Hichem Besbes, professeur de télécommunications à Sup’Com et ex-président de l’Instance nationale des télécommunications (INT), considère que le déploiement de la 5G en Tunisie ne serait efficace que d’ici fin 2022 ou début 2023, vu le retard enregistré dans la réalisation de l’infrastructure nécessaire.

Il présente des éclairages sur ce réseau, ses apports et les dates appropriées pour son déploiement en Tunisie.

Le ministère des Technologies de la communication avait donné son feu vert en octobre 2020 pour que les trois opérateurs effectuent des tests des réseaux 5G, sur une durée de six mois, en prévision du lancement officiel de cette technologie en Tunisie en 2022.

Dans le monde, la technologie 5G ou de “cinquième génération” remplacera bientôt la 4G. Les fréquences sont déja activées dans plusieurs pays.

Pourriez-vous nous expliquer ce qu’est un réseau 5G ?

Hichem Besbes : Il s’agit de la cinquième génération de connectivité Internet mobile qui promet des vitesses de téléchargement et d’envoi de données beaucoup plus rapides (10 à 20 fois), une couverture plus large et des connexions plus stables. Avec le déploiement massif de ” l’internet des objets ” (IoT), l’utilisation du Cloud et l’adoption de l’intelligence artificielle, la 5G est un ” enabler ” (facilitatrice) de la quatrième révolution industrielle 4.0.

La 5G se distingue par trois facteurs clés : la connectivité, la latence et la largeur de bande. Avec des délais de transmission assez faibles, et des vitesses de transmission assez élevées, la 5G permettra par exemple, aux chirurgiens d’effectuer des opérations à distance, ce qui réduira le fossé entre les régions.

En d’autres termes, la 5G transformera profondément, les télécommunications sans fil, en ouvrant la voie au réseau des générations futures qui comprendra plus d’appareils et permettra des communications plus rapides et à de plus grandes vitesses.

Est-ce qu’il est réellement temps de déployer ce réseau en Tunisie ?

En Tunisie, la 4G a été installée en 2016, et plusieurs améliorations peuvent être apportées à ce réseau, en optimisant la densification du réseau par exemple, afin de garantir la qualité de service spécifiée dans le cahier des charges de la licence 4G.

La 5G peut apporter des solutions pour la connectivité des foyers, en utilisant la technologie des connexions d’accès sans fil fixe ” fixed wireless access ” (FWA), afin d’assurer un débit très important et une meilleure stabilité, cette technique est déjà existante avec la 4G et elle est proposée par deux opérateurs.

Déployer la 5G pour seulement le service FWA, ne me semble pas une très bonne approche, il faut voir les autres services qui seront réservés aux industriels, avec des applications qui peuvent avoir un impact sociétal.

D’autre part, le marché des terminaux mobiles compatibles 5G n’est pas assez mature, et le prix de ces terminaux reste élevé.

N’oublions pas aussi, qu’avec la crise du Covid, l’économie tunisienne a beaucoup souffert. On ne voit pas réellement des investissements dans l’infrastructure ou dans la modernisation de l’industrie Tunisienne. Pour toutes ces raisons, je pense que le déploiement de la 5G ne serait efficace qu’à fin 2022 ou début 2023.

Quels sont les apports de ce réseau pour la Tunisie, un pays engagé dans un processus de digitalisation ?

La transformation digitale de la Tunisie permettra de renforcer la transparence, de lutter contre la corruption, d’optimiser les services publics, de contribuer au bien-être du citoyen, de former les jeunes et les travailleurs à de nouveaux métiers, de sensibiliser nos entreprises à l’importance de prendre le virage numérique, d’améliorer l’accessibilité aux soins de santé et de faire rayonner davantage notre culture.

Elle assurera la cohérence de l’ensemble des actions gouvernementales, afin d’accélérer le déploiement d’une véritable culture numérique.

Pour garantir une très bonne transformation digitale, il faut changer les états d’esprit, renforcer les capacités en matière de numérique et améliorer l’infrastructure haut débit du pays. La 5G peut être un facteur important pour l’amélioration de la qualité de la couverture et la connectivité en très haut débit.

Si on considère les éventuels risques de cette technologie sur la santé et l’environnement, est-ce que la Tunisie a le choix de décliner ce passage ?

Malgré des études approfondies sur les effets sur la santé des téléphones mobiles et des stations de base, au cours des deux ou trois dernières décennies, rien n’indique un risque accru pour la santé lorsque des personnes sont exposées à des champs électromagnétiques inférieurs aux niveaux spécifiés par les organismes internationaux, telle que l’OMS.

Il y a deux agences qui étudient les effets de la radiation sur la santé des personnes et spécifient les seuils des puissances maximales à ne pas dépasser.

Il s’agit de : The International Commission on Non-Ionizing Radiation Protection (ICNIRP): https://www.icnirp.org et The Institute of Electrical and Electronics Engineers (IEEE): https://www.ieee.org/

Il faut noter aussi, qu’à part les ondes millimétriques, la 5G utilise les mêmes bandes de fréquences que la 4G.

De plus, la 5G utilise plusieurs antennes émettrices et réceptrices (Massive MMO en anglais), qui permettent d’orienter les champs électromagnétiques vers les utilisateurs connectés et de ne pas faire rayonner ces champs dans toutes les directions. Ceci permettra de réduire la puissance rayonnée, et le risque d’exposition aux ondes électromagnétiques sera nettement plus faible que les générations passées.

Et si le pays opte pour ce passage à la 5G, y a-t-il des normes à respecter pour éviter tous les risques sur la santé et l’environnement ?

Dans le cahier des charges pour attribuer la licence 5G, les niveaux de puissance maximale seront spécifiés. La Tunisie a toujours opté pour des niveaux de seuils qui sont très bas par rapport aux seuils fixés par l’OMS.

D’autre part, il y a les deux régulateurs qui contrôlent et font des mesures périodiques des niveaux de champ, à savoir l’Agence Nationale des Fréquences (ANF) et l’Instance Nationale des Télécommunications (INT), sans oublier le rôle très important de l’Agence Nationale de Contrôle Sanitaire et Environnemental des Produits (ANCSEP).

Certaines rumeurs lient le déploiement de la 5G en Chine avec l’émergence de la Covid-19…

Je pense qu’il y a des enjeux géopolitiques qui veulent freiner le déploiement de la 5G, avec des histoires qui viennent de nulle part.

A mon sens, l’effet papillon ne s’applique pas avec la 5G.