Des indices montrent que le déficit hydrique que connaît la Tunisie, depuis septembre 2019, commencent à prendre un tournant inquiétant avec deux hantises à l’horizon, celle d’une sécheresse qui risque d’impacter sévèrement la céréaliculture et l’arboriculture fruitière, et celle des angoissantes coupures d’eau de la SONEDE.

Selon des statistiques fournies par le ministère de l’Agriculture, le volume des eaux pluviales retenues par les 37 barrages que compte le pays, durant la période qui va du 1er décembre 2019 au 18 février 2020, est estimé à seulement 468 millions de mètres cubes contre 1 695 millions de mètres cubes, durant la même période de l’année écoulée, soit un recul de 1 228 millions.

Pour être encore plus précis, ce déficit équivaut à deux fois et demie la capacité de rétention du plus grand barrage du pays, en l’occurrence le barrage Sidi Salem à Oued Zarga (gouvernorat de Béja). Ce qui est énorme.

Etat des lieux

Au niveau de la pluviométrie, les mois de janvier et de février, généralement très pluvieux, ont été cette année plutôt printaniers.

A titre indicatif, dans le gouvernorat de Jendouba (nord-ouest), région réputée pour être un des châteaux d’eau de la Tunisie, il n’a plu, durant les mois de janvier et de février 2020, que respectivement 2 mm et 20 mm contre une moyenne annuelle respective de 93 mm et 112 mm.

Dans le Grand Tunis, la pluviométrie a été légèrement meilleure avec 11 mm au mois de janvier et 5,3 mm en février 2020, contre respectivement  55 mm et 61 mm en période normale.

Côté perspective, l’Institut national de la météorologie (INM) ne prévoit des précipitations que vers le début du mois de mars prochain.

Pour se préparer à toutes les éventualités, la SONEDE s’est contentée de publier un communiqué laconique dans lequel elle a appelé à la rationalisation de la consommation de l’eau.

Ce mastodonte bureaucratique invite ce qu’elle appelle «les institutions vitales (établissements de santé, casernes militaires, établissements de l’enseignement, prisons, hôtels) à inspecter et à entretenir les installations d’eau autonomes telles que les réservoirs, réseaux et équipements d’eau pour être prêtes à l’utilisation durant la période estivale 2020».

A regarder de près, ce communiqué prête à équivoque en ce sens où la SONEDE ne dit pas si les structures interpellées doivent prendre leurs précautions et stocker la moindre goutte de pluie qui tombe en prévision d’une sécheresse ou entretenir leurs réservoirs pour atténuer les dégâts que pourraient provoquer d’éventuelles inondations, à l’horizon. Car tout est possible avec le changement climatique.

La problématique de la gouvernance de l’eau demeure totale

Il faut reconnaître qu’au regard des piètres résultats obtenus, depuis des décennies, la problématique de la mauvaise gouvernance du secteur de l’eau demeure totale tant que la SONEDE et sa tutelle -le ministère de l’Agriculture- continuent à exercer le monopole sur ce secteur transversal et fort lucratif.

Il n’est pas inutile de rappeler que les barrages sont construits avec des crédits payés par le contribuable et les eaux retenues dans ces ouvrages sont vendues à ce même contribuable. Ce qui est demandé à la SONEDE,  c’est à la limite bien gérer cette manne, entretenir les ouvrages et se faire payer par les clients. Mais malheureusement elle ne l’a pas fait depuis plusieurs décennies.

Est-il besoin de rappeler les fuites d’eau générées par la dégradations des canalisations d’adduction d’eau potable dans le seul Grand Tunis équivalent la capacité de rétention d’un barrage comme celui de Ben Metir au nord-ouest (plus de 50 millions de mètres cubes) ?

Est-ce nécessaire de rappeler également que le déficit financier de la SONEDE est dû, en grande partie, à son inaptitude à se faire payer par les établissements et entreprises publics (hôpitaux, prisons, ministères, mosquées, écoles…) ?

A signaler, dans le même contexte, le rôle nocif que joue le ministère de l’Agriculture dans l’affectation de 80% des ressources hydrauliques au secteur qu’elle gère, en l’occurrence l’agriculture (13% du PIB), et ce sans résultats probants en matière de production agricole suffisante et régulière, et surtout an matière d’autosuffisance alimentaire.

Pis, en l’absence de tout contrôle, ce ministère tolère que des lobbys opérant dans l’irrigué utilisent, en période de sécheresse, l’eau potable de la SONEDE pour irriguer leurs exploitations et répercuter les surcoûts sur les prix de vente au détail, en toute impunité.

L’enjeu des prix

Ces lobbys sont encouragés par les prix de la SONEDE. Ces derniers sont maintenus, apparemment exprès, à un niveau très bas (soit 200 millimes le mètre cube), sous prétexte qu’ils sont adaptés au pouvoir d’achat des Tunisiens démunis alors que l’écrasante majorité de ces derniers n’est pas raccordée au réseau de la SONEDE.

Et quand ils sont alimentés en eau potable par le biais d’associations d’usagers organisés en groupements hydriques, particulièrement dans le monde rural, ils le payent au prix fort 1 300 millimes le mètre cube.

Toujours à propos de prix, la SONEDE, pour contourner les protestations et contestations de sa mauvaise gestion du secteur, serait en train de s’orienter vers le dessalement de l’eau de mer dont le prix au détail est estimé à 3 500 dinars le mètre cube.

Pour Raoudha Gavrach, experte en ressources hydrauliques, qui a constamment critiqué la mauvaise gouvernance de l’eau en Tunisie, l’option pour le dessalement de l’eau de mer n’est pas la bonne solution. «Ce qu’il faut entreprendre en priorité, a-t-elle conseillé, c’est appliquer la loi à tous ceux qui utilisent illégalement les eaux souterraines (3 500 puits anarchiques à Sidi Bouzid), au secteur public (administration, établissements et entreprises publics) qui ne veulent pas payer leur facture d’eau et à renouveler le réseau des canalisations vétustes».

Le message est on ne peut plus clair.