La pénurie des ressources en eau en Tunisie est estimée à environ 16 milliards de mètres cubes, selon le rapport annuel du département de la justice environnementale et climatique du Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES), publié le 1e avril 2024.

Le Forum explique que « le taux de remplissage des barrages selon l’Observatoire national de l’agriculture jusqu’au 12 novembre 2023, a atteint le niveau de 22% de la capacité totale des barrages, soit 524 mille mètres cubes en plus de 2,2 des eaux souterraines, soit un total d’environ 3 milliards de mètres cubes. Alors que la Tunisie a besoin théoriquement de 19 milliards de mètres cubes pour répondre à ses besoins dans divers secteurs. Cela signifie que la pénurie des ressources est proche de 16 milliards de mètres cubes ».

Un tiers de l’eau est perdue en Tunisie

Selon le FTDES, plusieurs raisons sont derrière cette pénurie. Il s’agit en premier lieu du phénomène de gaspillage. Les barrages perdent environ 22 millions de mètres cubes de capacité de stockage chaque année, en raison des sédiments et du mauvais entretien, en particulier les barrages qui fournissent de l’eau potable comme le barrage de Sidi el-Barrak, dont le volume d’eau gaspillée dans la mer depuis sa création en 2002 jusqu’en 2016 est d’environ 3,5 milliards de mètres cubes selon la direction générale des barrages et des travaux d’eau.

Par ailleurs, le pourcentage d’eau gaspillée dans les réseaux de la société nationale pour l’exploitation et la distribution de l’eau est estimé à plus de 24% et peut atteindre dans certaines zones 30% en raison du vieillissement et de l’usure du réseau auquel s’ajoute la quantité importante de sédiments. Si l’on prend également en compte le raccordement illégal et le vol d’eau qui peut parfois aller jusqu’à 8%, un tiers de l’eau est perdue en Tunisie.

Le FTDES a, aussi, expliqué la pénurie en eau par la baisse significative des pluies au cours des cinq dernières années, passant de 208,6 mm pendant la saison 2018-2019 à 165,7 en 2022-2023.

L’évolution des volumes exploités explique aussi en partie la pénurie en eau. En effet, la moyenne annuelle des ressources exploitées en eau en Tunisie est estimée à 36 milliards m3 ( agriculture 77%, industrie 8%, tourisme 1,5% et eau potable 13,5%). De plus, la proportion d’eau souterraine en Tunisie est estimée à 2,165 milliards de mètres cubes exploités dans divers secteurs grâce à l’octroi de permis d’exploitation. Le taux d’exploitation a évolué de 698 milliards de m3 en 1990 à 914 milliards de m3 en 2020.

L’exploitation des ressources souterraines profondes a augmenté de 14,5%, passant de 117% en 2017 à 134% en 2020 par des puits autorisés mais surtout par des puits illicites, dont le nombre dépasse le nombre de puits légaux et constitue une vraie menace sur les ressources en eau.

Le FTDES estime que l’épuisement important de l’eau par les puits illicites est le résultat d’un contrôle défaillant des agriculteurs et des industriels ainsi que de la faiblesse des mesures dissuasives envers les contrevenants et ce, malgré l’existence de nombreuses lois qui interdisent la réalisation d’opérations de forage anarchiquement et en particulier l’article 13 du code de l’eau.

Le Forum pense, ainsi, que la crise de l’eau en Tunisie est le résultat de la récurrence des politiques et des choix liés au secteur de l’eau depuis des années.

« L’adoption d’un modèle agricole soutenant les cultures consommatrices d’eau telles que les agrumes, les tomates et les pastèques, ainsi que l’abandon progressif de la culture céréalière, a entraîné des conséquences sociales et économiques graves que nous vivons aujourd’hui, se manifestant par la pénurie d’eau potable et une inflation importante des prix des produits agricoles, menaçant ainsi la sécurité alimentaire en Tunisie ».

Et de rappeler qu’«au fil de l’histoire, les différentes civilisations en Tunisie se sont adaptées à la nature du climat à travers des infrastructures hydrauliques ingénieuses telles que les Fesquias et Mejels, ou en utilisant des aqueducs comme ceux de Zaghouan ainsi que les techniques agricoles économes en eau. Cependant, avec l’actuel modèle de développement instauré depuis le milieu des années 80, la pression sur les ressources a augmenté en raison du soutien à l’agriculture gourmande en eau et aux industries épuisantes en eau, comme l’industrie du lavage de textile où le lavage d’un seul pantalon nécessite une quantité d’eau plus importante que la consommation quotidienne moyenne d’un individu. C’est aussi le cas de l’appui au secteur touristique dans les régions côtières où les interruptions d’eau sont fréquentes pour les ménages tandis que l’approvisionnement en eau des hôtels se poursuit selon un rythme normal ».

En conclusion, le FTDES affirme que “la crise de l’eau en Tunisie n’est pas simplement une crise de sécheresse et de manque de ressources, mais aussi une crise de modèle de développement et de choix politiques défaillants”.