Au deuxième trimestre 2022, la FIPA annonce une augmentation de 73% des IDE, et voilà que toile et médias s’enflamment omettant de préciser que cette performance (sic) est due principalement à l’augmentation du capital de la QNB (Qatar National Bank) de 240 millions de dinars, soit près de 78 millions de $.

Cette précision n’a pas pour objectif de saper le moral d’une opinion assoiffée de bonnes nouvelles, elle vise tout juste à remettre les choses dans leur cadre. Il n’y a pas eu d’investissements étrangers notables dans les secteurs industriels, les technologies ou les activités à haute valeur ajoutée. C’est tout juste un investissement dans le secteur financier qui ne révolutionnera pas notre économie.

Un économiste comme Hédi Larbi balayerait la nouvelle d’un revers de main glosant : « Nous ne pouvons considérer cela comme un investissement ».

Un haut cadre de l’Etat a, lui, commenté en disant : «Avant, nous parlions de la moitié pleine du verre évitant de nous attarder sur celle vide, aujourd’hui, nous capitalisons sur une gorgée, cela nous rassure et nous donne la force d’aller de l’avant, mais pour être franc avec vous, les choses vont mal».

Ne dit-on pas que seul le juste diagnostic peut apporter les bonnes solutions ? La réalité de la situation économique tout comme celle politique ne sont pas rassurantes, plutôt nous le reconnaîtrons et l’assumerons, et mieux ce sera.

La réalité économique n’est pas brillante et sera un facteur déterminant dans la stabilité socio-politique de la Tunisie. Il est vrai que la relation entre la démocratie et les performances économiques n’est pas avérée, mais dans le cas de la Tunisie, il s’agit plus de stabilité politique nécessaire pour les performances économiques que d’impératifs démocratiques.

Les gouvernements stables peuvent décider et ont le temps de réaliser leurs programmes. Ils doivent avoir les moyens et les compétences pour assurer le succès de leurs politiques socioéconomiques.

Qu’en est-il aujourd’hui en Tunisie ?

Les indicateurs économiques sont négatifs avec un taux d’inflation de 7,5% au mois d’avril, un taux de chômage de plus de 18% en 2022 et un investissement industriel à son plus bas niveau.

«La désertification industrielle s’élargit. L’inflation est toujours plus élevée, toujours plus forte. Une inflation qui est aussi monétaire comme l’atteste l’accélération de l’enflure de la masse monétaire. La hausse des prix va durer plusieurs années, aggraver l’appauvrissement du Tunisien, creuser plus profondément les inégalités, aggraver les “investissements” improductifs et stériles, favoriser la chute dinar, etc.

Dans le contexte actuel, elle est un terreau favorable au dirigisme populo et la voie ouverte à ceux qui agitent les masses avant de s’en servir pour institutionnaliser leur pouvoir. Bref, l’inflation risque de tout raser sur son passage. Aussi, il est important d’agir vite et fort ; notamment, s’attaquer sans délais aux réformes structurelles». C’est le résumé de la chronique de l’économiste Hechmi Alaya publiée par le magazine Ecoweek n°18/2022.

Toujours sur Ecoweek, il est précisé que l’enveloppe globale des projets d’investissements dans l’industrie déclaré à l’APII au premier trimestre s’établit à moins d’un milliard de dinars (936 millions de dinars courants ou MDT) soit, bien moins que les 1352 MDT ou les 1121 MDT enregistrés durant la même période des années 2009 et 2010. Encore plus préoccupant, la part des «nouvelles créations» a été pratiquement divisée par deux entre le début de la décennie 2010 et l’année en cours.

Un gouvernement victime d’un président omniprésent et d’une image ternie à l’international ! Face à cela que peut faire le gouvernement ?

Pas grand-chose s’il n’est pas soutenu par un Président fermement convaincu de la nécessité d’entamer au plus tôt les réformes et d’engager un débat sérieux avec les partenaires sociaux et les représentants qu’il juge valables (resic) dans la société civile et la sphère politique.

Le gouvernement Bouden subit énormément de pressions. Conséquences tout d’abord d’une absence de cohésion gouvernementale dont les bruits assourdissants s’entendant dans le tout Tunis. Bruits de couloirs sur les rivalités entre ministre des Affaires sociales et ministre de l’Intérieur pour le poste de Chef de Gouvernement, comme si ce poste dans le contexte actuel était une sinécure, montée de la délinquance, dégradation de la qualité et du cadre de vie du Tunisien moyen et appauvrissement indigne de la population. Ceci alors que des doutes sérieux pèsent sur les prérogatives accordées (re-resic) par le Président de la République à la Cheffe de Gouvernement pour qu’elle exerce pleinement son pouvoir sur certains ministre agissant comme s’ils n’avaient pas de compte à rendre à la Kasbah.

Le gouvernement Bouden est victime d’un président omniprésent et d’une image ternie à l’international. Par ses faits, ses gestes et ses déclarations corrosives, Kais Saied donne l’image d’un Président qui se prend pour Dieu le père, pensant tout savoir, tout maîtriser, tout contrôler et tout décider.

La réalité est autre !

Outre les déclarations scabreuses de certains de ses proches réagissant à leur limogeage après des passages assez marqués au Palais de Carthage, Kais Saeid souffre d’un déficit d’image à l’international qu’une diplomatie, conduite par le MAE nommé pour la première fois en 2013 par Ali Larayedh à la tête du département des Affaires étrangères, ne réussit pas à améliorer.

