L’image du secteur bancaire et financier ne sera pas ternie par la décision de la « Commission de Résolution des Banques et des Établissements Financiers en situation compromise » de transmettre un rapport au Tribunal de première instance de Tunis qui devrait rendre un jugement de dissolution et de liquidation de la BFT. C’est ce qu’a déclaré Marouane El Abassi, gouverneur de la BCT, lors d’une conférence de presse tenue au siège de la BCT et consacrée à l’Affaire BFT, mardi 1er mars 2022.

Tout au contraire, cette décision sera considérée comme un signe positif et une avancée importante pour le secteur bancaire et financier. Le fait que la Tunisie ait mis en place, depuis 2016, un cadre réglementaire pour la résolution des problèmes des banques et institutions financières en situation compromise est rassurant et illustre le souci des autorités tunisiennes de veiller à la stabilité et à l’amélioration de la qualité des pratiques bancaires.

A ce propos, agences de notation et FMI ne peuvent qu’apprécier des lois et des mécanismes de sauvegarde.

«La décision de la Commission a fait suite à un long processus de litiges, de négociations et de pourparlers avec l’ABCI pour arriver à des solutions convaincantes pour toutes les parties prenants. Face à l’incapacité de la BFT de poursuivre ses activités, les risques de cessation de paiement et impossibilité d’élaborer des solutions techniques pour assurer son redressement, la transmission du dossier au tribunal de première instance était nécessaire», a tenu à préciser Marouane El Abassi.

Les déposants seront indemnisés

Le volume des dépôts de la BFT de l’ordre de 20 millions de dinars représente uniquement 0,02% du total des dépôts bancaires, ce qui ne devrait pas bouleverser la donne bancaire dans notre pays. Ses engagements financiers ne dépassent pas les 279 millions de dinars, alors que ses pertes nettes sont estimées à 500 millions de dinars. Il fallait anticiper, étudier et solutionner pour éviter que le coût de sauvetage n’incombe à l’Etat et préserver les deniers publics.

Afin de pallier à la panique des clients et des employés de la BFT, au nombre de 67 à ce jour, la BCT rappelle qu’elle a mis en place un plan de sauvegarde dont le Fonds de garantie des dépôts bancaires (FGDB).

Son directeur général, Jaâfar Khatteche, a confirmé que le Fonds va procéder à l’indemnisation des déposants dans les délais légaux. 100% parmi eux peuvent récupérer leurs dépôts grâce à l’arsenal juridique mis en place en Tunisie.

Rappelons que Fonds assurera l’indemnisation des clients dans la limite du plafond de 60 000 dinars pour chaque déposant dans un délai ne dépassant pas les 20 jours. Ceux dont les dépôts dépassent les 60 000 dinars, une trentaine seulement, d’après le gouverneur de la BCT, seront remboursés plus tard.

Le Fonds de garantie des dépôts bancaires (FGDB) créé également en 2016, a pour mission fondamentale la protection des déposants du secteur bancaire tunisien à travers leur indemnisation en cas d’indisponibilité de leurs dépôts.  La préparation de la plateforme d’indemnisation a pris 4 ans.

L’Association Professionnelle Tunisienne des Banques et des Etablissements Financiers (APTBEF) s’est engagée à placer les cadres et agents de la BFT dans les différentes banques de la place.

Obligation de réserve quant au suivi de l’affaire BFT avec le CIRDI

Les différents intervenants lors de la conférence de presse ont invoqué l’obligation de réserve quant à l’évolution des négociations ou des procès avec le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI).

Il faut espérer convaincre le CIRDI de réviser sa posture dans l’affaire BFT sachant que, depuis plusieurs années, le dossier a été traité par plusieurs gouvernements, les uns plus incompétents que les autres. Les faits et les contenances des décideurs publics surtout au cours de cette dernière décennie n’ont pas servi la cause de l’Etat tunisien. Le risque est que l’amnistie législative dont a bénéficié Abdelmajid Bouden, représentant de l’ABCI, actionnaire principal de la BFT, enfonce et pénalise lourdement les autorités tunisiennes.

A travers cette amnistie, l’Etat reconnaît implicitement avoir porté un grand préjudice à M. Bouden et rend légitimes tous ses recours à l’encontre de la Tunisie.

Mieux encore, le rapport de l’IVD de la Ben Sedrine vient confirmer les allégations du représentant de l’ABCI à l’encontre de l’Etat tunisien ; allégations qui ont conduit au jugement au profit de l’ABCI d’un dédommagement de 3 milliards de dinars.

Les autorités tunisiennes pourraient-elles mener le CIRDI à réviser ses postures et à revoir à la baisse l’indemnisation accordée à l’ABCI ?

A la Banque centrale, on est optimiste et on estime pouvoir changer la donne.

Pour rappel, la BFT, créée en 1879, dispose de 5 agences et son capital est de 5 millions de dinars. L’historique de la BFT n’est pas des plus reluisants. Son contentieux avec l’Etat tunisien et plusieurs gouvernements dure depuis plus d’une quarantaine d’années.

Dure, dure a été sa chute, mais comme l’a précisé Marouane El Abassi au début de la conférence de presse, il y a un temps pour la vie et un autre pour la mort. Et l’année 2022 sonnera peut-être le glas de cette institution bancaire, un cas d’école à étudier par tous les acteurs du secteur bancaire et financier dans notre pays.

Amel Belhadj Ali

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