A cause ou grâce à la Covid-19, le monde se réinvente, l’intelligence artificielle se démocratise et le télétravail se généralise et se globalise. Le recours aux nouvelles technologies n’est plus un luxe mais une nécessité vitale et l’instrument de la performance et l’excellence pour la mise en place d’une organisation plus fluide et flexible de toutes les activités économiques.

La Tunisie, estime Habib Karaouli, PDG de Cap Bank, a de l’intelligence à en revendre et une jeunesse douée et brillante, ce qui lui offre des avantages compétitifs dans toutes les activités bâties sur l’intelligence, l’imagination et la créativité. Le monde qui évolue vers une économie à visage humain pourrait, en neutralisant le capitalisme sauvage et l’exploitation assassine de la nature, juguler la pauvreté et éviter l’asservissement de l’Homme.

Entretien Habib Karaouli, acte II

WMC : Innovation économique et développement durable, est-ce l’avenir de l’humanité ?

Habib Karaouli : Indéniablement. J’y crois de plus en plus. La crise est un élément d’innovation, nous en avons parlé, qu’il s’agisse de robotique, d’intelligence artificielle ou d’internet des objets, la Tunisie peut se prévaloir de l’intelligence d’une jeunesse imaginative et créatrice.

D’un autre côté, le monde de demain ne peut se construire sans développement durable. Nous parlons d’une croissance économique soutenue tout en préservant l’environnement et les ressources naturelles et en veillant à assurer un cadre de vie sain. Soit un environnement socioéconomique sans les inconvénients des modes de production et de consommation des sociétés sur-industrialisées. C’est l’équation entre l’efficience économique et l’équité sociale.

Après la pandémie qui paralyse la planète, le moment sera plus que propice. Le développement durable grimpe rapidement dans la hiérarchie des priorités internationales et devrait l’être au national. Si nous, Tunisiens, entreprenons de nouvelles approches et de nouveaux choix économiques, l’absence d’un référentiel historique pour la gestion de la crise socioéconomique post-Covid-19 fera que personne ne nous reprochera d’avoir suivi des pistes neuves et adopté des sentiers inexplorés.

C’est pour cela que j’appelle à profiter de cette aubaine non seulement pour faire de l’innovation et attaquer l’économie du futur mais aussi pour revoir certains de nos accords multilatéraux afin de nous donner les moyens de nos ambitions économiques.

Et donc pour vous, revoir les accords de remboursement des prêts comme vous l’avez annoncé à maintes reprises s’impose ?

Effectivement. Il faut rediscuter notre endettement avec les multilatéraux. J’ai dit dans un papier que, pour les multilatéraux qui constituent 50% de notre endettement (FMI, BM, BAD ou BIRD), reporter les paiements des échéances sur un exercice ou deux peut ne pas être considéré comme un défaut de paiement.

Trois (3) jour après la publication de ce papier passé inaperçu aux yeux des décideurs publics, S&P, la plus grande agence de notation dans le monde, sort une circulaire qui dit que tout accord -ils n’utilisent pas le terme rééchelonnement- de report d’échéance de paiement avec les multilatéraux fait en plein accord entre les deux parties peut ne pas être considéré comme un défaut de paiement.

Donc l’idée de ne pas «reprofiler» l’endettement par peur de faillir aux engagements tenus ou ne pas impacter la sortie sur les marchés internationaux n’a plus de raison d’être. Le handicap est levé.

Pourquoi reporter le remboursement des dettes multilatérales est important d’après vous ?

Parce que, de mon point de vue, c’est le seul moyen d’avoir un espace budgétaire additionnel. Il s’agit de mettre de côté entre 5 à 6 milliards de dinars qui permettront de financer un plan ambitieux de relance et de transition. Relancer et en même temps agir sur la transition économique parce qu’il est hors de question de reproduire le même modèle.

Le tourisme que nous connaissons est mort et enterré. Il faut revoir totalement son modèle de développement en termes de produits touristiques

Nous avons parlé de tourisme ! Celui que nous connaissons est mort et enterré. Il faut revoir totalement le modèle de développement et le revoir en termes de produits touristiques, de respect de l’environnement, de durabilité et de culture.

