L’article 4* de la loi de finances complémentaire 2020 a été définitivement rejeté par l’ARP. Un soulagement pour les hauts cadres administratifs.

Et pour cause, les obsédés de la transparence dans un Parlement où une partie importante des députés est d’une intégrité douteuse et où d’autres sont poursuivis par la justice, ont exigé qu’après décision de la Commission d’arbitrage au ministère des Finances, un rapport leur soit envoyé pour qu’ils s’assurent de la transparence des négociations entre administration fiscale et contribuable.

Au lieu de légiférer pour que les politiques -d’ailleurs pour la plupart corrompus tout au long de ces dernières années- n’utilisent pas l’administration fiscale pour régler leurs comptes, nos chers députés partent du principe que l’administration publique est par définition corruptible et que par conséquent elle doit être systématiquement contrôlée.

Voyons le motif invoqué par l’ARP et nos merveilleux constitutionnalistes, censés saisir l’esprit des lois, pour rejeter l’article 4 : les messieurs propres estiment que « La compétence de statuer en matière de recouvrement et du contrôle avant et même après l’établissement des arrêtés de taxation dépassent le champ du Comité tel que défini par l’article 4 susvisé et empêchera les autres services et comités relevant du ministère des Finances d’exercer leurs missions d’une manière efficace, d’autant plus qu’elle est présidée par le ministre des finances et ses décisions demeurent opposables à l’administration fiscale » (Voir texte en arabe en bas de l’article).

Un motif complètement ridicule car cet article avait pour but de rassurer les services chargés de contrôle devenus irascibles même aux dépens de l’intérêt public, de peur de se voir sanctionnés. Les risques de voir le ministre s’opposer à leurs décisions si justes et logiques sont presque inexistants.

En fait, les érudits de l’ARP ont-ils seulement saisi la philosophie de l’élaboration d’une telle loi ? Bien sûr que non ! La dimension de l’Etat les dépasse et l’incapacité prouvée de leurs partis à gérer les affaires publiques les renvoie à leur impuissance, leur incompétence et leur ignorance.

Les raisons de l’élaboration de l’article 4

Messieurs/dames les députés ne se sont même pas attardés sur la raison de la création du Comité telle que définie par l’article 4 du projet de loi n°2020-139 relatif à la loi des finances complémentaire pour la gestion 2020. Un article qui vise à renforcer et mieux encadrer le processus d’acquiescement aux résultats de la vérification fiscale.

Il s’agit en premier de parer à la réticence des services chargés du contrôle de prendre des décisions sous peine de se voir poursuivis sur la base de l’article 96 du code pénal*.

Il s’agit également de poursuivre une politique générale de transaction en matière fiscale afin de renflouer rapidement les caisses de l’Etat tout en ne le lésant pas. Le principe est  d’émettre des décisions des fois opposables aux services chargés du contrôle. Services qui pourraient être réticents préférant reléguer leurs dossiers au contrôle du juge, infligeant ainsi aux contribuables et à l’Etat des frais supplémentaires, et ce en raison du caractère consultatif des décisions émanant des comités régionaux et nationaux créés par les articles 117/118 du CDPF.

Le but de l’article 4 était aussi de consacrer une situation de fait : les contribuables désireux de s’acquitter des impôts, droits et taxes réclamés par les services du contrôle dans le cadre de vérifications préliminaires et approfondies, présentent leurs questions d’ordre purement technique aux services centraux de la Direction générale des impôts (DGI) ou à la Direction générale des études et de la législation fiscale (DGELF).

L’adoption de l’article 4, si ce n’est la paranoïa de députés lamentables, aurait pu améliorer le rendement fiscal en incitant les services du contrôle à œuvrer à la réussite du processus de la transaction avec les contribuables et à les rassurer en leur permettant d’exercer leur mission dans la sérénité sans que cette procédure puisse entraver toute poursuite pénale à l’encontre des contribuables fraudeurs.

