Mardi 3 janvier 2023 se voulait le jour des grandes annonces pour le gouvernement Bouden. Samir Saïed, son ministre de l’Economie et du Plan, y communique la stratégie de développement et de relance de l’économie nationale 2023-2025. Une annonce attendue, un programme espéré et ambitionné, mais à première vue, peu convaincant.

Voyons tout d’abord la forme.

Une conférence de presse pour présenter un plan aussi important où toute la formation gouvernementale a pour tâche de dévoiler le programme de développement pour les années 2023, 2024 et 2025 ne peut avoir une efficience maximale sur le plan communicationnel. Trop de présentations, trop d’informations mettent à rude épreuve la capacité d’absorption des journalistes et leurs aptitudes à classer ces informations de la plus à la moins importante.

Pire, un Etat en perte de vitesse et d’éclat ne doit-il pas, question de prestige, préserver ses dirigeants ? Des ministres défilant les uns après les autres, tels des étudiants studieux pour exposer leurs programmes respectifs sur les trois années à venir, cela porte un sacré coup au prestige de l’Etat.

Et puis, que de temps précieux de perdu alors qu’ils auraient pu chacun organiser une conférence de presse dans leurs propres départements, disposer de plus de temps, donner plus d’explications, étayer leurs arguments et répondre aux questions des médias sans être bousculés par le timing alloué à chacun.

En Tunisie, l’indice de développement régional en 2021 était de 0,462. Un Tunisien sur 5 vit sous le seuil de la pauvreté, soit 20% de la population totale

Passons maintenant au fond et à la présentation du ministre de l’Economie et de la Planification.

Prudence et réalisme ont été les maîtres mots dans l’élaboration du Plan de développement 2023-2025, a dit Samir Saïed. Nous voyons la prudence, nous la sentons tout au long de la présentation des axes du plan.

Le Plan de développement, à connotation sociale très prononcée, exprime parfaitement les desiderata du président de la République, soucieux, lui, de sauver le peuple de la pauvreté et du dénuement et de préserver l’image de “président des pauvres et des démunis“ tel Omar Ibnou Il Khattab, disciple du Prophète Mohammed.

La dimension réaliste du plan laisse toutefois à désirer. Car pour sauver tout le monde de la misère, il faut bien avoir des ressources correspondantes. Comment le faire sans créer de la richesse ?

En Tunisie, l’indice de développement régional en 2021 était de 0,462. Un (1) Tunisien sur 5 vit sous le seuil de la pauvreté, soit 20% de la population totale. En 2015, ce taux était de 15,2%. L’investissement ne cesse de reculer, et le secteur privé ne fait plus confiance à l’Etat.

3,8 milliards de dinars pour renforcer le potentiel humain et 10,7 milliards de dinars à investir dans l’économie

Pour faire face à autant de défis, le nouveau Plan de développement prévoit de consacrer 3,8 milliards de dinars au renforcement du capital humain. Il s’agit d’attaquer l’éducation et la formation, de faciliter l’accès aux prestations sociales et économiques, d’encourager la recherche au service de l’économie et d’instaurer les valeurs de citoyenneté.

1,8 milliard de dinars seront consacrés à l’économie du savoir. Les politiques sectorielles seront adaptées au développement de l’économie numérique. De plus grands efforts seront consentis dans la numérisation des services publics et la mise en ligne au profit des institutions et des particuliers des prestations.

Les investissements publics prévus dans les régions et les ministères sont de l’ordre de 38,296 milliards de dinars

Le Plan de développement donnera aux start-ups tunisiennes des incitations pour les aider à se distinguer et réussir aux niveaux régional et mondial.

Et 10,7 milliards de dinars sont programmés pour, entre autres, appuyer l’initiative privée et l’économie.

Le plan vise, au même titre, à instaurer la justice sociale et y consacre 1,3 milliard de dinars, ainsi que 3 milliards de dinars au développement régional et à l’aménagement intégré du territoire.

Les investissements publics prévus dans les régions et les ministères sont de l’ordre de 38,296 milliards de dinars et dans les secteurs 41,089 milliards de dinars.

Les buts à atteindre d’ici 2025 sont les suivants :

  • un taux de croissance de 2,1%
  • un taux d’investissement de 17,8% du PNB
  • une augmentation des taux d’investissement privés d’ici 2025 pour atteindre les 57,6%
  • une augmentation des exportations à 45%
  • une réduction du taux de chômage à 14%.

D’autres montants et d’autres chiffres ont étoffé la présentation de Samir Saïed, sauf que comme mentionné plus haut, la dimension réaliste reste absente car dans un Plan de développement, nous ne pouvons parler que d’évaluations, pas de chiffres et de montants précis.

Comment convaincre une région comme Gafsa que le fait de stopper la production ou le transport du phosphate est nuisible au pays

Quelles sont les chances de réaliser le plan défendu par le gouvernement Bouden ?

Dans un pays qui vit une détresse financière sans précédent, qui n’arrive pas à convaincre les bailleurs de fonds de lui accorder de nouvelles lignes de crédit, qui ne peut pas sortir sur le marché international, comment garantir la disponibilité des ressources pour cette équité sociale, cette croissance économique et ce bien-être tant souhaités ?

Comment rétablir la confiance avec des investisseurs privés qui, d’année en année, voient leur patrimoine entrepreneurial péricliter et l’Etat les abandonner ?

Comment convaincre une région comme Gafsa que le fait de stopper la production ou le transport du phosphate est nuisible au pays et ne sert pas les intérêts de la population sur place ?

Comment convaincre les jeunes dont le seul objectif est d’intégrer la fonction publique quitte à rester chômeurs toute une vie qu’il y a d’autres alternatives ?

C’est à ces questions que nous aurions aimé que Samir Saïed réponde. Il ne l’a pas fait. Il ne pouvait peut-être pas le faire.

Amel Belhadj Ali