Dans le cadre de la 39ème édition de la Foire Internationale du Livre de Tunis (FILT), une table ronde intitulée “Le rôle du livre dans le renforcement de la diplomatie culturelle”, modérée par l’ancien ambassadeur Hédi Ben Nasr, a réuni plusieurs figures diplomatiques et académiques de Tunisie et du Venezuela qui ont apporté leurs témoignages, issus de parcours et d’expériences variés.
L’écrivain et poète Abdelaziz Kacem a ouvert la rencontre-débat en évoquant sa longue expérience dans le domaine culturel. Il a souligné que la culture ne relève pas d’un seul ministère, mais d’un système global impliquant les départements de l’éducation, des affaires culturelles et des affaires étrangères. Revenant sur son passage à la Bibliothèque nationale de Tunisie et au sein de plusieurs instances spécialisées, il a souligné la nécessité pour les jeunes diplomates de disposer de connaissances approfondies sur l’histoire et la culture de leur pays.
Mourad Belhassen : Le livre comme outil de “soft power”
Mourad Belhassen, directeur général de la diplomatie économique et culturelle au ministère tunisien des Affaires étrangères, a considéré que le thème de cette rencontre marque un signe d’une conscience croissante de l’importance stratégique de la culture et du livre dans la promotion de l’image de la Tunisie à l’international. Il a mis en avant le rôle de la diplomatie culturelle comme levier de soft power et outil de rapprochement entre les peuples. A ce titre, il a évoqué les efforts du ministère pour valoriser la culture nationale à travers une programmation variée destinée à faire connaître l’identité tunisienne par la la culture.
Carmen Bohórquez : De Caracas à Tunis, pour une diplomatie “de masse”
Venue du Venezuela, la chercheuse et ancienne ambassadrice Carmen Bohórquez a plaidé pour une diplomatie culturelle ouverte, hors du carcan élitiste, pour représenter les peuples. Proposant une lecture critique de l’histoire coloniale espagnole, elle a dénoncé la manière dont les élites ont accaparé l’image culturelle du Venezuela à l’étranger. Elle a dans le sillage évoqué l’exemple de certaines ambassades de son pays, lors du 20ème siècle, qui ont occulté la richesse du théâtre, de la musique et de la littérature populaire en s’interrogeant: que doit montrer un pays à travers ses missions diplomatiques ? Doit-il se contenter de promouvoir la culture des élites, ou refléter l’âme du peuple et son véritable héritage ?
Selon elle, un tournant décisif a été amorcé avec l’ancien président Hugo Chávez, qui a donné voix aux classes populaires et impulsé une diplomatie culturelle alternative, plus juste et plus crédible, fondée sur la solidarité entre les peuples. Elle a mis en lumière, dans ce contexte, le développement des relations culturelles entre le Venezuela et les pays africains, eux aussi longtemps marginalisés. Pour elle, la véritable diplomatie culturelle repose sur la rencontre humaine entre les peuples.
Samia Arbi : La culture, pilier stratégique à l’étranger
Avec une expérience en tant qu’ambassadrice à Bucarest et attachée culturelle à Rome, Samia Arbi a insisté sur la capacité de la culture à transformer l’image d’un pays dans l’opinion publique européenne. Elle a évoqué l’organisation réussie d’une semaine du cinéma tunisien à Rome, qui a suscité l’intérêt du public italien et favorisé des échanges enrichissants sur la Tunisie. Elle a souligné l’importance de soutenir ce type d’initiatives à travers un financement stable, des programmes de partenariat avec la société civile, ainsi que la nécessité de renforcer la logistique pour permettre l’exportation de spectacles, de livres et de contenus culturels.
Taoufik Jabeur : l’action culturelle ne doit pas être une activité ponctuelle
Ancien ambassadeur au Caire, à Istanbul, Paris et Sanaa, Taoufik Jabeur a affirmé que la culture constitue un pilier à part entière dans la diplomatie, au même titre que la politique et l’économie. Il a souligné que les écrivains et les artistes sont des ambassadeurs silencieux mais essentiels. Il a dans ce sens plaidé pour que le travail culturel dans les ambassades devienne une activité permanente et non ponctuelle, suggérant une formation pratique des diplomates.
Abderrazak Landoulsi : Pour une feuille de route opérationnelle
L’ancien diplomate Abderrazak Landoulsi a conclu la rencontre en appelant à une vision stratégique claire : la diplomatie culturelle ne saurait se limiter à un simple slogan. Elle doit s’inscrire dans une feuille de route nationale cohérente, définissant les priorités culturelles, soutenant les créateurs tunisiens à l’étranger, et établissant un mécanisme permanent de suivi de la représentation culturelle. Il a mis l’accent sur la nécessité de revoir les critères de sélection des participants aux salons et festivals internationaux, et souligné le rôle fondamental de la traduction, qu’il considère comme la véritable passerelle pour l’accès du livre tunisien à l’international.