Incapables d’instaurer, d’encourager et d’ambitionner un climat sain où le respect des lois est sacrosaint, les obsédés anticorruption préfèrent la suspicion dans le seul pays au monde où on est coupable jusqu’à preuve de notre innocence.

L’arbitrage existe ailleurs…

Et pourtant, l’arbitrage existe dans notre pays tel celui exercé par les services de douanes. Il aurait suffi d’adopter le même modèle et s’inspirer de l’expérience des services de la Douane autorisés à conclure des transactions suite à des affaires perdantes même devant la cour de cassation, et ce en vertu des dispositions de l’arrêté ministériel n° 54 du 18 mars 2019.

Dans la Tunisie démocratique, les pseudo-politiciens justiciers préfèrent garder l’épée de Damoclès au-dessus de la tête des commis de l’Etat. Soit l’article 96 invoqué depuis 2011 à chaque fois que l’on veut se débarrasser d’une haute compétence ou que l’on veut régler ses comptes avec un opérateur privé réticent à financer certains partis. Un article coercitif promulgué du temps où feu Bourguiba à la fin de son règne avait lancé la chasse aux sorcières au défunt Mohamed Mzali et sa cour rapprochée.

Encore heureux que les nouveaux arrivants hostiles à l’héritage Bourguiba apprécient des articles de loi qui les servent à souhait. Si ce n’est qu’à cause de l’article 96 et des fausses batailles contre la corruption, l’Etat perd au change. Car faute de trancher via un arbitrage au sein d’une commission au ministère des Finances et activer la récupération des deniers publics, on accule l’Administration fiscale à jeter la responsabilité sur la justice. On part pour des procès, dont il n’est pas sûr que le jugement profite à l’Etat mais, qui, en contrepartie, font perdre du temps et de l’argent aux pouvoirs publics.

Pourtant il aurait été plus simple et plus sain d’asseoir une culture d’encouragement et de motivation des décisions administratives en se ressourçant dans les textes de la jurisprudence fiscale et de la doctrine administrative et en étudiant les documents et pièces justificatives présentés par le contribuable. Le but ultime étant de mieux défendre les droits réciproques et du Trésor public et des contribuables.

Mais que peut-on faire face à la bêtise des arrivants amateurs sur la scène publique ? Comme l’a dit Napoléon, « Il y a des gens qui se croient le talent de gouverner par la seule raison qu’ils gouvernent ».

Amel Belhadj Ali

*4 du projet de loi n°2020-139 relatif à la loi des finances complémentaire pour la gestion 2020

*Article 96 du code pénal : « – Est puni de dix ans d’emprisonnement et d’une amende égale à l’avantage reçu ou le préjudice subi par l’administration, tout fonctionnaire public ou assimilé, tout directeur, membre ou employé d’une collectivité publique locale, d’une association d’intérêt national, d’un établissement public à caractère industriel et commercial, d’une société dans laquelle l’Etat détient directement ou indirectement une part quelconque du capital, ou d’une société appartenant à une collectivité publique locale, chargé de par sa fonction de la vente, l’achat, la fabrication, l’administration ou la garde de biens quelconques, qui use de sa qualité et de ce fait se procure à lui-même ou procure à un tiers un avantage injustifié, cause un préjudice à l’administration ou contrevient aux règlements régissant ces opérations en vue de la réalisation de l’avantage ou du préjudice précités ». 

[1] “وحيث أن صلاحية البت في ملفات الاستخلاص وملفات المراجعة الجبائية قبل التوظيف وبعده يتجاوز حدود متابعة الملفات  والمسائل الجبائية التي من أجلها احدثت هذه اللجنة ومن شأنه أن يحول دون قيام الهياكل واللجان الأخرى بوزارة المالية بمهامها بالنجاعة التي يقتضيها الدستور خاصة وأن هذه اللجنة التي يتراسها وزير المالية دون غيره بمقتضى هذا الفصل وقراراتها باتة تعارض بها الادارة المكلفة بالجباية الامر الذي يتعين معه قبول هذا المطعن والتصريح بعدم دستورية هذا الفصل”.