Il est clair que les grandes manifestations culturelles et de grands spectacles où sont regroupés des milliers de personnes n’ont plus voix au chapitre. D’autres modèles vont probablement voir le jour et donc la culture va muter et s’adapter. D’ailleurs, la crise a permis de vérifier l’importance de l’engouement des fans du cinéma pour le concept Netflix. Le confinement a été l’opportunité pour Netflix et autres sites de relancer films et productions dramaturgiques oui, mais en agissant sur la transition.

Comment faire la transition ?

La transition doit être adossée à deux piliers : la transition énergétique pour aller vers des modes plus propres et moins polluants, et la transition numérique. Il faut numériser les activités économiques à tous les niveaux.

La crise nous est favorable à condition que les pouvoirs publics développent les stratégies et les plans d’action qui lui sont nécessaires

Quand on parle de l’industrie 4.0, le numérique et l’intelligence artificielle sont consubstantiels de cette industrie-là. Il faut déjà avoir un plan de relance et en même temps de transition parce qu’il faut travailler sur le court terme pour être dans le symptomatique, mais aussi travailler sur le moyen et le long termes.

La crise nous est favorable à condition que les pouvoirs publics adoptent cette vision sur la durée et arrivent à développer les stratégies et les plans d’action qui lui sont nécessaires. Et je ne le répéterai jamais assez, il ne s’agit pas de la rareté des ressources mais de notre capacité à identifier des pistes de sortie de crise et de relance.

Parlons santé puisque c’est d’actualité. J’ai fait quelques hypothèses sur le coût de la mise à niveau de notre infrastructure sanitaire. Dans le meilleur des cas, un lit de réanimation coûte 140 milliers de dinars, tout compris avec tout ce qu’il faut comme appareillage. Et même comme construction avec consommation intermédiaire, cela coûte dans les 300 mille dinars.

Pour les spécialistes, nous n’avons pas besoin de plus de 100 lits parce que nous pouvons ajuster après. J’ai jeté un coup d’œil sur les rapports du ministère de la Santé, les statistiques de l’INS et l’état des hôpitaux et des dispensaires, et je me suis aperçu qu’il ne faudrait pas plus d’un milliard de dinars pour mettre à niveau notre système sanitaire dans les normes les plus récentes.

Il est évident qu’il faut valoriser notre personnel médical et paramédical et lui donner plus de considération pour garder cette expertise qui nous quitte mois après mois et année après année.

Après, il nous reste une question essentielle qui est la prise en charge économique et sociale qui ne doit pas seulement se faire par des adjuvants mais par des décisions fortes.

Comment garder médecins et paramédicaux dans un pays qui ne les traite pas comme il se doit ? La France, un pays qu’on mimétise à souhait, a récompensé le personnel médical et paramédical, chez nous, on leur a quand même enlevé une journée de salaire !

Je suis tout à fait d’accord avec vous. L’idée d’aller ponctionner sur les salaires des travailleurs, tous les travailleurs, ne  m’enchante guère. C’est une solution de facilité pour ceux qui ne savent pas quoi et comment faire.

la politique est aussi la gestion des symboles. On ne ponctionne pas sur les salaires de ceux qui sont une partie de la solution

En temps de crise, le décideur public doit chercher ailleurs les ressources et pas chez le contribuable lequel est salarié et a des contraintes additionnelles parce que c’est justement la crise.

Plus important, la politique est aussi la gestion des symboles. On ne ponctionne pas sur les salaires de ceux qui sont une partie de la solution, et lesquels, même s’ils ne demandent pas une augmentation de salaires, ne demandent qu’un peu de considération. Il faut à chaque travail bien fait démontrer à l’autre partie que vous la considérez et que vous l’estimez parce qu’elle rend service à la nation et assure.

Depuis le déclenchement de la crise, je n’ai pas entendu une seule fois des travailleurs réclamer une augmentation de salaire ou des primes. Ils espèrent juste une reconnaissance pour leurs efforts en tant que partie de la solution et qui ont assuré leur part de travail.

Cela me renvoie à la légende du colibri. Un jour, il y eut un immense incendie de forêt. Tous les animaux, terrifiés et atterrés, observaient impuissants le désastre. Le colibri était le seul qui s’activait, allant chercher quelques gouttes avec son bec pour les jeter sur le feu. Après un moment, le tatou, agacé par cette agitation dérisoire, lui dit : “Colibri ! Tu n’es pas fou ? Ce n’est pas avec ces gouttes d’eau que tu vas éteindre le feu!”. Et le colibri lui répondit : “Je le sais, mais je fais ma part“.

