Les injonctions très dures adressées, en ce mois de mars 2023, par les chefs de la diplomatie américaine et européenne au président tunisien, Kaïs Saied, l’accusant de faire reculer la transition démocratique et de mener le pays vers l’inconnu, ont suscité beaucoup d’interrogations.

Les observateurs de la chose publique tunisienne se sont interrogés sur l’indécence de ces déclarations agressives et sur les véritables raisons, voire sur le non-dit qui a poussé Américains et Européens à lever le ton contre le pouvoir en place en Tunisie, à lui chercher carrément la petite bête et à œuvrer à le déstabiliser.

Elu démocratiquement, Kaïs Saïed dérange les démocrates occidentaux

Pour eux, la question a été également de savoir, au nom de quel ordre international, Américains et Européens se sont arrogés le droit de dicter à un président élu démocratiquement –bien élu démocratiquement- telle ou telle conduite, telle ou telle réforme.

Quelque part, ces injonctions-sommations américano-européennes rappellent étrangement, d’après certains d’entre eux, les préparatifs qui ont précédé l’invasion inique de pays souverains comme l’Irak, la Libye, la Syrie, le Yémen, la Somalie, sachant qu’aucun de ces pays n’a (presque) pas attaqué les occidentaux et n’a jamais formulé une quelconque hostilité à leur égard.

De surcroît, notent ces mêmes observateurs, en dépit de la garantie de la liberté d’expression et de la liberté de circulation en Tunisie, aucun mouvement d’opposition à Kaïs Saïed, y compris celui des islamistes amis et alliés des Occidentaux, ne s’est imposé
comme une figure populaire crédible auprès du peuple tunisien.

Pour preuve, selon le dernier sondage effectué au mois de février 2023 par le cabinet Emrhod consulting, le président Saïed demeure populaire. « 65% des sondés voteraient pour lui lors de la présidentielle dès le premier tour tandis que 64% des Tunisiens se déclarent optimistes pour l’avenir du pays, contre 28% qui se disent pessimistes ».

Il y a là tant d’arguments qui prouvent que les interrogations des observateurs relèvent du bons sens et sont légitimes, d’autant plus que l’Occident libéral, à travers les guerres asymétriques et injustifiées engagées à travers le monde et les désastres qu’elles ont occasionnés partout (Afghanistan, Vietnam, Irak, Syrie, Somalie, Yemen, Libye…), a terni son image et sa crédibilité…

D’ailleurs, c’est à cause de cette tendance belliqueuse de l’Occident que la configuration du
monde est en train de changer avec l’émergence d’autres groupements tels que le BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud). Ces cinq pays seront rejoints bientôt par une puissance régionale nord-africaine l’Algérie.

Plus intéressant encore, dans la littérature constitutive de cette zone (BRICS) on parle de la création d’un nouveau Fonds mondial international, une façon de contourner les difficultés et conditionnalités exigées pour accéder aux facilités de crédit de l’actuel FMI.

Résultat attendu pour les Tunisiens : l’évolution de la configuration du monde ou ce qui est convenu d’appeler la nouvelle géostratégie joue en faveur de l’indépendance de décision des pays coincés comme la Tunisie.

Et c’est là, peut-être, une des deux raisons principales qui expliquent, du moins de notre point de vue, l’irritation, la nervosité et l’animosité des Occidentaux à l’endroit du pouvoir en place en Tunisie.

Le non dit de l’irritation des occidentaux

La première raison serait que le président populiste, conservateur et nationaliste, Kaïs Saïed, n’est plus le profil des présidents tunisiens auxquels les Occidentaux ont eu l’habitude de traiter avec, depuis l’accès du pays à l’indépendance. C’est désormais un autre profil.

Ils ne peuvent plus comme avant utiliser la Tunisie comme un élève soumis pour expérimenter leurs projets destructeurs et déstabilisateurs.

