Les think tank internationaux sont unanimes pour relever que le monde post-Covid-19 sera une société sociale, démocratique et respectueuse de l’environnement.

En Tunisie, les acteurs de développement donnent l’impression, jusqu’à ce jour, qu’ils ne sont pas encore conscients de cette nouvelle donne, particulièrement en ce qui concerne le volet environnemental.

C’est ce qu’a cherché à démontrer, dans cette longue interview accordée à webmanagercenter, Samir Meddeb, universitaire et expert en développement durable.

Dans cet entretien, l’expert brosse, chiffres à l’appui, un tableau noir de la vulnérabilité environnementale en Tunisie, énumère les secteurs et facteurs à l’origine de la pollution, évoque la demande environnementale dans les régions et les risques que court la Tunisie par l’effet du réchauffement climatique.

Pour y remédier, Samir Meddeb plaide pour la transition environnementale avec ses trois composantes (territoriale, écologique et énergétique).

L’entretien truffé de chiffres actualisés et de radioscopies sectorielles fort instructives constitue une référence en la matière.   

Dans cette troisième et dernière partie, Samir Meddeb propose une stratégie en trois points à même d’aider la Tunisie à atténuer la dégradation écologique et à s’adapter au réchauffement climatique.     

WMC : Que proposez-vous comme solution pour remédier à cette situation peu reluisante ?

Samir Meddeb : Tant de défis qui nécessitent une approche et une vision globale dans une dynamique cohérente et systémique dans laquelle s’intégreraient au même niveau les dimensions économique, sociale, environnementale et culturelle. Dynamique qui doit forcément conduire avec l’implication des différents acteurs vers la matérialisation d’un projet national aux multiples déclinaisons régionales et locales.

Je voudrais insister ici sur le fait que ces défis, bien qu’ils soient en apparence difficiles à surmonter car nécessitant de profondes modifications dans nos modes de planification en matière de production et de consommation ainsi que d’une manière générale de gouvernance, mais en même temps ils sont porteurs d’espoir car ils peuvent constituer de sérieuses opportunités pour l’instauration d’une nouvelle économie plus dynamique, diversifiée, inclusive et créatrice de nouvelles activités.

A côté de ces défis intrinsèques à la Tunisie, viennent s’ajouter d’autres qualifiés d’émergents, ceux en relation avec les changements climatiques. Le défi essentiel de la Tunisie à ce niveau réside essentiellement dans sa capacité à s’adapter aux effets des changements climatiques du fait qu’elle se situe au cœur de la Méditerranée.

Dans vos travaux de recherche et conférences publiques, vous parlez souvent de la transition écologique. Voudriez-vous nous en donner une idée ?

De mon point de vue, j’estime que l’environnement au sens large du terme apparaît de plus en plus comme le fondement de toute construction nouvelle. Tout modèle à préconiser doit prendre en considération la nature de cet environnement, ses capacités et ses limites ainsi que les caractéristiques des interactions qui s’établissent et/ou doivent s’établir entre l’homme et cet environnement.

Pour revenir à votre question sur la transition environnementale, celle-ci, prise dans son sens large du terme, constitue, de nos jours, le fondement et la base du projet auquel la Tunisie aspire en ce moment.

Ce projet aux multiples dimensions géographiques et sectorielles se décline essentiellement en trois transitions fondamentales que la Tunisie doit opérer : la transition territoriale, la transition écologique et la transition énergétique.

La transition territoriale est celle qui œuvrera, à travers les correctifs politique, juridique, institutionnel, économique et culturel nécessaires, à renverser la tendance actuelle en termes d’aménagement du territoire et travailler de manière soutenue à corriger les inégalités flagrantes observées aujourd’hui entre les régions de la Tunisie, et entre un littoral soutenu, relativement développé et un intérieur du pays arriéré et enclavé.

En effet et afin de dépasser l’un des handicaps sociaux majeurs qui a été à l’origine de la révolution de janvier 2011 et qui continue à handicaper l’avancée collective et harmonieuse de la Tunisie, il convient de repenser l’aménagement du territoire, et d’inclure l’ensemble des régions du pays dans le processus de développement sans exclusion particulière.

Un nouveau découpage administratif des régions et/ou des districts avec la recherche d’une plus grande complémentarité régionale, une gouvernance régionale plus autonome, des incitations de tout ordre pour encourager l’investissement dans les régions défavorisées, un développement des infrastructures et des équipements sont autant de pistes en matière de renforcement et de développement des régions.

