Le déficit pluviométrique qu’a connu la Tunisie, aux mois de décembre 2022 et de janvier 2023, a appris, brutalement, aux Tunisiens que l’apport en eau de la quarantaine de barrages qu’ils ont construits, depuis l’accès du pays à l’indépendant en 1956, est limité. Le stockage de l’eau dans ces ouvrages s’est avéré insuffisant pour les prémunir, de manière durable, contre les pénuries d’eau, que cette dernière soit destinée à l’alimentation en eau potable ou à l’irrigation des cultures.

La décision annoncée à gorge déployée, fin mars 2023, par les responsables du secteur de l’eau (ministère de l’Agriculture, SONEDE…) de rationner l’eau et d’en limiter l’usage, jusqu’au mois de septembre prochain, en dit long sur la gravité de la situation et sur l’urgence qu’il y a à trouver des solutions alternatives. Le principe étant : chaque crise porte en elle des opportunités pour s’en sortir.

Les solutions ne manquent pas mais…

Théoriquement, les solutions technologiques existent. La seule problématique qu’elles posent c’est leur coût financier et leur coût environnemental.

Parmi les solutions sur lesquelles les autorités hydrologiques ont commencé à cogiter sérieusement, il y a lieu de citer le dessalement d’eau de mer et des eaux saumâtres, le traitement des eaux usées (EUT), l’ensemencement des nuages, le stockage souterrain de l’eau (barrages souterrains), l’aménagement de bassines (barrages de rétentions), retenues collinaires.

Il y a également la technologie des centrales solaires flottantes à installer sur la surface du plan d’eau des barrages. Cette technologie a pour avantage d’économiser de l’eau et d’empêcher son évaporation.

Et pour ne rien oublier, il y a le captage des résurgences, ressources d’eau douce localisées dans la mer que l’homme peut utiliser pour se procurer de l’eau potable. La technologie pour les capter est disponible.

C’est pour dire que les solutions ne manquent pas pour s’adapter au réchauffement climatique et pour remédier, de manière acceptable pour la population, à la survenance de périodes de sécheresses estivales ou hivernales.

La problématique principale qui empêche la Tunisie de profiter efficacement de ces solutions, on ne le dira jamais assez, c’est la mauvaise gouvernance du secteur, c’est l’incompétence de nos hydrologues officiels, c’est leur tendance à opter, de manière irréfléchie, pour les technologies les plus coûteuses et les plus polluantes.

Ces mêmes hydrologues qui ont pris le pli, lors des régimes de Bourguiba et de Ben Ali mais aussi de la Troïka, d’agir en toute impunité et en l’absence de toute redevabilité, parlent ces derniers-jours de l’option, presqu’exclusive, pour le dessalement d’eau de mer.

Le risque, c’est qu’on peut tomber un jour dans le même piège que les barrages qui, en plus de leur impact négatif sur l’écosystème, ne fournissent que 20% des besoins du pays, alors qu’on nous a fait croire, des décennies durant, qu’avec une quarantaine de barrages, on était à l’abri des pénuries d’eau.

Pour revenir au dessalement d’eau de mer, de toutes les technologies disponibles, celle dont les pays en développement sont enclins à l’acquérir présente le désavantage d’être énergivore et menaçante pour la biodiversité marine. Plusieurs espèces de poissons peuvent être menacées de disparition à cause du déversement de sel et de minéraux indésirables dans la mer.

Les experts pensent autrement

Plus grave, selon les experts, dont le directeur central de l’UGP (unité de gestion de projet) de la station de dessalement de l’eau de mer Zarat (Gabès), Fethi Kamel, le coût de dessalement d’un mètre cube d’eau de mer avoisine les 3 dinars (NDLR : presque trois fois celui produit par les barrages). La part de l’énergie représente 40% du coût, l’amortissement 40%, l’entretien 10% et le reste de composantes, 10%.

Interpellé sur le bien-fondé de cette option pour le dessalement d’eau de mer, Raoudha Gafrej, ingénieure, universitaire, docteur en sciences de la terre et consultante, estime qu’«on ne doit recourir à cette technologie qu’en cas d’extrême besoin et d’extrême nécessité (cas de l’île de Djerba). Et même lorsqu’on doit y recourir, il faut opter pour les stations de dessalement de grande capacités ou mobiles pour certaines zones. La mobilité rend moins coûteux le dessalement ».

Il faut reconnaître que depuis les émeutes du mois de décembre 2010 et janvier 2011, il y a, heureusement, ces merveilleux scientifiques qui ont le grand mérite de tenir un autre langage et nous éclairer sur les tenants et aboutissants réels des projets structurants dans le pays.

Ceci n’empêche que la race des hydrologues formatés à l’ancienne école a la peau dure. Elle continue à décider. Pour preuve, le PDG de la SONEDE pavoise, ces derniers temps, dans les médias pour dire que l’entreprise a programmé plusieurs stations de dessalement d’eau de mer, sans préciser, pour des raisons de coût, si ces stations vont fonctionner à l’énergie fossile ou verte.

La première station est déjà opérationnelle. Il s’agit de la station de Djerba, d’une capacité de 50 000 m3/j extensible à 75 000 m3/j. D’autres stations sont en cours de réalisation. Il s’agit des stations de Sousse d’une capacité de 100 000 m3/j, de Zarat à Gabès d’une même capacité (100 000m3/j) et de Sfax, d’une capacité prévue de 200 000 m3/j.

Espérons que ce n’est qu’une question de temps pour voir les autorités du pays traiter un sujet aussi grave que celui de l’eau en partenariat avec les scientifiques et la société civile.