Dans un contexte économique mondial où les incertitudes et les rapports de forces prévalent, même sur les discours diplomatiques courtois entre États, et où les débats économiques polarisés dominent, il est utile de rappeler l’importance vitale du partenariat euro-méditerranéen pour l’industrie tunisienne. Retour sur une relation historique, géographique… et résolument stratégique à travers le secteur du textile.
Alors que les discours nationalistes et les appels à l’autarcie ressurgissent sporadiquement dans le débat économique tunisien, plusieurs voix du secteur privé rappellent, faits à l’appui, l’importance capitale du marché européen pour l’économie du pays. Le président de la Fédération tunisienne du textile et de l’habillement, Haithem Bouajila, s’est récemment exprimé lors d’un entretien avec WMC, appelant à un positionnement clair et assumé de la Tunisie au sein de la sphère euro-méditerranéenne.
Une relation commerciale historique et asymétrique
L’accès privilégié de la Tunisie au marché européen ne date pas d’hier. Les premiers accords commerciaux datent de 1969 et 1976, années où les produits industriels tunisiens ont pu entrer librement dans l’espace européen sans subir de taxes douanières. Soit, un avantage considérable, obtenu sans offrir en retour les mêmes privilèges aux produits européens.
Cette asymétrie favorable a permis le développement d’une industrie tunisienne exportatrice, structurée autour de pôles comme le textile, les composants électroniques ou l’agroalimentaire. Ce n’est qu’en 1995, avec l’accord d’association entre la Tunisie et l’Union européenne, que la réciprocité a été instaurée. Depuis, les relations commerciales n’ont cessé de progresser, faisant de l’Europe le premier partenaire économique de la Tunisie.
À ce jour, la balance commerciale entre les deux parties reste favorable à la Tunisie.
Un ancrage géoéconomique incontournable
« Que nous le voulions ou non, notre positionnement est dans la zone euro-méditerranéenne », affirme Haithem Bouajila. Il rappelle le caractère exigu du marché intérieur tunisien, avec ses 12 millions de consommateurs, et insiste sur la nécessité de s’adosser à des marchés plus vastes et plus matures. L’Union européenne, précise-t-il, représente plus de 300 millions de consommateurs, répartis sur des pays à fort pouvoir d’achat comme la France, l’Allemagne, l’Italie ou l’Espagne.
À cela s’ajoute une proximité géographique exceptionnelle : Tunis est à une heure de Rome, deux heures de Paris, à peine plus de Madrid. « L’Europe et la Grande-Bretagne sont notre espace économique naturel », martèle-t-il. Pour profiter pleinement de cette proximité, la Tunisie doit adapter ses structures aux normes du marché européen.
L’harmonisation avec les normes européennes : un atout compétitif
Selon Bouajila, cela implique une harmonisation des lois, des institutions, et des normes industrielles avec celles en vigueur en Europe. À cet égard, l’interaction avec Euratex — l’organisation européenne du textile basée à Bruxelles — est déterminante. « C’est là que se décident toutes les grandes orientations du secteur : normes environnementales, politiques commerciales, critères sociaux, investissements. Il est crucial que nous soyons présents à cette table de décision », explique-t-il.
En s’alignant sur les standards européens, la Tunisie pourrait transformer les exigences environnementales et sociales en véritables atouts concurrentiels. Dans un contexte où certains pays concurrents peinent encore à intégrer ces nouvelles normes, la Tunisie a une carte à jouer en se positionnant comme un site industriel fiable, moderne, et éthique. « Nous voulons que notre pays soit un pont, une route ouverte vers les marchés et les investissements, au-delà des frontières, des clichés et des préjugés », conclut Bouajila.
Consolider les liens pour un avenir prospère
Face aux incertitudes économiques, aux mutations des chaînes de valeur mondiales et aux pressions géopolitiques, la Tunisie n’a pas le luxe de l’ambiguïté stratégique. Son avenir industriel, commercial et social dépendra de sa capacité à consolider ses liens avec l’espace euro-méditerranéen, non pas comme un choix par défaut, mais comme une opportunité pleinement assumée.
S’aligner sur les normes européennes, renforcer les partenariats institutionnels, investir dans la montée en gamme et valoriser les atouts du site Tunisie : voilà les leviers concrets d’une intégration réussie et compétitive. Dans cette dynamique, l’Europe n’est pas une alternative à explorer — elle est déjà une réalité à approfondir. Car au-delà des slogans et des crispations identitaires, c’est par la cohérence, la coopération et l’anticipation que la Tunisie pourra transformer ses fragilités en forces et s’affirmer comme un acteur crédible au cœur du bassin méditerranéen. Encore faut-il que dans notre pays, nous puissions encore parler de vision et de cerveaux économiques.
Amel Belhadj Ali
Indicateurs clés
- 1969 et 1976 : Premiers accords commerciaux permettant l’entrée libre des produits industriels tunisiens en Europe sans taxes douanières.
- 1995 : Instauration de la réciprocité commerciale avec l’accord d’association entre la Tunisie et l’Union européenne.
- 12 millions : Nombre de consommateurs sur le marché intérieur tunisien, soulignant le besoin d’accès à des marchés plus vastes.
- 300 millions : Nombre de consommateurs dans l’Union européenne, représentant un marché à fort pouvoir d’achat.
- 1 à 2 heures : Temps de vol entre Tunis et les grandes capitales européennes comme Rome ou Paris, illustrant la proximité géographique.