Depuis son accession, le 23 octobre 2019, à la magistrature suprême, sans avoir dépensé beaucoup d’argent pour sa campagne et sans disposer d’une machine électorale (un parti) visible pour le soutenir, le président tunisien, Kaïs Saïed, intrigue, fascine et dérange plus d’un, parce qu’on n’arrive pas à le “cadrer“.  

Abou SARRA

La seule image que les internautes lui ont collée, depuis, et qui est restée jusqu’à ce jour, est celle de d’un personnage d’un film, Robocop, justicier fictif mi-humain mi-robot, dédié à la lutte contre les sociétés corrompues et criminalisées.

Penseurs, journalistes, hommes politiques et autres agents de renseignement étrangers essaient, en vain, de cerner sa personnalité et de connaître ses projets.

Le coup de force constitutionnel du 25 juillet – qui lui a donné l’opportunité de s’accaparer presque tous les pouvoirs et le flou qui entoure ses décisions, depuis quatre mois maintenant – a davantage compliqué la compréhension du personnage et accentué cette opacité.

Dans de récentes interviews accordées à des médias tunisiens, deux chercheurs tunisiens, en l’occurrence l’écrivain et l’universitaire, Mohamed Chérif Ferjani, et l’historien Lotfi Aissa, ont évoqué des similitudes entre le chef de l’Etat tunisien et des hommes politiques historiques français et allemand.  

Kaïs Saïed serait un Carl Schmitt

Se référant aux déclarations et discours de Kaïs Saïed, lors de l’élection présidentielle de 2019 et au cours de l’exercice du pouvoir, depuis bientôt deux ans, Mohamed Chérif Ferjani a décelé des points de rencontre entre Saïed et l’Allemand Carl Schmitt, juriste (constitutionnaliste, théoricien et professeur de droit) et philosophe.

Pour mémoire, Carl Smith est considéré par certains historiens comme le juriste et théoricien du nazisme, du fait de sa réflexion sur la nature de l’État et des Constitutions. Il considère que la souveraineté étatique est absolue ou n’est pas. L’autonomie étatique, selon Schmitt, repose sur la possibilité de l’État de s’autoconserver, en dehors même de la norme juridique, par une action qui prouvera cette souveraineté. C’est ce qu’on appelle le “décisionnisme“ de Schmitt. «Est souverain celui qui décide de la situation exceptionnelle», lit-on dans son œuvre «Théologie politique».

Cela signifie qu’«à l’ordre juridique, ou à la norme, préexiste un sujet individuel prenant des décisions souveraines dans des situations non prévues».

On est bien obligé d’admettre que c’est un peu la situation qui prévaut en Tunisie, depuis le 25 juillet 2021, surtout lorsque Kaïs Saïed déclare en substance à l’adresse de juges “corrompus“ prétendant défendre l’indépendance de la justice : « la justice c’est avant tout la justice de l’Etat ».

Pour revenir au politico-islamologue Mohamed Chérif Ferjani, qui était, le 21 novembre 2021, l’invité de l’émission «Répondez à Hamza» de la radio Mosaïque Fm, « les conceptions politiques et juridiques de Saïed ressemblent à celles de Carl Schmitt », expliquant que ce dernier était parmi les premiers à soutenir la décision de la dissolution du Parlement italien et à appeler à ce que Benito Mussolini soit le représentant de la vraie démocratie.

«La vision de Kaïs Saïed de la démocratie représentative et son hostilité par rapport aux partis politiques nous rappellent beaucoup celles de Schmitt», a relevé Ferjani.

Kaïs Saïed, un Robespierre sans la terreur

Pour sa part, l’historien Lotfi Aissa a identifié des ressemblances entre Kaïs Saïed et Maximilien Robespierre (1758-1794), l’une des figures de proue de la Révolution française et symbole de la terreur et de la guillotine révolutionnaire.

Néanmoins, l’historien, qui accordait une interview au journal tunisien d’expression arabe Achariaa El Magharibi, a tenu à nuancer cette ressemblance en qualifiant de manière précise Kaïs Saïed de «Robespierre sans la guillotine».

Il faut reconnaître ici que ce rapprochement nuancé avec Robespierre n’est pas nouveau. Il a été abordé une première fois dans le cadre d’un portrait de Kaïs Saïed confectionné par Benoït Delmas, correspondant du magazine français Le Point. L’article a été publié le 11 septembre 2019, autrement dit avant la présidentielle tunisienne.

Quant aux similitudes entre les deux hommes, on cite particulièrement la réputation que se sont forgé les deux hommes en tant qu’« incorruptibles défenseurs du peuple, jouissant d’une popularité exceptionnelle ».

Les deux hommes ont également pour point commun la qualité de se démarquer par leur droiture et probité, et par leur tendance d’être des hommes publics carrés, stricts et « respectueux de la loi ».