Il y a 42 ans, le 26 janvier 1978, «Jeudi noir» a lieu la première grève générale organisée depuis l’indépendance. Elle connaît un grand succès et le pays est totalement paralysé. Elle marque aussi une opposition radicale du mouvement syndical face au pouvoir, affirmant son désir d’autonomie.

L’année 1978 s’ouvre dans un climat social, politique et économique tendu.

L’expérience socialiste a été stoppée en 1969. La libéralisation qui a suivi, sous l’autorité du Premier ministre de l’époque, M. Hédi Nouira, donne d’abord un coup de fouet à l’économie, avant que la machine ne se grippe à partir de 1976, donnant lieu à une grogne sociale et politique.

Le «Pacte social» signé le 19 janvier 1977, entre le gouvernement et les syndicats, n’était pas parvenu à atténuer la crise que connaît le pays, notamment en termes de grèves.

Les divergences entre la ligne du Parti socialiste destourien (PSD), parti au pouvoir, et l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) dans la gestion de l’agitation sociale pousse le gouvernement à faire porter la responsabilité de la crise économique sur le syndicat.

De plus, les manifestations de l’opposition politique sont réprimées, avec l’inculpation pour atteinte à la sûreté de l’État, en mars 1977, et la condamnation, le 19 août de la même année, de trente personnes suspectées d’appartenir au Mouvement de l’unité populaire animé par Ben Salah.

En juin de la même année, la Conférence nationale sur les libertés, organisée par des personnalités du Mouvement des démocrates socialistes d’Ahmed Mestiri avait déjà été interdite. Un «appel pour le respect des libertés publiques en Tunisie» est publié le 12 avril et signé par 168 intellectuels. Face à l’aggravation de ce climat difficile, le gouvernement tente des mesures conciliatoires par l’autorisation, le 29 décembre, du premier numéro de l’hebdomadaire arabophone, Erraï (L’Opinion), mais surtout en accélérant la reconnaissance de la légalisation de la Ligue tunisienne des droits de l’homme.

À l’origine de cette grève du «Jeudi noir» figurent quelques syndicalistes conduits par Habib Achour qui désirent donner une sorte d’«avertissement» au PSD qui multiplie les provocations. Par exemple, le comité central du parti avait voté le 20 janvier une résolution réclamant «l’épuration» de la direction de l’UGTT.

De plus, le parti avait envoyé des milices pour attaquer les locaux de l’UGTT à Tozeur, à Sousse et à Tunis les 22, 23 et 24 janvier. Le 24 toujours, avec l’arrestation du secrétaire général de la branche régionale de l’UGTT à Sfax, Abderrazak Ghorbal, Achour appelle à la grève générale pour les 26 et 27 janvier 1978, devant une foule réunie sur la Place Mohamed Ali à Tunis, devant les locaux de l’UGTT.

Il y affirme qu’il «n’y a de Combattant suprême que le peuple», en référence au titre donné au président Habib Bourguiba. Après cette déclaration, des affrontements assez violents éclatent entre les forces de l’ordre et des manifestants soutenant Achour.

En outre, le PSD appelle ses militants à «descendre dans la rue pour empêcher la grève par tous les moyens», tandis que l’UGTT demande aux salariés de rester chez eux afin d’éviter tout attroupement et ne pas donner suite aux provocations.

Dans l’après-midi du 25 janvier, le siège du syndicat est encerclé par des policiers qui empêchent près de 200 dirigeants syndicalistes d’en sortir. Lors d’un entretien téléphonique avec la direction de la sûreté nationale au matin du 26 janvier, Achour aurait proféré des menaces au cas où les forces de polices ne se retiraient pas. En cas de refus, «Tunis brûlerait» aurait-il dit. Perdant alors le contrôle de la situation durant la journée, la situation dégénère et de violents heurts opposent la police et des jeunes à Tunis.

La revue de l’association islamiste Jamaa-Al-Islamiya condamne la réaction de la jeunesse, parlant de «révolte sciemment provoquée» et de «volonté de destruction».

Bourguiba décrète l’état d’urgence, qui ne sera levé que le 25 février, et un couvre-feu à Tunis et sa banlieue qui dure jusqu’au 20 mars.

On dénombre des dizaines de morts. Le bilan officiel gouvernemental indique pour sa part 46 morts et 325 blessés.

L’opposant Ahmed Mestiri dénombre 140 morts alors que le journal du parti au pouvoir, El Amal, du 2 avril 1978, publie une liste nominative de 51 victimes.

Des dizaines de procès, qui ont lieu dans les jours qui suivent, conduisent à la condamnation de quelque 500 personnes. Le procès de quarante dirigeants de l’UGTT s’ouvre dans la capitale ; ils sont accusés «d’agression visant à changer la forme du gouvernement, incitation de la population à s’attaquer en armes les uns aux autres, incitation au désordre, au meurtre et au pillage», délits punis de la peine de mort par le Code pénal tunisien.

Le 9 octobre 1978, le secrétaire général de la centrale syndicale, Habib Achour, est condamné à dix ans de travaux forcés, tout comme Abderrazak Ghorbal, le patron de l’UGTT à Sfax. Treize autres sont punis de peines allant de huit ans de travaux forcés à six mois de prison, alors que six bénéficient d’un sursis et sept sont acquittés.

Que tous ces martyrs de la Tunisie indépendante reposent en paix. Ils auront contribué à paver la voie vers la liberté et la démocratie.