Mohamed salah LaaroussiDe la discussion jaillit la lumière. Une porte de sortie pour une presse imprimée en souffrance, c’est ce qu’espère Mohamed Laroussi Ben Salah, secrétaire général de la Fédération tunisienne des directeurs de journaux. Depuis la conquête de l’espace médiatique par les réseaux sociaux et la presse électronique, les journaux papier et magazines, dans une lutte inégale, continuent de faire face à une baisse des ventes, ce qui se traduit par une baisse des revenus, la disparition de nombreux titres et la fermeture de centaines de kiosque à journaux. Entretien avec le SG de la FTDJ.

Que peut être le devenir de la presse écrite face à l’invasion des médias numériques et des réseaux sociaux ?

Mohamed Laroussi Ben Salah : Précisons en premier lieu que, par presse écrite, nous entendons la presse imprimée et la presse numérique. A partir de là, je ne veux pas être un oiseau de mauvais augure, mais je peux tout simplement dire que la vie de la presse imprimée est difficile, très difficile même, au vu des conditions actuelles qui sont connues de tous, et des perspectives qui, pour le moins qu’on puisse dire, sont sombres.

Il y a des solutions pouvant maintenir en vie la presse imprimée pour un plus grand nombre d’années, par intubation, dites-vous, perfusion, etc., l’essentiel est que « le patient » soit maintenu en vie.

Je reviens encore une fois à la revendication qu’on ne cesse de brandir depuis près de dix ans, que l’Etat, à travers ses différentes structures, reprenne l’achat des journaux, tel que prévu dans le budget. 3 millions de dinars tunisiens (MDT) par an peuvent donner une bien bonne bouffée d’oxygène à notre « patient », à condition, bien sûr et j’insiste là-dessus, que les 3 MDT de aillent exclusivement à cet achat.

Je reprends aussi la revendication d’une distribution transparente et équitable de l’enveloppe des annonces publiques estimée à 20 MDT par an.

C’est certes un minimum, mais c’est une assurance, une garantie qui entraînerait les entreprises publiques mais aussi et surtout les privés à s’investir dans le soutien à la presse imprimée.

Là où le bât blesse, c’est que le « patient » tarde à adhérer aux solutions. J’entends qu’au niveau du contenu, il y a beaucoup à faire, innover et exercer beaucoup plus d’attraction.

D’autre part, nous assistons à un conflit imprimée-numérique dans la mesure où des journalistes de l’imprimée refusent d’écrire pour le numérique et vice versa.

Dans d’autres contrées, le vase communiquant, qui a été établi entre les deux presses, a largement contribué à leur développement mutuel.

Le réseau de distribution est à bout de souffle, parce qu’il a tout simplement vieilli

Comment un réseau de distribution à bout de souffle pourrait-il contribuer à sauver la presse écrite, selon vous ?

C’est vrai que le réseau de distribution est à bout de souffle, parce qu’il a tout simplement vieilli. Il remonte à cette belle époque des crieurs, des étalages, des lecteurs qui se bousculaient pour acheter leurs exemplaires.

Cette époque est à mon avis révolue. Il faut inventer une autre. Je n’ai pas d’idée personnellement mais je peux citer le cas de plusieurs pays, dont des pays arabes, où votre journal vous est livré à domicile, une heure après sa sortie de l’imprimerie.

La FTDJ (Fédération tunisienne des directeurs des journaux, ndlr) avait créé, en 2015, une coopérative de distribution dans la perspective justement de repenser le réseau. Mais, comme je vous le disais tantôt, le secteur est conservateur, il ne veut point quitter cette zone qui lui semble confortable. Le projet n’a pas réussi à cause justement de la défection de certains confrères, entre autres.

La FTDJ se démène sur plusieurs fronts : sauver la presse imprimée, s’engager sur le numérique et y adhérer pleinement

Quel est le rôle de la fédération des directeurs de journaux dans la consolidation de la place de la presse écrite dans un paysage médiatique qui se développe à grande vitesse et qui mute de manière exponentielle ?

La FTDJ se démène sur plusieurs fronts : sauver la presse imprimée, d’une part, ou, au moins, ce qu’il en reste, d’autre part, s’engager sur le numérique et y adhérer pleinement.

