C’est frustrant de constater que 60 ans après l’indépendance, les gouvernants qui se sont succédé à la tête du pays n’ont pas réussi à valoriser les vestiges archéologiques du pays. D’autres pays voisins du bassin méditerranéen, à l’instar de l’Italie, de l’Egypte, de la France, de l’Espagne… ont su tirer profit de cette manne historique en l’érigeant au rang de «ressource stratégique» pour appuyer leur économie, créer des emplois et surtout faire rentrer de précieuses recettes touristiques.

Abou SARRA

A titre indicatif, il suffit de visiter le site de Pompei en Italie pour se rendre de visu comment les Italiens ont su faire de cette ancienne ville romaine, ensevelie après l’éruption du volcan Vésuve en 79 av. J.-C, un site touristique attractif. Des centaines de milliers de touristes, munis d’un simple audio-guide (baladeur audio qui vient remplacer le traditionnel guide touristique), se bousculent chaque jour pour visiter ce site bien conservé.

Des monuments historiques en Tunisie, comme l’amphithéâtre de Carthage, le cirque romain d’El Jem, l’amphithéâtre de Sbeitla, l’aqueduc de Zaghouan, les sites de Dougga, Chemtou, Bulla Rejia, Maktaris, Haydra, Bassins aghlabides à Kairouan, autant de sites prestigieux encore bien conservés peuvent facilement être valorisés et connaître le même essor que Pompei.

Pour l’histoire, il existe au sein du Pôle technologique de Sousse une start-up spécialisée dans les audio-guides des musées et sites archéologiques en Tunisie.

Pour mesurer notre retard, l’amphithéâtre de Rome reçoit chaque année 8 millions de touristes contre seulement 500 000 touristes pour l’amphithéâtre d’El Jem, pourtant le second amphithéâtre romain en Afrique.

Désintérêt pour la richesse archéologique

C’est encore plus frustrant de relever que les différents ministres du Tourisme et de la Culture ne se sentent aucunement gênés de se donner en spectacle l’assistance financière que nous apportent, de temps en temps, des pays étrangers pour mettre en valeur nos sites archéologiques, alors qu’ils auraient pu, depuis 60 ans, planifier sur le long terme une stratégie pour la valorisation du patrimoine archéologique du pays.

« Nous sommes malheureusement dans un pays où on ne croit pas à la culture et encore moins à la plus-value de la culture », disait Ali Bellarbi, universitaire spécialisé dans la sociologie culturelle dans son ouvrage “Les politiques de la culture que nous voulons“ (Siasset Ethakafa allati nourid).

Dans le même ouvrage, Ali Bellarbi racontait une anecdote fort révélatrice du peu d’intérêt qu’accordaient, depuis bien longtemps, nos responsables à la valorisation des vestiges et musées dans le pays.

Selon lui, « durant les années 70, une ministre américaine du Commerce en visite en Tunisie avait demandé à son collègue tunisien pourquoi la Tunisie, connue internationalement pour son passé historique glorieux, n’arrive pas à connaître un élan économique comme les pays voisins (Algérie, Libye), lui suggérant d’intensifier les forages pour découvrir du pétrole. Le ministre tunisien lui a répondu que ce legs historique nous coûte plus qu’il nous en profite puisqu’à chaque forage à la recherche du pétrole, on découvre des ruines et sites archéologiques, ce qui nous oblige à prévoir de nouveaux fonds pour les protéger et les préserver à fonds perdus ».

Sans commentaire.

Apport significatif des Américains

De nos jours, ce sont ces mêmes Américains qui nous rappellent régulièrement que nous avons été des grands. Ils nous apportent, aujourd’hui, une assistance financière significative pour valoriser quelques sites prestigieux. Cela pour dire que les Américains croiraient plus en notre Histoire que nous-mêmes.

Pour ne citer que l’aide la plus récente, le gouvernement américain a annoncé, début février 2022, le coup d’envoi du projet “Visit Tunisia“. Ce projet est financé à hauteur de 50 millions de dollars par l’Agence des Etats-Unis pour le développement international (USAID).

Ce nouveau projet a été lancé à titre symbolique à Sbeitla où la légende dit que durant « la bataille de Tunisie » au cours de la Deuxième Guerre mondiale, le Général américain George Smith Patton, alors à la tête de forces alliées de 300 000 hommes face à 200 000 de forces fascistes, s’était agenouillé pour rendre hommage à l’empereur romain Vespasien qui avait fondé « Sufetula » (nom romain de Sbeilta).

Le projet « Visit Tunisia » s’étale sur une période de 5 ans, et devrait favoriser, entre autres, la valorisation du patrimoine culturel et historique du pays à dessein de faire émerger un secteur touristique diversifié et concurrentiel.

Le projet créerait au passage quelque 15 000 nouveaux emplois dans le secteur du tourisme alternatif au sein des régions marginalisées, notamment le gouvernorat de Kasserine, l’augmentation des investissements et des recettes touristiques de 20%, ainsi que l’accroissement du nombre de touristes pour atteindre les 11 millions et demi d’ici 2026.

Autre projet culturel tuniso-américain récent : la restauration, à partir de 2020, du Colisée d’El Jem (région de Mahdia) moyennant une aide américaine de l’ordre de 430 000 dollars (soit près de 1,227 million de dinars tunisiens). Cette enveloppe est allouée par le Fonds des ambassadeurs pour la préservation culturelle (AFCP).

Objectif : faire du Colisée une destination privilégiée pour des touristes férus d’Histoire et d’archéologie.

Rappelons que ces deux projets ne sont pas les seuls projets financés par les Etats-Unis en Tunisie. Ils viennent s’ajouter aux initiatives de restauration entreprises sur Oudhna, site archéologique romain au sud de Tunis (région de Ben Arous) et le musée de Raqqada (Kairouan).

L’idéal serait toutefois qu’une stratégie nationale soit engagée pour valoriser, à l’échelle de tout le pays, le patrimoine archéologique et les musées. Il s’agit d’une affaire juteuse où le retour sur investissement est garanti.