L’égalité dans l’absolu n’a pas d’éthique et elle peut être souvent injuste

Nous avons fait exactement le contraire sous prétexte d’égalité, et c’est fallacieux comme argument, parce que l’égalité doit être liée à l’éthique. L’égalité dans l’absolu n’a pas d’éthique et elle peut être souvent injuste. Et là, nous revenons sur ce qui a été dit précédemment : le handicap du manque d’imagination.

Avant 2011, demander un rééchelonnement pouvait être considéré comme un défaut de paiement et donc constitutif d’un surcoût en matière de sortie à l’international

Au lieu d’aller chercher des ressources ailleurs, on va les chercher chez ceux qui n’en ont pas ou qui n’en ont que peu, et ceci est le fait des dogmes. Il n’y a rien de pire dans la gestion des affaires de l’Etat que d’avoir des dogmes. Or, même en matière de dogmes, il y a du changement.

Avant 2011, dire que nous n’avons pas besoin de rééchelonner nos dettes est compréhensible parce que nous n’étions pas surendettés et parce que notre structure d’endettement était au deux tiers domestique et extérieure, seulement au 1 tiers.

Donc avant 2011, demander un rééchelonnement pouvait être considéré comme un défaut de paiement et par conséquent pouvait être constitutif d’un surcoût en matière de sortie à l’international. Mais cet argument ne tient plus maintenant. On parle d’un taux d’endettement de l’ordre de 90%, et je dirais même qu’il a dépassé le PIB parce qu’il y a une porosité entre l’endettement public et l’endettement privé et nous ne comptabilisons pas tout l’endettement des entreprises publiques.

Du coup, le discours du rejet du principe de reporter la dette ne tient pas la route parce qu’on ne peut plus sortir à l’international surtout avec la dégradation de Moody’s de B+ à B et même avec des perspectives stables. On ne va pas sur le marché international avec une note qu’on dégrade régulièrement depuis 2011. Soit cette année, la 7ème dégradation.

Il ne faut pas casser le thermomètre mais chercher l’origine de l’infection

Les autorités ont décidé, depuis 2013, de ne plus travailler avec S&P puisqu’elle nous a sévèrement dégradés en 2013. Une décision que je trouve irresponsable sur le plan de la gestion. Il ne faut pas casser le thermomètre mais chercher l’origine de l’infection. L’agence fait seulement son boulot et on ne peut lui reprocher de mettre le curseur là où il faut.

Le seul moyen pour avoir des ressources est d’étudier avec  les multilatéraux les moyens du report. Le FMI est d’ailleurs tout à fait prêt à en discuter. C’est le seul moyen de dégager un espace budgétaire additionnel pour financer un plan de relance et de transition.

Mais il n’y a pas que les dettes, il y a des lignes de financement pour des projets en plan qui s’élèvent à des milliards de dinars et qui ne sont pas exploitées…

Je vais compléter votre tableau. Il y a environ 400 millions de dinars de la Banque mondiale qui ne sont pas encore débloqués, mais aussi d’autres fonds de la Commission européenne, et c’est à cause du problème éternel de la capacité d’implémentation.

Il y a d’abord la problématique prise en charge bureaucratique de ce genre de mesures, et des responsables qui n’assument pas la charge de leur fonction en engageant très vite le déblocage de ces fonds. Tant que nous n’aurons pas résolu cette question, rien ne se fera.

Or, il n’y a plus de responsables qui décident, ils ont tous peur que, sous la foi d’un petit préposé borné, ils comparaissent pour corruption, le temps que la vérité éclate, leur réputation est faite. Alors pourquoi autant de risques, se disent-ils. Que le pays perde au change devient secondaire…

C’est la raison pour laquelle je pense que le moment est venu de lancer un vaste programme de réconciliation. Il faut que l’article 96, épée de Damoclès -promulgué dans les années 80 pour des raisons politiques parce que la tête de feu Mohamed Mzali était mise à prix-, soit abrogé. C’est une disposition incapacitante qui fait risquer la prison à tout responsable qui décide en bonne et due forme.

Il y a eu des cas où des décisions ont été prises dans le respect des procédures mais ça n’a pas empêché les personnes d’être mises en examen.

