L’année 2022 a démarré avec un taux d’intérêt de 6,25%. Les trois ajustements opérés ont donné un taux directeur de 8% à fin décembre 2022. Il y a eu nombre de critiques visant le gouverneur de la BCT, mais avait-il le choix ? « Je ne défends pas le gouverneur, a affirmé Mongi Safra, économiste, mais je ne le vois pas ne pas l’augmenter dans l’année ».

Quel impact de cette augmentation sur le taux d’intérêt et quelles répercussions sur l’économie ?

« Lorsque nous arrivons à une inflation à 2 chiffres, il y a problème. Depuis 60 ans, il y a eu une seule année où nous avons eu une inflation à 2 chiffres, 13 %, en 1984. Et nous en avons tiré les enseignements. Depuis, les décideurs publics se sont promis de faire tout ce qui est en leur pouvoir pour éviter que ça se répète ».

L’inflation à 2 chiffres est mauvaise car elle aboutit à l’indexation des prix. Les acteurs économiques toutes catégories confondues indexent automatiquement, même les petits commerçants le font. En Tunisie, lorsque l’inflation est à 1 chiffre, elle dynamise l’économie et augmente la croissance. Les banques font des bénéfices parce leurs revenus sont calculés à prix courants et peuvent financer l’économie.

L’inflation est favorable au capital lorsqu’elle s’arrête à 1 chiffre, à 2 chiffres, tout le monde est perdant

8% d’inflation constituent un revenu important. L’inflation est favorable au capital lorsqu’elle s’arrête à 1 chiffre, à 2 chiffres, tout le monde est perdant, estime Mongi Safra, et c’est pour cela qu’il faut revenir à un seul chiffre aussi vite que possible et éviter un taux d’intérêt qui soit trop faible par rapport à l’inflation.

Un taux réel trop négatif peut éloigner du système des prix, et les gens vont commencer à anticiper leur consommation. Ils vont acheter des biens dont ils n’ont pas besoin, garder les devises au lieu de les convertir en dinars ; et dans notre pays, il y a l’équivalent de 12 milliards de dinars dans les comptes en devises des non-résidents.

Si le taux d’intérêt ne suit pas, il y a des craintes que les détenteurs des comptes ne convertissent pas leur monnaie et attendent une baisse du dinar. « C’est pour cela qu’il ne faut pas qu’il y ait trop d’écart entre le taux d’intérêt et l’inflation, sinon on décourage l’épargne et les gens vont acheter des immeubles, pas en Tunisie où on craint la fiscalité et les enquêtes des services des impôts. En revanche, les épargnants acquerront des titres. En 2022, la Bourse de Tunis, sans avoir fourni aucun effort et avec un impôt faible de 10%, a réalisé une croissance de 15,1% dans une économie qui fait 2,1% de croissance. Les détenteurs déplacent leurs biens alors que les fonds mis dans les banques de dépôts sont élevés.

il ne faut pas qu’il y ait trop d’écart entre le taux d’intérêt et l’inflation, sinon on décourage l’épargne et les gens vont acheter des immeubles

L’économie tunisienne n’est pas difficile à gérer, elle se caractérise par des dépôts à terme très élevés. Les dépôts à terme et les comptes épargnes sont de l’ordre de 54 milliards de dinars, les dépôts à vue sont de l’ordre de 26 milliards de dinars. Notre masse monétaire est à l’image des pays développés. La quasi-monnaie comme citée plus haut (dépôts à termes et épargne) est très élevée par rapport à la masse monétaire. 54 milliards de dinars conjugués à la monnaie scripturale, à des dépôts à vue de 26 milliards de dinars et aux 18 MDT de cash des billets en circulation sont importants. La quasi-monnaie fait plus de la moitié de la masse monétaire. Elle est tenue par des taux d’intérêt créditeurs qui la contiennent pour qu’elle ne soit pas convertie en cash, en devises, en biens immeubles, ou en actifs en Bourse ».

Ne plus augmenter le taux d’intérêt pour ne pas s’éloigner du système des prix

La BCT aurait pu se suffire d’augmenter le taux directeur de 0,5%, le gouverneur a préféré arrondir à un taux de 8 % en ajoutant 0,75%, ce n’est pas le plus grave, estime Mongi Safra. « Il s’agit aujourd’hui d’arrêter l’hémorragie et de ne pas aller au-delà de ce taux, pour ne pas s’éloigner du système des prix et aggraver la situation, car on peut se permettre 2 points d’intérêt négatif mais pas plus parce qu’il y a risque sur les dépôts à terme et la convertibilité du dinar. Les risques serait qu’au lieu de mettre à la disposition de l’économie un capital plus important et d’encourager l’essor économique, il y ait un impact sur la confiance des consommateurs et des investisseurs qui auraient peur du ralentissement économique ».

Notre masse monétaire est à l’image des pays développés. La quasi-monnaie est très élevée par rapport à la masse monétaire

Sur un tout autre volet, il faut rappeler le rôle central de la BCT en 2022 dans le financement du budget de l’Etat. Un refinancement qui a beaucoup augmenté par rapport à 2021. Cela a permis de contrôler la masse monétaire dans son ensemble, mais son usage a favorisé les crédits à l’Etat, négligeant le financement de l’économie et entravant sa croissance.

Le taux d’investissement a baissé à 16% du PIB. En 2012, il était à 24%. L’investissement public a baissé, le privé aussi. Les investissements privés stagnent et vont vers l’indirect, l’immobilier, le logement et tout ce qui est BTP.

En deux ans, la Tunisie a réalisé 6% de taux de croissance alors que la baisse due au Covid-19 était de 8,5%.

Résultat des courses : la une crise de l’investissement qui explique une croissance économique atone.

Les IDE ont baissé de moitié, même convertis en dinars. Ils sont passés de 3 à 1,5 milliard de dinars. Les taux de croissance actualisés récemment sont de l’ordre de 4,3% en 2021, de 2,2% (chiffre de la BCT) en 2022. En deux ans, la Tunisie a réalisé 6% de taux de croissance alors que la baisse due au Covid-19 était de 8,5%. Elle n’a même pas réussi le rebond et n’a pas retrouvé le niveau de croissance prés-Covid-19. L’effet rebond a profité à beaucoup de pays du monde sauf à la Tunisie et à deux ou trois autres pays.

A suivre

Amel Belhadj Ali

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