Tunisie – Dialogue social  : Les blocages d’antan pointent à l’horizon

Nous étions trop pressés et trop optimistes d’avoir cru que les entretiens qui avaient démarré, le 11 décembre 2021, entre gouvernement et centrale syndicale (UGTT) sur de délicates questions (compensation, énergies vertes, masse salariale, déficits des entreprises publiques) allaient, pour une fois, aboutir à des compromis heureux et salutaires.

Abou SARRA 

Une semaine après l’enclenchement de ce dialogue, nous sommes amenés à réviser à la baisse notre optimisme. Nous sommes même pessimistes quant à l’issue de ces entretiens. Et pour cause ? L’apparition de blocages, les mêmes blocages qui ont empêché toute réforme structurelle dans notre pays, au cours des dix dernières années.

Réapparition des mêmes blocages 

C’est du moins ce qu’on croit comprendre à travers les propos de Noureddine Taboubi, secrétaire général de l’UGTT. En visite le 14 décembre 2021 à Sfax, il a clairement déclaré que «le programme proposé par le gouvernement prévoit de réduire de 10% la masse salariale de la fonction publique ou de geler les augmentations salariales pour cinq ans, de lever les subventions sur des produits de base et de céder (privatiser, ndlr) un certain nombre d’entreprises publiques ».

Connaissant bien la position de la centrale syndicale qui a toujours brandi son veto contre la privatisation des entreprises publiques et la réduction des effectifs dans la fonction publique et, partant, des salaires, des menaces sérieuses sur la paix sociale semblent pointer à l’horizon.

La question qui se pose dès lors est de savoir s’il s’agit de propositions faites sous la pression du FMI ou s’il s’agit d’une simple manœuvre du gouvernement pour intimider la centrale syndicale et gagner du temps.

Certaines parties voient dans ces propositions du gouvernement la touche du FMI et des autres bailleurs de fonds et leurs fameuses conditionnalités. Et si c’est le cas, ces derniers doivent l’annoncer clairement à l’opinion publique nationale et internationale.

Privatisation ou transformation des entreprises publiques ?

Concernant « la proposition de céder un certain nombre d’entreprises publiques », les institutions de Bretton Woods ne parlent plus, comme c’était le cas dans les années 90, de la privatisation des entreprises publiques.

Pour preuve, lors d’interviews accordées aux médias tunisiens, Tony Verheijen, représentant-résident de la Banque mondiale (BM) en Tunisie, a indiqué qu’au sein de son institution «on ne parle pas de privatisation, mais de transformation des entreprises publiques pour qu’elles opèrent dans une mentalité commerciale».

Mieux, Tony Verheijen reproche aux gouvernements tunisiens qui se sont relayés depuis 2011 d’avoir fait mauvais usage de fonds accordés par son institution pour soutenir la réforme des entreprises publiques.

Pour les bailleurs de fonds, la solution à la problématique des entreprises publiques en Tunisie réside dans l’amélioration de leur gouvernance. Il s’agit «d’introduire dans les entreprises publiques un management efficace et rentable similaire à celui en vigueur dans le secteur privé et de les amener à se recentrer sur leur principal métier, le service public».

S’agissant du poids de la masse salariale dans le budget général de l’Etat, soit plus de 17% en 2021, contre 6 à 7% au Maroc, un pays de 40 millions d’habitants, certains analystes rappellent qu’avec la baisse, ces dix dernières années, de 50% du pouvoir d’achat des Tunisiens et avec la dépréciation de plus de 30% de la monnaie nationale, le dinar, au cours de la même période, les salaires tunisiens demeurent parmi les plus bas dans le monde.

A titre indicatif, un fonctionnaire de la Bande Gaza en Palestine est mieux payé (environ 700 dollars mensuellement) qu’un fonctionnaire moyen tunisien.

Autre exemple, les 3 400 entreprises offshore implantées en Tunisie n’ont jamais pensé à quitter la Tunisie à cause des bas salaires notamment. Leur décision a été prise en dépit de la survenue, en dix ans, de plusieurs désavantages en leur défaveur. L’instabilité politique et réglementaire, l’impact négatif généré depuis deux ans par la pandémie du coronavirus sur leurs exportations, l’institution dans la loi de finances 2017 d’une mesure fiscale taxant directement de 7,5% les bénéfices des points francs et l’augmentation par la loi de finances 2021 de l’impôt sur les sociétés offshore de 10% à 15% figurent parmi ces désavantages.

Cela pour dire que malgré ces mesures, pourtant assez graves pour leur faire oublier le site de production Tunisie, les entreprises offshore qui emploient, à ce jour, 350 000 personnes, sont toujours-là. Elles continuent à croire en la compétitivité des salaires en Tunisie et à y trouver leur compte.

Des gouvernements incompétents et irresponsables

En ce qui concerne la compensation des produits de base – laquelle ne profite qu’à hauteur de 12% à ceux qui doivent logiquement en bénéficier -, la responsabilité incombe au gouvernement. Il doit l’assumer pour avoir trop tergiversé et trop retardé la mise en œuvre des mécanismes élaborés à cette fin, particulièrement celui des transferts monétaires au profit des catégories vulnérables ciblées.

Le gouvernement est également responsable dans le gonflement de la part de la masse salariale dans le budget en ce sens où il a rarement communiqué sur les résultats des initiatives prises, depuis 2017, pour interdire les recrutements dans la fonction publique et pour ne pas remplacer les partants à la retraite.

Avant 2011, le gouvernement recrutait dans la fonction publique en moyenne quelque 18 000 fonctionnaires par an, et remplaçait régulièrement ceux qui partaient à la retraite.

Si on s’amuse à faire le calcul des emplois non créés depuis 2017 jusqu’à fin 2021 et ceux supprimés par l’effet des départs à la retraite et non remplacés, on peut les estimer à environ 100 000. Et si on leur ajoute les gains d’emplois générés par les décès de 20 000 retraités en moyenne par an, durant la période de cinq ans, les caisses de l’Etat seront logiquement soulagées au bout de cinq ans, de lourdes charges…

Et pourtant, ni l’INS ni les gouvernements – depuis le temps de Ben Ali – n’ont osé publier les chiffres relatifs à ces gains pour le budget de l’Etat. Espérons que le gouvernement Bouden rectifiera le tir très vite.