Je vous avais cité les revendications que la Fédération ne cesse de brandir à l’intention des autorités publiques. Par souci d’honnêteté, je dois citer la mesure de soutien que le gouvernement (Si Habib Essid) avait bien voulu accorder aux entreprises de la presse écrite, consistant en la prise en charge, par l’Etat, de la cotisation patronale dans le régime légal de la CNSS de 2017 à 2021, prolongée (Mme Bouden) à 2022 et 2023, le soutien à l’occasion du Covid-19 mais qui a profité à quelques entreprises seulement au vu des conditions draconiennes d’octroi des aides.

La FTDJ travaille aussi sur des alternatives ou des supplétifs qui peuvent soulager les trésoreries.

Côté numérique, la FTDJ a plusieurs projets. D’abord, TTPresse, lancé en partenariat avec Tunisie Telecom, mais qui n’a pas été à la mesure des attentes.

Deux, la Fédération a préparé avec un fournisseur étranger une application dite “Abonnements Numériques”. Elle a été conçue à la faveur du Covid-19, pour remplacer, au fur et à mesure, l’ancienne formule des abonnements papier.

Trois, elle a mis au point une application dite « Kiosque éditeur », celle-là même qui offre la possibilité de vendre des articles sur la toile.

Dans le cadre de ces deux applications, la Fédération négocie des accords qui, s’ils aboutissent, peuvent guérir le « patient ».

Quatre, nous avons déjà un décret-loi, datant de juin 2020, stipulant la création d’un Fonds de digitalisation de la presse écrite, auquel est alloué 5 MDT par an. Le projet date de 2017 et bien entendu, les textes d’application tardent à venir.

Nous revendiquons qu’il y ait un ministère de la Communication et une agence pour gérer, dans la transparence, cette histoire d’abonnements, d’annonces publiques et de transition digitale

A combien estimez-vous le recul de la presse écrite imprimée sur les 10 dernières années ?

Je vous disais tout à l’heure que notre secteur est conservateur et qu’il continue de s’agripper à une quelconque zone de confort. A partir de là, on peut dire que le secteur enregistre, justement, du retard. Regardez-les “UNES” de cette semaine par exemple, et comparez-les avec celles d’il y a cinq ans.

La Fédération a-t-elle mis en place un plan d’action pour le sauvetage des titres nationaux, notamment ceux emblématiques comme La Presse de Tunisie et Assabah ?

Pour emblématiques, il n’y a pas que La Presse et Assabah qui sont nés, rappelons-le, avant l’indépendance. Que dira-t-on de ceux qui sont nés après et qui ont beaucoup souffert ?

A l’actif de la FTDJ, en parfaite coordination d’ailleurs avec le Syndicat national des journalistes et la Fédération de l’information de l’UGTT, et à l’intention de tous les titres, la revendication des abonnements (papier et numérique), les annonces publiques ainsi que la transition digitale. Nos confrères de La Presse et d’Assabah ont déjà des propositions que la FTDJ appuie et défend, mais personne ne les écoute malheureusement.

Y a-t-il eu des concertations avec les pouvoirs publics pour appuyer les médias écrits ? Quelles mesures, si mesures il y a ?

Le problème est qu’il n’y a pas de vis-à-vis avec qui se concerter. Je veux dire un vis-à-vis permanent, qui assure le suivi des dossiers, qui fait le point sur les concertations, qui relance les revendications du secteur auprès du gouvernement, qui intervient ici et là pour faciliter l’exercice de la profession, qui prend des décisions.

Pour les dossiers que j’ai soulevés plus haut, nous avons rencontré tous les chefs de gouvernement depuis Si Habib Essid, tous les ministres des Finances depuis Si Elyes Fakhfakh, tous les ministres des Affaires sociales depuis Si Ammar Yombai. Sans compter les conseillers, les DG et autres fonctionnaires.

A l’heure qu’il est, personne ne nous reçoit. Le ministre des Technologies de la communication n’a jamais répondu à nos demandes d’audience ; le président de l’ISIE aussi. C’est pourquoi nous revendiquons qu’il y ait un ministère de la Communication. Ajoutez-le à celui de la Culture comme en France, aux TIC comme dans d’autres pays, on n’est pas plus démocrates qu’eux.

Nous n’avons ni peur ni honte de le revendiquer tout comme une agence pour gérer, dans la transparence, cette histoire d’abonnements, d’annonces publiques et de transition digitale.

Et que ceux qui craignent « le retour des instructions » ne s’y baignent pas, car tôt ou tard, ils finiront par être découverts comme le sont certains maintenant, malgré l’absence du ministère de la Communication ou de l’Information.

Entretien réalisé par Amel Belhadj Ali