Le développement accéléré des compétitions amateurs et professionnelles de jeu vidéo témoigne de l’engouement d’une grande partie des populations mondiales toutes classes sociales confondues pour ces jeux. Des jeux qui dépassent aujourd’hui le cadre du simple divertissement pour devenir des outils de développement professionnels dans un monde où les avancées technologiques sont ahurissantes.

Walid Sultan Midani, fondateur de DigitalMania, premier studio indépendant de développement de jeux vidéo en Tunisie, l’a compris et a fait du chemin depuis 2003, année où, étudiant à l’École Supérieure Privée d’Ingénierie et de Technologies (ESPRIT), il a commencé à organiser des compétitions nationales de jeux vidéo.

Aujourd’hui, DigitalMania, spécialisée dans le développement des jeux multiplateformes, est classée première mondiale dans les jeux vidéo destinés aux entreprises. Entretien.

WMC : Comment êtes-vous entré dans les jeux vidéo ?

Walid Sultan Midani : L’idée initiale de créer DigitalMania était de faire du jeu compétitif, c’est mon monde à moi. Leur particularité est que tout le monde peut s’y adonner. Femmes, hommes, adolescents, jeunes, vieux, tout le monde peut partager des jeux vidéo. Ce sont des jeux toutes audiences devenus accessibles grâce aux smartphones, Switch, facebook, etc. Une simple application mobile sur téléphone vous permet de vous adonner au jeu, comme par exemple le free fire.

La compétition séduit par les défis qu’elle pose et par l’efficience des réponses et leur rapidité.

Fonder DigitalMania avait donc pour but de développer les jeux vidéo compétitifs et de les démocratiser. Les Américains ont des mots pour classifier les choses, et l’appellation idéale que nous avons choisie est le compétitif casuel (Le compétitif relax, décontracté).

L’aventure a commencé à partir de là, et l’idée était que nous soyons, nous-mêmes Tunisiens, créateurs et acteurs de nos propres jeux et non des consommateurs passifs ou des distributeurs.

Quelles sont les thématiques des jeux DigitalMania ?

Ils sont plusieurs thèmes. Le premier date de 2011 et porte le nom de Defendoor. Un jeu STR/FPS avec des règles simples : défendez votre front et utilisez les différents personnages pour détruire le front ennemi.

Le but du jeu était de valoriser la culture tunisienne dans le monde entier. C’est un jeu de guerre et des compétitions dans des quartiers, mais dans un monde meublé de personnages féériques.

Je voudrais préciser à ce propos que créer des jeux vidéo où il y a des guerres n’est aucunement une invite à la violence. C’est un jeu de défi et de challenge, peut-être des fois un simple fantasme qu’on exorcise à travers les jeux pour revenir à la vraie vie dans un esprit différent.

Quel est le profil des joueurs DigitalMania ?

55% des joueurs des jeux vidéo sont des femmes dont la moyenne d’âge est de 42 ans, et des adolescents qui ont entre 12 et 14 ans.

Les jeux vidéo sont aujourd’hui l’outil d’Entertainment et de divertissement le plus répandu au monde, plus que le cinéma et la musique. Les jeux vidéo ont drainé un chiffre d’affaires de 120 milliards de dollars, l’année dernière, supplantant largement le cinéma et la musique. 2020 n’étant pas l’année de référence, nous pouvons citer 2019, qui en est une et qui était une bonne année pour tous les secteurs. En cette année, les réalisations des jeux vidéo se sont élevées à 110 milliards de dollars, contre 90 milliards de dollars pour le cinéma et la musique.

En ce qui nous concerne, nous sommes des passionnés des jeux vidéo et nous sommes aussi des créatifs ; c’est pour cela que nous avons fondé DigitalMania.

Il y a aussi le côté rationnel et business, c’est ce qui explique qu’au bout de six mois, nous ayons conçu notre propre jeu vidéo. Nous avions pu séduire des joueurs ou plutôt des clients basés aux USA, en Australie, en Chine, en Afrique du Sud, en Italie, en Colombie, etc.

Et ceci a rendu votre implantation à l’international plus facile ?