La transition écologique, deuxième composante de la transition environnementale, est celle qui doit réduire à tous les niveaux la pression naturelle et surtout anthropique exercée par les différentes activités humaines sur les milieux et les ressources naturelles. Pressions qui menacent de plus en plus la pérennité du stock capital naturel, et par conséquent la durabilité des activités socioéconomiques qui en dépendent.

La transition écologique à préconiser dans ce sens, et en vue de réponde à ces différents défis, n’est autre que celle qui consistera à promouvoir les activités humaines faiblement consommatrices en ressources naturelles avec le plus faible impact sur les milieux et les équilibres écologiques.

Une intégration des impératifs écologiques de l’environnement devient en ce moment une approche indispensable dans la planification et la mise en œuvre de toute politique ou programme de développement.

La révision simultanée de nos modes de consommation et de production serait le moteur de cette transition écologique. L’agriculture, le transport, le bâtiment et le tourisme apparaissent aujourd’hui en Tunisie comme des domaines qui offrent des opportunités multiples en matière de réduction des pressions sur les ressources naturelles et en même temps de création de richesse et de nouveaux emplois à travers la promotion de nouvelles approches et de nouvelles technologies vertes et écoresponsables.

La transition énergétique est celle qui viendrait boucler le concept général de transition environnementale. Elle consiste à réduire la consommation d’énergie fossile et à promouvoir celle des énergies nouvelles et renouvelables.

La Tunisie connaît un déficit énergétique de plus en plus important, celui-ci représente actuellement plus de 50%, il pourrait atteindre, selon les scénarios de la demande, plus de 70% en 2030.

Les dépenses énergétiques du pays se situent autour de 15% du PIB, ce qui est de nature à affecter fortement la compétitivité de l’économie tunisienne.

En effet, en 2018, le montant total de la subvention au secteur de l’énergie s’élevait à 2,7 milliards de dinars, dépassant ainsi les 8% du budget de l’Etat, et pesant ainsi lourdement sur les finances publiques et exerçant, par la même occasion, un effet d’éviction sur le budget public d’investissement.

La transition énergétique est l’un des fondements de l’économie verte, elle doit permettre d’alléger la consommation de l’énergie fossile à travers premièrement l’amélioration des procédés de production et l’adoption de nouvelles pratiques moins énergivores et par conséquent la réduction de l’intensité énergétique, et deuxièmement à travers la promotion de nouvelles formes d’énergie nouvelles et renouvelables.

La transition énergétique créera ainsi les conditions pour consommer mieux en économisant de l’énergie dans les principaux secteurs du transport, du bâtiment et de l’industrie, pour produire autrement et préserver l’environnement à travers l’utilisation des énergies renouvelables.

La transition énergétique favorisera aussi la création d’emplois dans des créneaux d’avenir. 

Quelles sont les conditions à réunir pour mener à terme cette transition environnementale ?

Cette transition environnementale à trois têtes (territoriale, écologique et énergétique) ne peut se concrétiser, prendre forme et se mettre progressivement en œuvre qu’à la condition de rendre fonctionnels et performants les structures et les dispositifs de gouvernance tout en assurant la production et la diffusion des connaissances nécessaires pour une telle transition.

Dans cette perspective, l’administration doit être allégée, modernisée, rapprochée du citoyen et des acteurs économiques, ouverte sur les différents partenariats et disposant d’outils performants de planification, de mise en œuvre et de contrôle.

Le pouvoir régional et local, quant à lui, doit se matérialiser, devenir réellement actif conformément aux spécificités régionales et locales tout en apportant des réponses aux attentes et aux aspirations des populations concernées. Il doit être pour cela parfaitement ancré dans le paysage régional et local et outillé politiquement, financièrement et humainement.

La transition environnementale prend des sources dans le régional ainsi que dans le local.

Pour ce qui est de la production et de la diffusion des connaissances et des informations, condition indispensable pour la concrétisation de toute transition, les acteurs du développement à toutes les échelles ainsi que les citoyens doivent être à un niveau appréciable de connaissances et d’informations pour qu’ils puissent saisir rapidement la portée des situations et réagir individuellement et collectivement de la manière la plus efficace.

Les connaissances produites ainsi et de manière régulière et ciblée seront diffusées et partagées à travers les canaux les plus fluides possibles auprès de toutes les parties concernées.

Tant de voies porteuses d’espoir et d’opportunités de création d’emplois et de richesse pour une nouvelle Tunisie sociale et écologique.

Seulement un tel projet n’est possible et réalisable qu’à la condition sine qua non de l’instauration de toutes les conditions politico-sociales pour que la majorité des intervenants publics et privés puisse fonctionner ensemble de manière cohérente en direction d’objectifs majoritairement acceptés.

Propos recueillis par Abou Sarra

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