Désespérée de trouver, auprès du ministère de l’Agriculture et de ses ingénieurs hydrologues, une quelconque réaction positive à ses critiques, pourtant fondées, sur les fausses pistes suivies jusqu’ici en matière de gestion de l’eau en Tunisie, Raoudha Gafrej, ingénieur, universitaire et consultante auprès de la Banque mondiale, a multiplié, ces derniers temps, les interventions en public et dans les médias pour sensibiliser l’opinion publique à l’extrême gravité de la situation et pour demander, indirectement, au président de la République d’intervenir.

Barrage ART IAElle estime que les problématiques du stress hydrique ne relèvent plus seulement, comme elle l’avait signalé, auparavant, tout autant que d’autres experts d’ailleurs, de la mauvaise gouvernance du secteur de l’eau et de la pression du réchauffement climatique, mais de l’absence de volonté politique pour prendre, en temps opportun, les bonnes décisions. Et ces décisions sont, pour l’experte, « par excellence politiques ».

Le stress hydrique est une affaire politique

Pour l’experte, “la situation est très très grave”. Quand tout le monde parle de crise, elle préfère parler de “situation d’hémorragie”. « Nous ne pouvons pas continuer de la sorte. Nous devons avoir un plan d’urgence. Nous sommes en état d’urgence », a-t-elle martelé.

Et pour cause : « dans les mois qui viennent, la Tunisie va vivre des périodes de sécheresses plus longues dont certaines seraient des sécheresses extrêmes. Cela veut dire que le modèle de gestion de nos ressources en eau doit totalement changer en urgence ».

C’est la raison pour laquelle, relève-t-elle, qu’« il n’y a que des autorités de haut niveau qui puissent arrêter l’hémorragie. Ces dernières, avant de prendre des décisions, doivent comprendre d’abord la situation réelle du secteur. Pour ce faire, elles ont intérêt à ne pas écouter l’administration, parce que cette dernière fait ce qu’elle peut et les moyens dont elle dispose ne lui permettent pas d’exécuter ses fonctions correctement. Ces mêmes hautes autorités doivent écouter, en revanche, la société civile, les experts, les chercheurs, les industriels », a-t-elle dit lors d’une table organisée récemment sur le thème : « Stress hydrique et souveraineté alimentaire ».

Les eaux souterraines risquent de s’épuiser totalement

Raoudha Gafrej s’inquiète, particulièrement, de la surexploitation anarchique des nappes souterraines. Lors d’une interview accordée à la radio privée Mosaïque FM, elle a révélé que le nombre des forages anarchiques s’élève à 21.290 dont 10.000 dans la seule région de Kébili (chiffres de 2020).

A l’origine de cette surexploitation, elle a pointé du doigt les lobbys des cultures irriguées à haute valeur marchande à l’export (produits de terroir, primeurs…). A titre indicatif, « une datte produite par un palmier dattier irrigué nécessite à elle seule 50 litres d’eau », a-t-elle dit.

Autre révélation de l’experte : « contrairement aux autres activités agricoles, les cultures irriguées, qui accapareraient à elles seules 75% du volume d’eau disponible dans le pays, n’ont jamais été affectées par la pénurie d’eau. Les eaux destinées à ces cultures n’ont pas diminué, et ce depuis 2015 ».

Solution urgentes

Au rayon des solutions, Raoudha Gafrej propose au préalable une appréhension philosophique de l’élément eau. « L’eau, dit-elle, c’est l’élément structurant de la vie. C’est l’élément structurant de tout ».

Et l’experte de poursuivre : « Dieu nous a appris également qu’étant une ressource dont dépend la vie, elle ne doit pas être accessible librement. Il faut qu’il y ait un minimum de contrôle ».

Elle propose de sécuriser en priorité l’eau : « l’eau est une ressource nationale. Mieux, l’eau vous ne pouvez pas la produire. L’eau est quelque chose de rare et de précieux. Il faut la protéger et en contrôler l’accès et l’usage ».

En urgence, elle insiste sur l’enjeu de travailler sur la recharge des nappes souterraines. L’experte considère que le plus grand réservoir d’eau c’est le sol qui permet de retenir l’eau pour la production pluviale ».

Concernant les forages anarchiques, elle suggère d’appliquer la loi et de fermer les forages illicites. Elle propose, également, la suppression des cultures qui consomment beaucoup d’eau (tomates, fraises…), et surtout la responsabilisation des consommateurs en augmentant la tarification et en rationalisant la consommation.

A cette fin, elle recommande, comme c’est le cas pour la téléphonie mobile, d’opter pour les compteurs d’eau à carte. L’objectif est de dissuader toute forme de gaspillage. Selon l’experte, cette technique de comptabilisation de l’eau est appliquée avec succès dans un pays plus pauvre que la Tunisie : les îles Comores.

A bon entendeur.