La gestion locale des déchets solides reste défaillante malgré les prérogatives accordées aux municipalités par le Code des Collectivités Locales. Cette défaillance incarne les limites d’un processus de décentralisation toujours inachevé. C’est ce qui ressort d’une étude intitulée “L’environnementalisme post-décentralisation : la politique locale de gestion des déchets solides en Tunisie”, qui vient être publiée par l’Arab Reform Initiative et la Fondation Heinrich Böll, bureau de Tunis.

A travers trois études de cas, cette étude met en lumière différentes lacunes en matière de gestion des déchets solides en milieu urbain, lacunes qui, dans les cas les plus graves, peuvent mettre en danger la santé des riverains. Elle évalue la politique de collecte des déchets solides dans les municipalités de Maamoura (le bon élève), Nabeul (dépassée par l’ampleur de la tâche) et Agareb (l’exemple toxique d’une zone industrielle intensive). Ces dernières ont été choisies à partir d’une recherche préliminaire sur l’activisme environnemental dans ces municipalités.

“Si le Code des Collectivités Locales a donné de nombreuses prérogatives aux municipalités en matière de gestion des déchets, cet accroissement de pouvoir ne s’est pas traduit par une amélioration notable de la collecte et de la gestion des déchets solides”, souligne Lana Salman, chercheuse en gouvernance urbaine et en développement international et auteure du rapport. ” Les municipalités sont aujourd’hui, encore incapables de gérer la disposition des déchets solides de façons à assurer la protection de la santé des riverains”.

Selon l’étude, cette mauvaise gestion est due à quatre raisons principales : une définition trop étroite de ce qu’est “l’environnement” au niveau des administrations locales, un manque de coordination entre société civile et municipalités, une incapacité des municipalités à utiliser leur pouvoir juridictionnel pour imposer aux entreprises polluantes implantées dans leurs localités le respect des lois en vigueur et enfin, une neutralisation de leurs pouvoirs par des autorités centrales ou déconcentrées telles que les gouverneurs et l’Agence nationale de gestion des déchets (ANGED).

Toujours selon l’étude, si la présence de détritus dans l’espace public est perçu comme le symptôme d’une gouvernance locale défaillante, ce point de vue ne prend pas en considération la chaîne de la GDS dans son ensemble, ni le fait que les premiers conseils locaux démocratiquement élus n’ont commencé à agir que depuis mai 2018, avec un budget et des ressources humaines très contraignants.

De plus, les conseils municipaux et les administrations sont toujours dans l’attente de lois, décrets et décisions pour rendre opérationnels les divers articles de la loi organique.

Cette vision d’une gouvernance locale défaillante ne saisit pas entièrement la complexité des environnements politiques et institutionnels dans lesquels interviennent les municipalités. Elle ne prend pas en considération le fait que les conseils locaux élus, ayant entamé la mise en œuvre des réformes de décentralisation en 2018, ont hérité d’institutions structurellement faibles qu’ils s’efforcent de redresser.

Pareillement, la politisation des conseils municipaux a engendré des désaccords entre les partis politiques, ce qui a rendu la prise de décision encore plus difficile pour les municipalités. Adoptant une compréhension de la gestion des déchets solides axée sur la notion de justice environnementale, l’étude montre que derrière les scandales de corruption à l’échelle nationale, c’est d’abord la santé des individus qui est en première ligne avec la mauvaise gestion des déchets.

L’étude recommande aux municipalités d’adopter une définition plus large de l’environnement : non comme une variable extérieure à prendre en compte de manière accessoire, mais comme une question cruciale pour la vie quotidienne et la santé des habitants. Elle recommande également, l’activation par les municipalités de l’article 141 du Code des Collectivités Locales (CCL), article qui autorise ces dernières à percevoir des redevances des unités de production, exerçant des activités économiques ayant des effets négatifs sur l’environnement.

L’Arab Reform Initiative est un groupe de réflexion arabe indépendant, qui travaille avec des partenaires experts au Moyen-Orient et en Afrique du Nord et au-delà pour articuler un programme national de changement démocratique et de justice sociale. Il mène des recherches et des analyses politiques et fournit une plate-forme pour des voix inspirantes basées sur les principes de diversité, d’impartialité, et d’égalité des sexes. La Fondation Heinrich Böll est un catalyseur de perspectives et de projets verts. Affiliée au parti vert allemand, elle travaille avec des partenaires dans plus de 60 pays et dispose actuellement de 34 bureaux internationaux, dont celui de Tunis. Elle défend les droits humains et œuvre en faveur d’un environnement sain et durable pour les générations actuelles et futures.

Lana Salman est une spécialiste féministe du développement international. Elle est titulaire d’un doctorat en planification urbaine et régionale de l’Université de Californie à Berkeley, et est actuellement chercheuse postdoctorale à la Middle East Initiative de l’Université Harvard. Ses recherches portent sur la gouvernance locale, le rôle des femmes dans la démocratisation de la politique et la manière dont les institutions financières internationales reconfigurent les villes du Sud.