Il n’est pas besoin de rappeler qu’en 2011, la Tunisie a été retenue par ces mêmes Occidentaux comme le pays le plus faible à partir duquel ils pouvaient enclencher le processus du « Printemps arabe ».

Conséquence : il n’est pas étonnant qu’ils pourraient mijoter un nouveau projet pour déstabiliser la région, ciblant cette fois ci l’Algérie, à partir de la Tunisie. Et ce pour une raison simple : avec la guerre russo-ukrainienne, l’Algérie, qui s’apprête en plus
à adhérer au BRICS, joue désormais un rôle clef dans l’alimentation en gaz naturel de l’Union européenne, principal allié des Etats-unis.

La deuxième raison serait la récente intervention de la Chine en faveur de la souveraineté de la Tunisie et de l’indépendance de ses décisions. Lors d’une rencontre organisée le 17 mars 2023, avec les médias tunisiens, l’ambassadeur de Chine à Tunis, Wan Li, a déclaré que son pays «s’oppose catégoriquement et fermement à toute forme d’ingérence dans les affaires intérieures de la Tunisie».

Le diplomate chinois n’a rien inventé en fait. Il a rappelé la position exprimée par le président chinois Xi Jinping lors de sa rencontre avec le président Kaïs Saïed, le 9 décembre 2022 à Riyadh (Arabe Seoudite) en marge du Sommet arabo-chinois de Riyad pour la coopération et le développement.

Dans le communiqué publié par la partie chinoise à l’issue de cette rencontre, on y lit particulièrement : « Xi Jinping a souligné que la Chine soutenait fermement la voie de développement de la Tunisie conformément à ses propres conditions nationales et s’opposait à l’ingérence de forces extérieures dans les affaires internes de la Tunisie. La partie chinoise est convaincue que la Tunisie a la sagesse et la capacité de maintenir la stabilité et le développement nationaux ».

Signe d’une future évolution positive des relations des deux pays, à l’issue de cette rencontre, le président de la République a invité Xi Jinping à venir en Tunisie, et il a également reçu une invitation officielle de son homologue chinois pour se rendre à Pékin.

Morale de l’histoire : c’est probablement ce rapprochement tuniso-chinois et son corollaire l’accès de la Chine à l’espace géostratégique tunisien, réputé pour être la chasse gardée des Etats-Unis et des Européens, qui auraient le plus exaspéré et irrité les Américains et les Européens.

L’atout majeur de la Tunisie, son emplacement géographique

Il n’est pas inutile de rappeler ici que la Tunisie jouit d’un emplacement géostratégique au milieu de la Méditerranée et même au milieu du monde dans les deux sens Est-Ouest et Nord-Sud, ce qui lui permet de jouer un rôle déterminant dans le contrôle de la mobilité des migrants et des terroristes vers l’Europe, mais aussi celui des pipelines et les câbles sous marins qui acheminent l’énergie (gaz et électricité…) vers l’Europe.

Plus important encore, la récente découverte à l’est de la Méditerranée d’un gisement de gaz naturel offshore en quantités très importantes et au coût d’extraction très compétitif ainsi que les droits et facilités de poser les gazoducs sont de nature à appâter les grandes puissances et à les pousser à se bousculer dans la région. La donne stratégique de l’énergie et de l’indépendance en matière énergétique obligent.

La Tunisie, petit pays aux moyens modestes, ne peut pas en tirer profit directement mais peut s’associer à une grande puissance pour en tirer profit dans les limites de ses eaux territoriales, soit plus de 80 000 Km2, ce qui est loin d’être négligeable.

Cela pour dire que cet acharnement des Occidentaux à mettre à genoux la Tunisie de Kaïs Saïed n’est pas fortuit. Il masque des enjeux géostratégiques énergétiques et sécuritaires beaucoup plus importants. En vertu de ces enjeux, des puissances lointaines, comme la Chine et la Russie, déjà présentes en Libye et en Algérie, peuvent mettre un pied à terre en Tunisie, jusque-là chasse gardée du monde occidental.