EducationMohamed Ali Boughdiri, n’a pas été gâté depuis sa nomination en tant que ministre de l’Education nationale le 30 janvier 2022. Nommé à la tête d’un ministère à forte employabilité doté de syndicats puissants, le ministre a atterri sur un terrain miné et a dû déployer de grands efforts pour trouver un accord avec les syndicats qui ont démarré l’année scolaire avec des revendications.

Radioscopie d’un conflit destructeur pour des centaines de milliers d’écoliers dans l’entretien ci-après, en deux parties, avec le ministre qui nous parle aussi de ses projets pour l’éducation nationale. (2ème partie)

Vous pensez que les enseignants contractuels ont le niveau requis pour instruire notre progéniture lorsque nous doutons même du niveau des enseignants confirmés et avons-nous besoins d’autant d’enseignants ?

Nous estimons important de régulariser la situation des contractuels. Nous avons mis en place un programme pour des formations- très importante pour l’amélioration du niveau des enseignants- à l’adresse de 20.000 contractuels.

Les contractuels déploient d’énormes efforts pour assurer malgré leurs conditions de vie difficiles. J’estime que l’un des points les plus importants à débattre dans les négociations avec les syndicats est celui relatif aux contractuels car il est indigne pour un professeur de percevoir son salaire entier alors que son collègue qui fait le même travail perçoit tout juste le quart.

C’est une situation très humiliante parce que s’agissant de dignité, il n’y a pas de mesure et de demi-mesure. Ceci dit, nous avons approuvé presque tous les points inclus dans les négociations. Des revendications financières à effet rétroactif, ce qui n’était pas le cas avec mes prédécesseurs.

Je voudrais à ce propos rendre hommage à la ministre des Finances qui nous a beaucoup aidés. C’est ce qui nous a permis de signer l’accord avec le syndicat de l’enseignement secondaire, ce qui n’a pas été le cas avec celui de l’enseignement de base.

J’ai d’ailleurs été abasourdi par les écrits virulents attaquant l’accord sur Facebook alors que nous avons convenu de tout lors de notre réunion au ministère. La question qui me tourmente est : comment des enseignants peuvent prendre des vacances, profiter de l’été alors qu’ils ont laissé leurs élèves dans le noir sans évaluation.

Les élèves de la 6ème année primaire vont rejoindre les collèges sans être édifiés sur leur niveau, est-ce digne d’un enseignant ? Nous avons été éduqués par des enseignants qui prenaient sur leur temps libre pour nous transmettre la connaissance et le savoir considérant que leur mission était sacrée. Je voudrais aussi rappeler que les vacances sont pour les élèves et non pour les enseignants. Dans la fonction publique, le congé ne doit pas dépasser un mois mais on laisse faire parce que nous sommes conscients des efforts fournis par les instituteurs.

L’enseignant doit être à l’abri du besoin, mais choisir l’escalade n’est pas la solution

Qu’est ce qui explique la posture de refus des syndicats de l’enseignement de base selon vous ?

Voyons tout d’abord la situation du pays. Nous rencontrons des difficultés financières énormes et nous devons rembourser nos dettes à l’international. Nous aurons à rembourser 8945 MTND d’ici la fin de l’année avec un faible taux de croissance économique.

Le syndicat de l’enseignement de base a rejeté nos propositions et est allé jusqu’au recours en justice contre le ministère. C’est dommage. Je suis un pur produit du secteur de l’éducation et je sais faire la différence entre les enseignants responsables et consciencieux faisant prévaloir l’intérêt général sur le leur et les professionnels de l’escalade et de la surenchère.

60.000 instituteurs ont remis les notes, ont adhéré aux demandes de leur administration et ont répondu aux attentes des élèves et parents. Parmi les 4.600 directeurs, 300 n’ont pas respecté les directives du ministère et là, il va falloir déterminer les responsabilités et définir les rôles. Et là, une question se pose :  revient-il à des directeurs d’écoles et de collèges d’agir ainsi ? Nous sommes conscients du rôle de l’enseignant et de son mérite car nous lui livrons nos enfants pour en faire les meilleurs citoyens de demain et parce que sa responsabilité est grande, il n’a pas le droit d’agir de la sorte.

Nous voulions trouver des solutions et rassurer les parents, mais la rétention des notes a privé les élèves d’évaluations essentielles

Nous voulons que l’enseignant soit à l’abri du besoin, il n’a pas à dispenser des cours particuliers pour arrondir ses fins de mois mais est-ce-à dire que l’on doive choisir l’escalade ?

Outre la régularisation et l’amélioration des émoluments des suppléants, nous nous sommes mis d’accord avec le syndicat de l’enseignement secondaire pour augmenter le salaire de base de 300 dinars sur trois ans au titre de l’augmentation des charges pédagogiques dont le montant net est de 180 dinars versables à partir de janvier 2026/2027/2028.

C’est ce qu’a refusé le syndicat de l’enseignement de base, exigeant le tout et tout de suite ce qui n’est pas dans les moyens de l’Etat aujourd’hui. A relever que je n’ai pas conduit les négociations tout seul, je me suis appuyé sur l’expertise et les compétences du ministère desquelles j’ai beaucoup appris.

Nous avons approuvé presque tous les points inclus dans les négociations, mais les ressources budgétaires sont limitées

Etes-vous appuyé par le gouvernement et le président dans les décisions que vous avez prises de geler les salaires et de sanctionner les contrevenants ?

Je vous l’ai déjà mentionné. Je ne prends aucune décision sans consulter le gouvernement et sans que le président soit au courant. Le président est professeur de droit constitutionnel, il connaît bien le droit et respecte les lois et ce dont il s’agit aujourd’hui relève de la plus grande importance car il s’agit des générations qui gouverneront la Tunisie de demain.

Le président place l’intérêt du peuple et du pays au-dessus de tout autre intérêt. Imaginez que nous nous soumettions aux exigences du syndicat de l’enseignement de base, nous serons alors obligés de répondre à toutes les revendications y compris celles de l’enseignement secondaire et de la fonction publique. Notre pays en a-t-il les moyens ?

C’est à cette question que doivent répondre les syndicats réfractaires, ça n’est nullement personnel. La bonne volonté est là, les moyens non. Quant au recours en justice, c’est leur droit. Les services juridiques du ministère sont là pour défendre ses intérêts. Mais il ne faut surtout pas croire que nous nous rétracterons ou que les contrevenants ne seront pas sanctionnés. Nous ne reculerons pas même si nous considérons les enseignants comme le pilier du pays. Il s’agit là de la capacité de l’Etat de préserver les intérêts supérieurs de la nation.

Entretien conduit par Amel Belhadj Ali