Les think tank internationaux sont unanimes pour relever que le monde post-Covid-19 sera une société sociale, démocratique et respectueuse de l’environnement.

En Tunisie, les acteurs de développement donnent l’impression, jusqu’à ce jour, qu’ils ne sont pas encore conscients de cette nouvelle donne, particulièrement en ce qui concerne le volet environnemental.

C’est ce qu’a cherché à démontrer, dans cette longue interview accordée à webmanagercenter, Samir Meddeb, universitaire et expert en développement durable.

Dans cet entretien, l’expert brosse, chiffres à l’appui, un tableau noir de la vulnérabilité environnementale en Tunisie, énumère les secteurs et facteurs à l’origine de la pollution, évoque la demande environnementale dans les régions et les risques que court la Tunisie par l’effet du réchauffement climatique.

Pour y remédier, Samir Meddeb plaide pour la transition environnementale avec ses trois composantes (territoriale, écologique et énergétique).

L’entretien truffé de chiffres actualisés et de radioscopies sectorielles fort instructives constitue une référence en la matière.   

Dans une première partie, Samir Meddeb a établi un diagnostic chiffré de la situation environnementale en Tunisie. Dans cette seconde partie, il aborde les secteurs à l’origine de la dégradation environnementale et les risques que court la Tunisie par l’effet du réchauffement climatique.

WMC : Quels sont, d’après vous, les facteurs et secteurs qui ont généré cette dégradation de l’environnement en Tunisie ?

Samir Meddeb : Il y a en premier lieu les modèles de développement socioéconomique mis en place en Tunisie au cours des dernières décennies. Ces modèles ont privilégié la recherche de l’intérêt économique et social au détriment des impératifs de l’environnement et des limites du capital naturel.

A ce titre et en guise d’illustration, nos pratiques socioéconomiques en relation avec l’environnement se présentent synthétiquement comme suit : l’agriculture, secteur traditionnel, est jugée dans ce sens grande consommatrice de ressources naturelles avec souvent des rendements à faible valeur ajoutée ; eaux souterraines et particulièrement phréatiques et fossiles, sols arables, forêts et parcours sont souvent surexploités mettant en cause la pérennité d’activités ancestrales, et menaçant par conséquent des équilibres sociaux de plus en plus précaires.

Vient ensuite la pêche qui souffre de plus en plus de rendements faibles, par l’effet de pratiques illégales dans ce domaine : non-respect de la réglementation, persistance de poches de pollution significative (cas du Golfe de Gabès), autant de facteurs qui limitent les potentialités de ce secteur et mettent progressivement en péril la pérennité du stock halieutique et donc la durabilité de l’activité de la pêche elle-même.

L’industrie intervient en troisième lieu. Peu compétitive, dominée par la petite et moyenne entreprise, cette industrie nécessite encore de grands efforts de mise à niveau environnementale. Elle se trouve, aujourd’hui, responsable de la pollution de plusieurs milieux marins et continentaux et à l’origine de la dégradation de la qualité de vie et de la santé des populations dans plusieurs localités du pays (les cas de Bizerte, Menzel Bourguiba, Sfax, Gabès et les environs de Gafsa).

Le coût de la dégradation de l’environnement, tant naturel et humain, malheureusement encore méconnu de manière précise et engendré par cette activité, dévoilera certainement, une fois maîtrisé, des résultats surprenants sur lesquels il faudra apprendre à se pencher de manière conséquente.

Le tourisme à prédominance balnéaire est également à l’origine de la dégradation de l’environnement. Comparé à la région méditerranéenne, notre tourisme apparaît peu rentable et constitue souvent une source de dégradation du littoral. Ce secteur est en effet grand consommateur d’espace souvent d’intérêt écologique et économique important dans une démarche de planification souvent non respectueuse des équilibres de la bande littorale. Les zones touristiques et les établissements hôteliers qui s’y trouvent sont souvent disproportionnés par rapport à leur environnement.

Le transport est également pointé du doigt pour une raison simple : notre mode de transport est prédominé de plus en plus par le mode individuel. Il constitue une source de grande consommation d’énergie et d’insécurité routière, envahit nos espaces urbains et contribue fortement à la dégradation de la qualité de vie.

Le bâtiment, de plus en plus en décalage avec les spécificités climatiques et culturelles du pays, apparaît lui aussi comme un secteur énergivore au niveau des différentes phases de la construction, depuis la fabrication des matières premières, ciment et briques, jusqu’à l’exploitation des bâtiments eux-mêmes.

Tant de défis qui se présentent à la Tunisie au cours de la prochaine période pour réorienter son développement vers un développement plus durable prenant en considération les limites de notre environnement.

Pourriez-vous nous présenter de manière succincte les risques que court la Tunisie en cas de réchauffement climatique accéléré ?

Sur le plan régional, la Méditerranée, zone de hot spot de changement climatique, dans le cas d’une augmentation mondiale de 2°C, subira une augmentation qui arriverait à plus de 3°C.

Les études récentes menées au cours des dernières années sur les effets des changements climatiques sur les écosystèmes et les activités humaines en Tunisie dégagent les résultats suivants.

La température afficherait une augmentation moyenne sur l’ensemble du pays de +2,1°C à l’horizon 2050, et le volume des précipitations observerait une baisse à cet horizon comprise entre 10% à 30% selon les régions, par rapport à la situation actuelle ; ce qui influerait sur les ressources en eau qui subiraient des baisses estimées à 30% au niveau des eaux conventionnelles à l’horizon 2030 et une perte des nappes côtières par salinisation suite à l’intrusion marine de pas moins de 50%.

Pour ce qui est du littoral, zone extrêmement convoitée par les Tunisiens, celui-ci subirait une perte par submersion d’environ 16 000 hectares de terres agricoles dans les zones côtières basses, 700 000 hectares de zones bâties, une dégradation de l’activité  des hôtels front mer, d’une capacité totale d’environ 30 000 lits, à cause du retrait des plages et une dégradation des infrastructures portuaires et littorales.

Les pertes en production annuelle au niveau de cette frange à cause des changements climatiques sont estimées à environ 0,5% du PIB actuel, en provenance essentiellement du tourisme et de l’agriculture et à environ 36 000 emplois essentiellement dans l’agriculture et le tourisme.

L’agriculture serait l’activité la plus affectée par les changements climatiques. Ce qui se traduirait par une réduction des spéculations de la céréaliculture en pluviale autour d’un million d’hectares en 2030, soit une baisse d’environ 30%, accompagnée par une diminution du PIB agricole atteignant 10% en 2030.

Les superficies réservées à l’arboriculture connaîtront également une baisse significative qui atteindrait 800 000 hectares et concernerait essentiellement les régions du centre et du sud.

L’effectif du cheptel baisserait d’environ 80% dans le centre et le sud, contre 20% dans le nord, par perte des parcours de pâturage.

Propos recueillis par Abou SARRA

Suivra troisième partie

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