Est-ce de de la paresse ? Ou encore une incompétence avérée de Jerandi dont toute l’énergie  est orientée vers son maintien lui-même au poste ? Sur terrain, il s’avère que le choix de certains diplomates dans des postes clés par Jerandi, approuvés par Kais Saied, n’ont pas été pertinents. Ceci sans oublier le nombre inédit de vacances d’ambassadeurs dans plusieurs chancelleries ce qui n’aide pas à améliorer notre l’image de la Tunisie dans le monde.

En témoigne l’incompréhension internationale de la décision de Saied de geler le parlement le 25 juillet et qui s’est transformée au fil des mois en condamnations et en sanctions !

Outre le souci apparent de “préservation” des acquis démocratiques tunisiens, les raisons en sont l’absence de vision et d’un programme clairs défendus par le président lui-même.

Aussi l’incapacité des diplomates sur place à déjouer les campagnes de lobbying des islamistes et leurs alliés hostiles aux décisions présidentielles et d’accéder aux leaders d’opinions pour les informer sur la réalité de ceux qui ont dirigé le pays pendant une décennie et la justesse des décisions présidentielles répondant à une pression populaire avérée.

Les déclarations telles que celles de Javier Nart (Renew Europe, Espagne) au Conseil de l’Europe auraient pu être atténuées si la Tunisie avait été dotée d’une diplomatie plus agissante. Nart qui dénonce, à juste titre l’absence d’écoute du Président, prévient quant à une situation économique catastrophique.

Il y a quelques jours, on pouvait lire sur le journal US Washington Post, dont la ligne éditoriale est centriste, que malgré la réticence US à mettre la pression sur Kais Saied considérant son «Putsch» de juillet comme largement populaire, on s’attendait à le voir prendre des décisions pouvant mener la Tunisie vers la rive du salut. Ce ne fût pas fait et nous n’avons pas vu des décisions qui vaillent ! Les Etats-Unis appellent Saied à engager un processus de réforme transparent et inclusif – incluant les partis politiques, les syndicats et la société civile. Ce qui ne fût pas fait non plus, Saied considérant que c’est lui et lui seul qui peut décider de ce qui est bien et bon pour le pays.

Cette posture aurait pu être tolérée s’il avait, au moins, affiché un soutien clair et fort au programme de réformes économiques sur lequel planche le gouvernement depuis des mois. Le plan de sauvetage que l’Etat tunisien essaye depuis des mois de négocier avec le Fonds monétaire international est confronté aux réticences du président lui-même lequel a déclaré à maintes reprises son refus de s’attaquer à la compensation ou encore de geler le recrutement clamant à chaque fois le droit au travail et ne parlant jamais de la valeur travail.

Kaïs Saied qui brandit à chaque fois le terme « Souveraineté nationale » comme s’il s’agissait d’un missile balistique pouvant intimider les partenaires traditionnels et indispensables à la Tunisie, oublie que la survie de l’économie nationale dépend, souveraineté ou pas, de l’accord avec le FMI dont les exigences sont connues.

Le président Saied oublie que la pauvreté et le besoin ne peuvent se conjuguer avec souveraineté et que pour garder sa souveraineté, il faut savoir négocier et surtout compter sur ses propres moyens. Moyens dont lui-même ne dispose pas avec une Tunisie dépourvue de grandes richesses naturelles et lui-même ne possédant aucune culture économique si ce n’est des slogans populistes encourageant plus la misère que la création de richesses.

Kais Saied est l’un des rares présidents au monde qui a réussi à se mettre sur le dos le capital effrayant les investisseurs au lieu de les encourager à créer des richesses et de l’emploi. Avoir leur appui n’aurait, d’ailleurs, pas été contradictoire avec la lutte contre la corruption dont il se targue continuellement sans grande efficience. Abdelfattah Sissi en Egypte, les a rassemblés autour de lui pour assurer la relance de l’économie égyptienne et bien avant lui, en 2004 Vladimir Poutine s’est assuré le soutien des oligarques pour réussir l’une des plus grandes politiques de réformes russes marquée par un redressement notable de l’économie.

Quelles sont les valeurs prônées par Kais Saied et par ricochet sa diplomatie sur le plan international pour défendre les intérêts nationaux. Y’a-t-il eu un discours où il parle d’objectifs politiques, économiques et sociaux valables, acceptables, valorisants qu’il cherche à concrétiser à travers une vision et une stratégie politiques étrangère et intérieure?

Nous avons beau chercher dans les discours et les déclarations fracassantes du président de la Tunisie les valeurs d’unité nationale, de cohésion entre les classes sociale et les régions, de paix, de sérénité, de pardon et de tolérance, nous ne les trouvons pas.

Kaïs Saied adresse ses discours aux Tunisiens en colère, vindicatifs et envieux, à cette poussière d’individus dans laquelle le défunt Bourguiba a beaucoup investi, malgré toutes ses erreurs, en éducation, instruction et culture. Kais Saied semble ne pas voir ou considérer une grande partie de ses compatriotes, ambitieux, brillants, assoiffés de paix et de dignité. En tenant ce genre de discours, nous avons très fréquemment le sentiment que le président exorcise ses propres démons !

On ne peut pas sauver le pays par la colère et la haine, sans vision et sans ambitions et on ne peut combattre le mal par le pire.

Amel Belhadj Ali