Tout développement de la situation générale en Algérie et en Libye devrait faire impérativement l’objet d’une grande attention de la part des responsables tunisiens. Et pour cause, ces deux pays voisins constituent non seulement un débouché naturel pour l’économie du pays mais également des zones hautement stratégiques pour la garantie de notre sécurité.

Abou SARRA

C’est la raison pour laquelle les spécialistes des relations tuniso-algériennes et tuniso-libyennes se doivent, de par leur métier, s’informer et décrypter, dans les moindres détails, les nouveautés géostratégiques qui surviennent dans ces deux pays et analyser en profondeur leur impact sur la Tunisie.

Dans cet esprit, Libyan Affairs, revue bimensuelle trilingue (arabe, français et anglais) spécialisée dans le dossier de la Libye et du Maghreb en général, constitue, de par la qualité des contributions de chercheurs et autres spécialistes qu’elle publie, une publication de référence pour s’informer des développements de la situation dans la région.

Son 25ème numéro, qui vient de paraître, comporte des articles de grande facture. On peut notamment citer : « Algérie-Russie : des relations au beau fixe » de Laurent Allais (géostratège polyvalent) ; « Le rapprochement turco-émirati et ses conséquences sur le conflit en Libye » de Rachid Khechana, (journaliste-écrivain et rédacteur en chef de la publication) ; « La Libye, des Ottomans à Daech, 1835-2016 » d’André Martel (spécialiste français de la Libye) ; « The End of the Middle East : Haow, an old map Distorts a new reality » de Marc Lynch (professeur de sciences politiques et d’affaires internationales à l’Université George Washington) ; « La France face au risque de son effacement » de Hichem Yaïche et Nicolas Bouche (journaliste et politologue) ; « Le jeu des alliances scélérates en Libye » de Tarek Dhifi (chercheur).

Abstraction faite des apports académiques et historiques de nombreux thèmes traités, deux dossiers, devant avoir en principe un impact direct sur la Tunisie, méritent qu’on s’y attarde, il s’agit du rapprochement turco-émirati et de l’alliance algéro-russe.

Impact du rapprochement turco-émirati sur les échanges commerciaux

S’agissant du rapprochement turco-émirati, le rédacteur en chef de la revue, Rachid Khechana, estime que les visites que vient d’effectuer le président des Emirats arabes unis (EAU), Mohammed ben Zayed Al Nahyane, à Ankara et à Doha (Qatar) ont brisé la glace entre les axes étrangers qui soutiennent les belligérants en Libye. Il considère que ce rapprochement donne l’avantage à l’abandon du scénario de la guerre entre les belligérants libyens et à la tenue d’élections générales dans ce pays. Ces dernières sont désormais perçues, d’après l’auteur de l’article, comme « une partie de la solution du conflit libyo-libyen et non comme une partie du problème ».

Pour la Tunisie, de telles informations ne peuvent être que positives. Car la pacification de la Libye signifie le retour du business aux frontières, soit un volume annuel d’échanges commerciaux d’environ 2 milliards de dinars au temps de Kadhafi, ce qui n’est pas négligeable.

L’alliance algéro-russe ne serait pas profitable

Dans son article sur les relations entre l’Algérie et la Russie, Laurent Allais s’est focalisé sur la portée de la visite qu’a effectuée, le 10 mai 2022 à Alger, le ministre des affaires étrangères russe, Serguei Lavrov. Pour lui, cette visite avait plusieurs objectifs.

Les premiers consistent en la transmission au chef de l’Etat algérien, Abdelmajid Tebboune, d’une invitation du président russe Vladimir Poutine à visiter Moscou, et en la félicitation de l’Algérie pour sa solidarité avec la Russie dans le conflit qui oppose cette dernière avec l’Ukraine.

Le second a porté sur la nécessité pour les deux pays, en tant que grands producteurs de gaz et principaux exportateurs de ce produit sur l’Europe, d’unifier leurs positions en la matière. L’enjeu est d’éviter que l’Europe, par effet de représailles, se détourne du gaz russe au profit du gaz algérien.

En solidarité avec la Russie, l’Algérie, qui exporte 11% de sa production sur l’Europe contre 47% pour la Russie, a « clamé publiquement qu’elle ne dispose que d’une capacité très limitée pour augmenter ses exportations ».

Toujours à propose de pétrole, Moscou a discuté à Alger des moyens de coordonner les positions du pays au sein de l’OPEP et des autres organisations internationales.

Autre objectif discuté avec les Algériens, des accords de partenariat pour développer des projets dans les domaines de l’énergie, des mines et des industries pharmaceutiques.

Abstraction faite que cette alliance constitue une réponse à l’alliance géostratégique entre le Maroc et l’axe américano-israélien, ce renforcement ne joue pas en faveur de la Tunisie, et ce pour deux raisons majeures. La Tunisie étant elle-même un allié des Etats-Unis tant elle compte beaucoup sur ce pays pour assurer la sécurité de sa frontière, particulièrement avec la Libye.

Sur le plan économique, cette alliance algéro-russe risque de ne pas entraîner, par l’effet éventuel des réductions des exportations de gaz algérien vers l’Europe par solidarité avec la Russie, l’augmentation du montant de la redevance qu’elle reçoit sur le passage sur son territoire du gaz algérien, par le biais du gazoduc Transmed.

De même, le développement d’une industrie pharmaceutique en Algérie avec l’assistance de la Russie va faire de ce pays un site concurrent au moment où la Tunisie s’apprête à optimiser son expertise en la matière, laquelle est déjà performante voire exportatrice.