Nous nous sommes implantés à l’international pour d’autres raisons, mais vous devez savoir que, de par sa nature même, le jeu vidéo est exportable. Il n’y a pas un jeu vidéo qui ne traverse pas les frontières nationales parce que la distribution de ce produit se fait sur internet, et une fois sur le net, le produit est déjà exporté.

Au début, les jeux vidéo commençaient par une création suivie d’une production, étaient mis sur CD ou DVD, emballés et distribués via la FNAC, Carrefour, les salles de jeu et autres (en France, ndlr). Aujourd’hui ce qui est nouveau et extraordinaire, c’est que le jeu vidéo est devenu un produit numérique, nous n’avons plus besoin d’un support physique pour le porter, nous y procédons via le digital. Dès que le produit est mis sur la plateforme de distribution digitale, le monde entier y a accès et achète immédiatement.

Il est évident qu’il y a de la concurrence, et la compétition pour la distribution et la vente sont rudes mais toujours est-il que le produit est à la disposition des acheteurs dès qu’il est mis en ligne et dès sa production sans perte de temps. Ce qui est exceptionnel c’est que le potentiel est là. Demain si quelqu’un produit un jeu qui est vendu sur ces plateformes, ça peut générer pour lui des millions de dollars sans qu’il bouge de chez lui, et il peut avoir des clients partout. Donc la notion de l’internationalisation et de l’export n’existe pas dans le cas des jeux vidéo.

Combien de levée de fonds vous avez fait ?

En Tunisie nous avons eu deux levées de fonds dont une avec Ismail ben Yedder, et après avec Intilak. A l’international, nous avons fait des levées de fonds mais avec des business angels et avec des fonds d’investissement.

A ce jour, notre travail en tant que DigitalMania à l’international a été à dimension commerciale et non de développement. Ça devrait changer dans les six prochains mois, parce que nous avons des plans assez importants de développement en Europe. Donc, nous aurons besoin de nouvelles levées de fonds.

Pour l’instant, nous avons DigitalMania en Tunisie qui crée les jeux et les produits, et nous distribuons les jeux à travers une entreprise installée à Malte que j’ai créée il y a une année et demie.

Combien de concepteurs de jeux vous avez ?

Il y a les fixes et les freelance, parce que les jeux vidéo c’est comme les films, il y a les acteurs principaux, les rôles secondaires et les figurants… Je prends l’exemple du projet “Wolf“, il a nécessité 120 intervenants pour sa création, avec beaucoup d’externes.

Quelle est votre évolution d’une année à l’autre ?

En 2020, il y a eu la Covid-19, mais malgré cela, nous avons réalisé une croissance de 34%. Entre 2018 et 2019, nous avons progressé à hauteur de 120%.

Quelles sont vos dernières créations ?

Aujourd’hui il y a deux jeux principaux que nous sommes en train de produire. Un qui vient de sortir, qui s’appelle WarsHMallows, et dans ce jeu-là, personne ne meurt, mais il y a une compétition et des éliminations.  C’est un jeu de tir et c’est divertissant. Ce jeu marche bien maintenant.

Le deuxième est destiné aux entreprises. C’est un jeu vidéo mais le cadre est différent, c’est un cadre de travail. Le jeu s’appuie sur les techniques de gestion et vise l’amélioration des performances. Il permet de consolider les formations, le savoir-faire et l’expertise via des jeux dans la détente lors des réunions des teams buildings. On peut y améliorer la communication, l’information, le travail d’équipe et la construction de la confiance. Ce sont les soft skills et les power skills. Ces jeux sont là pour que les gens apprennent tout en jouant.

Aujourd’hui on a un jeu vidéo qui est leader mondial. C’est un succès et des milliers de logisticiens l’ont téléchargé pour apprendre la gestion.

Justement, quel est votre classement à l’international ?

Nos jeux parlent pour nous. En tant qu’entreprise, nous sommes un epsilon par rapport à d’autres mastodontes, mais pour ce qui est des jeux, nous sommes les premiers. Le jeu de team building digital est classé premier au monde. L’année dernière nous l’avons adapté sur le zoom et plus de 30 000 personnes y ont joué au jeu et par 30 000, je désigne les grands parmi les grands dont Google, Apple et la défense américaine. Le jeu est distribué par 40 partenaires et sur plus de 120 pays directement et indirectement.

Entretien conduit par Amel Belhadj Ali