Dix ans après un fameux 17 décembre 2010 – 14 janvier 2011 les Tunisiens s’interrogent. Qu’a-t-on fait de ces dix précieuses années. Sommes-nous en train de réussir même lentement, malgré les erreurs et les dégâts accumulés. Ou par contre, sommes-nous en train de sombrer dans des difficultés graves et qui sont de nature à compromettre non seulement notre expérience de transition démocratique, mais aussi les acquis de la Tunisie d’avant 2011.

Le journal français Le Monde nous a consacré dans son édition du 16 décembre 2020 un article qui fait peur. Le titre de cet article était comme suit: « Techniquement la Tunisie est en quasi faillite ».

Il est évident que tout ce que disent et écrivent nos partenaires économiques et financiers étrangers nous intéresse particulièrement. Ils sont souvent capables, plus que nous, d’influencer les décisions prises par les investisseurs, les institutions financières, ou même les entreprises commerciales et industrielles, pour leurs relations avec la Tunisie. Et comme on dit « la perception est plus importante que la réalité ».

La perception que peuvent avoir nos partenaires étrangers de la situation de notre pays est donc déterminante pour toute stratégie de sortie de crise.

Il est évident aujourd’hui que les choix faits par la Tunisie en matière de régime politique et de mode d’élection ont donné une grande dispersion du pouvoir, l’impossibilité de voir émerger une majorité qui assume le pouvoir, une instabilité des gouvernements et une certaine impuissance de ces mêmes gouvernements devant les défis et les difficultés que traverse le pays.

Le pays semble d’autant plus piégé qu’il n’arrive même pas à entreprendre des réformes qui s’imposent logiquement.

La constitution semble cadenassée et n’offre pas de solutions de sortie de crise.

Avec une telle situation politique l’économie est en train de s’affaiblir gravement. Notre économie est devenue incapable de générer de la croissance, de créer des richesses et des emplois de qualité. Les inégalités sociales se développent, les disparités régionales aussi. La pauvreté gagne du terrain et le taux d’analphabétisme se met à remonter pour la première fois depuis l’indépendance.

Tous les indicateurs économiques et financiers se détériorent gravement. L’indicateur le plus inquiétant est celui de la dette extérieure. La Tunisie est aujourd’hui dans une situation d’endettement excessif. Ceci veut dire en d’autres termes qu’il existe aujourd’hui de sérieux doutes sur la capacité de la Tunisie à honorer normalement sa dette extérieure.

Les choix politiques ont été à l’origine de mauvais choix économiques et financiers. Exprimés en Dollars ou en Euros, la taille du PIB et le revenu par habitant sont en chute libre depuis 2011.

L’environnement de l’investissement est devenu hostile à l’investissement.

L’investissement public, qui était un véritable moteur de la croissance économique, est quasiment absent malgré une augmentation vertigineuse des dépenses publiques.

Le budget de l’État est devenu trop gros par rapport à la taille de l’économie, il s’est calcifié et il est devenu stérile. La politique monétaire est maintenant exclusivement déterminée par le concept de l’indépendance de la Banque centrale (BCT).

Ceci implique que la BCT se donne comme mission exclusive de défendre le taux d’inflation et la « stabilité du Dinar » même si cela se fait aux dépens de la croissance économique, de la création d’emplois, et de l’amélioration du bien être du citoyen.

Que faire donc, dix ans après?

De deux choses l’une:

– les Tunisiens reprennent leurs affaires en main et trouvent une issue pacifique au blocage politique que connait le pays. Ceci permettrait un passage à la troisième république et remettrait les Tunisiens au travail. Dans ce cas les problèmes économiques et financiers redeviennent gérables. Et dans ce cas toute l’expérience démocratique peut être sauvée;

– les Tunisiens se montrent incapables de trouver une sortie de crise politique. Dans ce cas ce serait le chaos généralisé. Et la Tunisie se trouverait entraînée dans le tourbillon du rééchelonnement de sa dette extérieure avec de sérieuse menaces sur sa souveraineté et sur le devenir de son expérience démocratique.

Ezzeddine Saidane