En comparant avec ce qui se passe dans le monde, on constate que notre Banque centrale maintient des taux d’intérêts élevés, et ceux qui le lui reprochent n’ont pas tout à fait tort.

Des taux d’intérêts élevés sont une bonne recette pour freiner l’élan d’une économie qui s’emballe, c’est-à-dire dans laquelle les prix augmentent trop vite à la suite d’une demande de biens et services qui excède substantiellement leur offre. Ils ralentissent à la fois l’investissement et la consommation, et finissent au bout d’un certain temps par freiner cette demande. Mais est-ce le cas de la Tunisie ?

Non ! En Tunisie l’inflation ne peut pas être attribuée à une accélération de la consommation des ménages, et encore moins à celle de l’investissement. Après le ralentissement forcé de la consommation dû à la Covid-19, nous subissons de plein fouet l’augmentation vertigineuse à l’échelle mondiale des prix de l’énergie et des produits agricoles, dont surtout les céréales.

En 1919, avant les augmentations de cette année, ces produits représentaient déjà près du 1/3 de nos importations. En même temps qu’elles creusent le déficit commercial, ces augmentation alourdissent la facture de la compensation, et par suite le déficit budgétaire.

Par un effet mécanique, ces hausses des prix mondiaux induiront nécessairement une inflation locale sur la plupart des produits. On aura beau mettre cela sur le dos de spéculateurs sans vergogne, la réalité c’est cela. Et cette inflation est coriace. À moins de procéder au rationnement de l’énergie et des céréales, ou à l’ajustement de leurs prix, leur importation et consommation resteront quasi-incompressibles. Toute mesure d’ajustement demanderait un grand courage politique car ces produits sont deux piliers essentiels du contrat social.

Autant dire qu’un taux d’intérêt élevé n’aura que peu d’effet sur leur demande et sur l’inflation qu’ils induisent. Par contre, il comprimera l’investissement et la demande pour d’autres produits et services et, en passant, exacerbera le chômage.

En fin de compte, c’est un remède extrêmement douloureux pour un résultat faible, et au plus mauvais moment qui soit, c’est-à-dire au moment où il devient critique de relancer la machine économique.

Il ne faut pas croire que la BCT n’est pas au courant de cette situation. Mais quelle alternative a-t-elle ? Tout d’abord, remarquons qu’en réussissant à stabiliser le taux de change, la BCT a fait de sorte que les entreprises et le consommateur tunisien ne subissent pas l’effet multiplicateur d’un glissement du dinar. Personnellement, je n’aurais pas parié dessus, mais ils ont réussi. C’est à mettre à l’actif de la BCT, surtout au vu de la dégringolade du Dinar jusqu’en 2017.

L’alternative de baisser le taux d’intérêt pourrait éventuellement donner un coup de pouce à la relance, mais ce n’est pas garanti en raison des dysfonctionnements structurels de l’économie. Si la BCT ne le fait pas, malgré les demandes pressantes de toutes parts y compris du président de la République, il faut croire que dans leurs analyses le risque d’hyperinflation serait trop élevé, et ses conséquences sociales inacceptables.

Au Liban, l’inflation a précipité près de la moitié de la population au-dessous du seuil de pauvreté, presque du jour au lendemain.

De plus, la BCT a une mission bien claire, celle de combattre l’inflation, et il n’est plus question de l’ignorer pour plaire aux politiques. N’oublions pas que nous en avons fait l’expériences au temps de la Troïka (qui a limogé Mustapha Kamal Nabli pour avoir les coudées franches) et nous avons vu ce que cela donne.

Il est évident que cette affaire ne peut plus durer. Un pays où le gouvernement ouvre à fond les vannes pour que la Banque centrale passe les fermer derrière lui est un exemple extrême d’incohérence économique, d’amateurisme, voire d’irresponsabilité. Nous pratiquons cette incohérence depuis trop longtemps. Il est temps que cela cesse et que des adultes prennent les commandes de l’économie et travaillent avec la BCT pour mettre en cohérence les politiques fiscales et la politique monétaire. (Notez que cette mise en cohérence n’est pas du tout synonyme de perte d’autonomie pour la BCT, autonomie qui doit être préservée).

Nous attendons beaucoup de la nouvelle équipe gouvernementale. La nomination d’un ministre de l’Economie a été un signal que j’ai personnellement accueilli très favorablement. Mais comme beaucoup, je commence à m’impatienter devant leur mutisme.

Mourad Ezzine