Scientifiques, ingénieures et chercheuses, sociologues, communicatrices, historiennes et géographes, poétesses et romancières, informaticiennes, artistes et sportives, les Tunisiennes brillent de mille éclats. A l’université, 71% des étudiants en master et 67% des doctorants sont des femmes. Plus de 68% sont diplômés de l’enseignement supérieur (sciences, technologie, ingénierie et mathématiques), et elles représentent 55% des chercheurs.

Les femmes tunisiennes occupent-elles pour autant la place qu’elles méritent dans les premiers rangs de l’administration publique ou dans le secteur privé ?

« Selon le Global Gender Gap report 2020, publication du Forum économique mondial sur l’inégalité hommes-femmes, le classement de la Tunisie en matière d’égalité de genre a chuté, entre 2006 et 2020, du 90ème au 124ème rang, sur un total de 153 pays. La tendance de l’indice global se retrouve au niveau des sous-indices. La Tunisie passe ainsi du 97ème au 142ème rang en matière de participation économique et opportunités de travail, du 76ème au 106ème rang en matière d’éducation, et du 53ème au 67ème rang en matière de participation politique. Malgré son apparente bonne performance par rapport aux autres pays de la région MENA, la tendance de la femme tunisienne en Tunisie est alarmante, les acquis sont fragiles et le chemin vers l’égalité reste long », lis-t-on dans un papier publié par Antonius Verheijen, responsable pays de la Banque mondiale pour la Tunisie en 2020.

Malgré leurs résultats universitaires, les jeunes femmes pâtissent d’une faible intégration dans la vie économique. Au quatrième trimestre 2022, les taux de chômage masculin est de l’ordre de 12,9 % et celui féminin de 20,1%. Au quatrième trimestre 2022, le taux de chômage des diplômées femmes du supérieur est de l’ordre de 40,7%, celui des hommes de 17,6%.

Aux plus hauts postes de l’Etat et bien que la Tunisie se targue d’avoir pour chef de gouvernement une femme et 3 ministères techniques conduits par des femmes -en l’occurrence les ministères du Commerce, de l’Industrie et des Finances-, ainsi que les ministères de la Culture et bien évidemment celui de la Femme, seulement 5,8% des femmes employées dans l’administration publique occupent le poste de directrice générale. Rares sont aussi les femmes qui occupent les postes de PDG de grandes entreprises publiques telles la STEG, la SONEDE, l’ETAP ou l’Office des céréales.

Absence de politiques nationales encourageant l’entrepreneuriat féminin

Une étude réalisée par la Chambre nationale des femmes chefs d’entreprise (CNFCE) révèle que seulement 10,9 % des chefs d’entreprise en Tunisie sont des femmes entrepreneures. La Banque mondiale parle de 2,9 % entreprises tunisiennes uniquement dont le capital est à majorité féminin.

Plusieurs témoignages provenant de cheffes d’entreprises déplorent la réticence des banques à leur accorder des crédits sauf garanties du mari ou du père. Ceci sans parler de l’inégalité des salaires au Top management.

Pour la CNFCE, le nombre minime des femmes dans le secteur privé est dû à l’absence de politiques nationales pour l’entrepreneuriat féminin durable créateur de richesses économiques et sociales et à une culture non égalitaire et une discrimination de fait conjuguée à l’absence  l’aspect genre dans les organismes d’appui et les structures d’accompagnement.

Les gouvernants prennent le pouvoir et se succèdent, sans prendre en compte de l’intérêt d’une politique nationale au profit de l’entrepreneuriat féminin.

Des droits réels…

Depuis 2011, nous avons vu une représentativité figurative des femmes dans les grands partis au pouvoir. Qu’il s’agisse d’Ennahdha ou de Nidaa Tounes (parti de feu Béji Caïd Essebsi) auxquels ont succédé des partis fragmentés, on ne voit pas de femmes diriger des commissions parlementaires. Seule exception, Abir Moussi, présidente du PDL à avoir dirigé la commission sur l’énergie. A la défunte ARP, aucune réflexion n’a été apportée sur l’entreprenariat féminin, sachant qu’en 2014, nombre de cheffes d’entreprise ont été élues sur la liste du Nidaa Tounes.

La CNFCE regrette l’absence d’une loi transversale pour incarner le genre sur le plan stratégique de tous les ministères ou encore de structures propres au genre. Dans un pays qui se targue d’être pionnier dans les droits des femmes, on ne trouve pas d’études exhaustives sur les femmes cheffes d’entreprise, le profil de l’entrepreneure, les secteurs et les formes juridiques des entreprises féminines. Les femmes sont également lésées à cause des difficultés d’accès à l’information et aux marchés.

La Chambre nationale des femmes des cheffes d’entreprise appelle, depuis des années, à la mise en place d’un cadre institutionnel attractif facilitant l’entrepreneuriat féminin.

Ennahdha est passé par là !

Aujourd’hui, plus que jamais dans une Tunisie où on a essayé d’instaurer une culture rétrograde dès la prise du pouvoir par le parti islamiste Ennahdha, les acquis des femmes sont menacés, et sans prétendre avoir des données scientifiques sur le changement des mentalités, on observe dans les espaces publics des pratiques misogynes qu’on pensait révolues.

Les femmes cheffes d’entreprise appellent à la mise en place d’un cadre juridique innovant valorisant l’entrepreneuriat féminin et l’appropriation du capital chez les femmes.

Peut-on l’espérer avec Najla Bouden comme cheffe de gouvernement ?

https://blogs.worldbank.org/fr/arabvoices/status-women-tunisian-society-endangered