et accentuer les inégalités sociales si elles ne sont pas accompagnées de politiques nationales équitables.
Les positions de ces deux observateurs avisés de la scène économique nationale révèle qu’ils partent tous les deux d’une lecture réaliste de la crise des finances publiques en Tunisie, mais divergent sur les moyens d’y remédier et sur les priorités à établir. Alors qu’Essammari met l’accent sur la correction du lien entre politique monétaire et financement du développement, Ridha Chkoundali privilégie la réforme du système fiscal et la construction d’un équilibre social durable.
Malgré leurs différences, les deux visions convergent vers un objectif commun : reconstruire la confiance dans les finances publiques à travers un budget à vocation développementale, et non simplement comptable, qui redonne sa place à la production, au travail et à l’investissement comme leviers essentiels de la croissance économique et sociale.
A.B.A
EN BREF
- Deux économistes, Abdelbasset Essammari et Ridha Chkoundali, analysent la loi de finances 2026.
- Diagnostic commun : une croissance fragile, tirée par la consommation, non par la production.
- Le budget 2026 est jugé trop fiscal et sans vision réformatrice claire.
- Divergence sur l’endettement et le rôle de la Banque centrale.
- Objectif partagé : refonder un budget au service de la production et de la justice sociale.


