Fruits et légumesAlors que l’INS annonce un taux d’inflation à 5,4 % pour le mois de juin, les Tunisiens sont, eux, confrontés à une flambée persistante des prix alimentaires. Le ressenti est-il démenti par des chiffres que nous pouvons interpréter de différentes manières et en adoptant différentes méthodologies ?

Qu’il s’agisse d’une lecture en glissement annuel ou sur un mois, les prix des produits alimentaires — déterminant majeur de l’inflation — ont bel et bien augmenté, parfois de manière spectaculaire, parfois plus modérée. Mais dans tous les cas, leur progression pèse lourdement sur le coût de la vie.

Il s’agit souvent de produits de première nécessité, dont la demande reste stable quelles que soient les conditions économiques. Cette dynamique devrait se refléter dans les statistiques d’inflation. Pourtant, selon l’Institut National de la Statistique (INS), l’inflation est restée stable à 5,4 % en juin, identique au mois précédent. Et c’est précisément là où le bât blesse.

« Le kilo de viande d’agneau dépasse les 60 dinars dans certaines zones. »

 

Méthodologie de l’INS : une approche qui interroge

À la lecture de la publication de l’INS, difficile d’y voir clair. Même pour des initiés qui maîtrisent les mécanismes du calcul de l’inflation, le document apparaît alambiqué. L’absence d’une note conceptuelle détaillant la méthodologie utilisée rend le taux de 5,4 % difficilement compréhensible au vu des hausses réelles constatées.

L’INS précise bien certains chiffres sectoriels : “En glissement annuel, les prix des fruits frais ont grimpé de 20,4 %, ceux de la viande d’agneau de 19 % et des poissons frais de 10,5 %. En revanche, les huiles alimentaires ont baissé de 22,7 % et les œufs de 4,7 %”. Mais mathématiquement, même avec certaines baisses ponctuelles, la moyenne pondérée semble difficile à faire coïncider avec les 5,4 % annoncés.

Une inflation ressentie bien plus élevée

Le rapport note également qu’en un mois, les prix du groupe « Alimentation et boissons » ont connu une hausse légère de 0,1 %, tirée par la viande d’agneau (+1,8 %), la viande bovine (+1,5 %) mais contrecarrée par la baisse des œufs (-3,6 %), de la volaille (-1,4 %) et des fruits frais (-1,1 %).

Si l’on peut discuter des méthodologies — inflation globale vs inflation sous-jacente, pondérations selon la structure de consommation, etc. — la perception du consommateur tunisien reste que les prix explosent. Le kilo de viande d’agneau dépasse les 60 dinars dans certaines zones. Les fruits, les légumes et les produits de la mer sont devenus inaccessibles pour de nombreux ménages.

« Le ressenti du consommateur reste que les prix explosent, malgré les chiffres officiels. »

 

 Circuits de distribution : une régulation en panne

Au malaise statistique s’ajoute une autre frustration : celle d’un marché parallèle florissant. À chaque coin de rue, des camions vendent fruits et légumes sans contrôle ni traçabilité. Quid de la qualité ? De la fiscalité ? De la concurrence déloyale ?

Même les prix officiels fixés sur les marchés de gros, censés encadrer les marges, posent question. Ces marchés sont dominés par des acteurs privés soucieux de rentabilité.

La Sotumag, principal marché de gros tunisien, est détenue à 37,5 % par l’État, mais aussi à 20,24 % par Trabelsi et Fils, à 17,7 % par Coopmag, et à 7,55 % par l’Office du Commerce et le reste appartenant à des actionnaires minoritaires. L’État a-t-il réellement les moyens de réguler les prix au sein de ces structures ? Rien n’est moins sûr. Il paraît que du temps de Ben Ali, il a essayé d’y intervenir sans succès probants !

«Une politique monétaire restrictive ne peut pas redresser une économie réelle asphyxiée.»

 

L’impuissance face aux intermédiaires

Depuis des années, les autorités annoncent vouloir casser les chaînes de rente des intermédiaires et grossistes, accusés de miner le pouvoir d’achat des citoyens. Pourtant, les points de vente non déclarés prolifèrent, souvent sans aucun affichage de prix, sous le nez d’une administration fiscale et de contrôle pourtant redoutable envers le secteur formel. Le sentiment d’injustice et de désordre s’accroît chez les agriculteurs et les petits producteurs comme chez les consommateurs.

Chiffres clés

  • 20,4 % — Hausse des prix des fruits frais en un an selon l’INS
  • 19 % — Augmentation du prix de la viande d’agneau sur un an
  • 10,5 % — Hausse des prix des poissons frais sur la même période
  • 22,7 % — Baisse des prix des huiles alimentaires
  • 7,5 % — Taux Moyen du Marché Monétaire maintenu malgré une inflation de 5,4 %.

Pourquoi la politique monétaire ignore la baisse du taux d’inflation ?

Mais il n’y a pas que l’inflation, la question qui se pose est celle de la politique monétaire : si le taux d’inflation est à 5,4 %, pourquoi maintenir le Taux Moyen du Marché monétaire (TMM) à 7,5 % ? Un TMM à 6,5 % — aligné sur un objectif d’inflation crédible — serait déjà un compromis raisonnable. Il stimulerait l’investissement, la consommation et rendrait le crédit plus attractif, pour les ménages et les PME, sans mettre en péril la stabilité macroéconomique.

« Les circuits parallèles prolifèrent sous le nez d’une administration qui ferme les yeux. »

 

Mais il ne suffit pas de baisser les taux pour relancer la machine, la politique de réduction du TMM ne peut porter ses fruits qu’accompagnée de réformes structurelles que nous n’arrêtons pas d’appeler : amélioration de la compétitivité, réduction de la bureaucratie et reconnaître le rôle du secteur privé en tant que moteur de la croissance.

Pour libérer son énergie, il est urgent de faciliter l’accès au financement, réduire la pression fiscale et créer un environnement juridique et réglementaire stable et prévisible.

« La crédibilité statistique et la justice fiscale doivent redevenir des priorités. »

 

Une politique monétaire restrictive ne peut pas maintenir la stabilité macroéconomique, il s’agit de remettre d’aplomb une économie réelle asphyxiée par la cherté de la vie, de maîtriser l’inefficacité des circuits de distribution et de procéder à de nouveaux ajustements de l’économie nationale à travers un sursaut politique et institutionnel capable de réconcilier le citoyen avec l’État et de rendre l’économie à ceux qui la font vivre : consommateurs, agriculteurs et entrepreneurs.

La crédibilité statistique, la justice fiscale et l’équité dans la régulation doivent redevenir les piliers d’un modèle économique capable de favoriser la création de richesses tout en ne pénalisant pas les plus vulnérables.

Amel Belhadj Ali

EN BREF

  • Les Tunisiens dénoncent une flambée persistante des prix, en décalage avec l’inflation officielle à 5,4 %.
  • Les hausses touchent des produits essentiels : fruits, viandes, poissons.
  • Les circuits parallèles échappent au contrôle et alimentent la hausse.
  • La politique monétaire reste rigide malgré des besoins de relance.
  • Une réforme en profondeur est nécessaire pour réconcilier économie réelle et politique publique.