Il y a d’autres structures de surveillance et qui ne sont pas handicapantes. Dans tous les ministères, il y a des cellules de gouvernance qui existent, avec une Cour des comptes qui est un corps exceptionnel doté de hautes compétences et de  véritables professionnels, qui travaillent suivant les normes internationales. Un responsable élu ne doit pas avoir ce genre d’appréhensions.

Normalement, il a été choisi sur la base d’un programme censé réformer et revoir les choses, alors pourquoi ne le fait-il pas?

Que pensez-vous de l’exercice du gouvernement en place aujourd’hui ?

Les deux mois accordés par l’Assemblée des représentants du peuple au chef du gouvernement vont bientôt finir et nous n’avons pas vu de grandes décisions, sauf peut-être le lancement de l’identifiant unique. Et il n’y a même pas besoin de pouvoir exceptionnel ou d’une grande décision pour prendre cette mesure.

Maintenant, il faut voir l’applicabilité de cette mesure au vu des systèmes d’information, et c’est là où je vous dirais que je ne suis pas très optimiste. La raison est simple : dès qu’on promulgue une loi et on parle de décrets d’application ou de circulaires pour fixer les dispositions, tout est bloqué. Nous sommes dans un pays où une simple note émanant d’une petite commune peut annuler l’effet d’une loi. C’est dire l’importance de l’administration et de la bureaucratie. C’est ce qui explique que, pour être efficient, il faut que textes d’application et lois soient soumis à l’approbation du législateur en même temps pour être appliqués dès promulgation. C’est le sens même de la  responsabilité.

Le gouvernement actuel ne connaît pas sa chance. Il arrive dans une crise, et contrairement à ce qu’on peut penser, la crise nous permet de réfléchir librement, out of the box, et prendre des décisions sans contrainte. Il peut se permettre de demander le concours des uns et des autres à condition qu’il sache où on va.

Quand il y a crise, il n’y a pas que la menace, il y a les opportunités. Je suis positif et je vois les opportunités mais à condition de planter le décor.

J’ai cité la transition, c’est le moment d’oser la transition énergétique, technologique et numérique. C’est le moment car nous en avons les moyens et les capacités. C’est le moment de faire le repositionnement de nos activités et d’y mettre le paquet.

Dans l’industrie, il y a l’intelligence artificielle, la robotique, mais il y a aussi le pharmaceutique et l’agroalimentaire.

Depuis que l’humanité existe, il y a 4 secteurs : la nourriture, les vêtements, la santé et le transport. Il est clair à ce propos que l’avenir appartient au transport écologique qu’il est temps de développer. Tout doit être conçu pour le permettre d’évoluer, malgré les résistances que peuvent lui opposer certains lobbys. Il faut mettre le paquet sur une politique publique de transport.

Je reste fidèle à moi-même en décrétant que ce qu’il faut encourager, développer et améliorer, c’est le transport public. Et c’est pour cela que j’ai été contre la voiture populaire, un facteur d’endettement supplémentaire pour les ménages modestes et d’aggravation des facteurs polluants.

L’Etat doit-il être un Etat providence ou un Etat régulateur d’après vous ?

Je prône le retour à un Etat garant de l’égalité entre les citoyens quels qu’ils soient, capable de décider. La crise que nous vivons confirme l’importance de la présence d’un Etat, mais un Etat intelligent, stratège et bienveillant. On ne parle plus de l’Etat providence mais d’un Etat doté, si l’on peut dire, d’intelligence émotionnelle qui gère la vie de ses citoyens avec empathie et veille à préserver leurs intérêts et appliquer les lois. Un Etat qui intervient lorsqu’il faut recadrer, réguler et protéger.

La Tunisie a besoin d’un Etat qui la défende. Aujourd’hui, nous avons énormément d’opportunités dans tout ce qui touche à la relocalisation des industries. Il est clair que l’Europe cherchera de nouveaux espaces pour repositionner ses sites de production et nous sommes les mieux nantis pour cela. Et plus vite nous réagirons et anticiperons les attentes, plus nous serons aptes à répondre rapidement aux nouvelles demandes. C’est pour nous l’occasion de retrouver notre place dans la chaîne de création de valeurs et monter en gamme.

Nous avons l’intelligence et la capacité, parce que justement nous avons suffisamment développé ces atouts. Il faut commencer tout de suite sans perdre de temps. Je suis surpris de nous voir encore dans l’attentisme. Les autres ne viendront jamais nous voir pour nous proposer des choses, c’est à nous d’aller les chercher.

Les chercher oui mais encore faut-il que l’ambiance socioéconomique s’y prête, or on s’attend à des mois difficiles sur le plan social. En Afrique, la crise sociale qui a suivi l’épidémie d’Ebola a tué plus de personnes que le virus lui-même. Qu’en pensez-vous ?

C’est justement pour cela qu’il faut pouvoir assurer la stabilité  et la paix sociale et prendre en charge tous les éléments perturbateurs. Parce que vous avez beau avoir tous les avantages du monde mais ne pas réussir dans un climat social houleux.

Nous ne pouvons pas réussir quand nos choix économiques ne sont pas inclusifs, lorsque nous n’intégrons pas toutes les composantes sociales dans une dynamique positive où chacun a foi en l’Etat, adhère à ses choix et sait qu’il peut apporter sa petite pierre à l’édifice.

Nous ne pouvons pas dessiner les politiques de demain sans l’adhésion de toutes les composantes socioéconomiques. Le slogan des Nations unies actuellement est de ne laisser personne au bord de la route, « Leaving no person behind ».

Au cœur de tout développement, il y a l’humain et c’est la question essentielle de l’inclusion à tous les niveaux.

Question philosophique : la Covid-19 a-t-elle sonné le glas du monde dans lequel nous vivons aujourd’hui et de tous ces modèles de développement économique qui ont fait de l’homme un accessoire et du gain l’essentiel massacrant au passage nature et environnement ?

J’ai pris le temps de regarder les crises dans l’histoire de la Terre et ce qui s’y est passé après les épidémies comme la peste ou le choléra et comment populations et gouvernants ont réagi. Il y a une constante. Ces crises produisent de nouveaux  systèmes ou des révolutions. Les révolutions dans le sens prise de conscience qui amènent à des révisions des systèmes de gouvernance.

Je pense que le monde est arrivé à saturation comme vous l’avez dit, et cette exploitation effrénée des ressources naturelles et des ressources humaines a conduit à se poser la question de ce qui est fondamental. Certains ont parlé de la revanche de la nature, d’autres ont parlé de la reprise par la nature de ses droits, mais je crois que l’être humain et surtout pendant la période de confinement s’est posé des questions essentielles : comment je dois vivre demain ? Qu’est-ce qui est important et qu’est-ce qui est accessoire ? Quelles sont mes  priorités ?

Les sages se sont bien évidemment posé ces questions sans attendre la crise mais pas monsieur tout le monde lequel ne vient pas naturellement à ces questions si ce n’est une crise de cette ampleur. Il leur faut un facteur déclencheur et c’est la Covid-19 qui l’a été.

Cette crise est une sorte de justice universelle qui a mis à égalité les plus riches et les plus pauvres, les puissants et les plus faibles

J’espère que ça ne sera pas momentané parce que l’humanité nous a habitués à un tas de questionnements pendant les crises, mais dès que la crise est passée on oublie toutes nos promesses. C’est ce que j’appelle les résolutions de fin d’année.

Mais moi je pense que cette crise est d’une telle profondeur qu’elle a changée des choses, parce qu’elle a montré la fragilité de l’homme. C’est une espèce de justice universelle qui a mis à égalité les plus riches et les plus pauvres, les puissants et les plus faibles et a démontré que quelle que soit la puissance de notre économie et de notre science, elles peuvent se retrouver impuissantes face à un virus microscopique.

La crise a démontré la petitesse de l’humain et lui a fait comprendre qu’il ne peut pas exploiter le monde indéfiniment et qu’il y a des limites qu’il faut respecter à partir d’un certain point. Et c’est pour cette raison que j’estime qu’il faut attendre deux à trois ans pour connaître la vérité sur cette crise sanitaire. Je suis convaincu que ça ne sera pas seulement des résolutions. Il y a un monde nouveau qui est en train de se créer et nous en avions les prémices. Ce monde nouveau sera plus solidaire malgré toutes les tentatives égoïstes de protectionnisme ou d’isolation.

Entretien conduit par Amel Belhadj Ali