Au final, le “printemps arabe” aura été une période de grande euphorie pour dissimuler une capitulation de souveraineté des pays arabes en faveur d’une chimère. Cette manipulation ira-t-elle jusqu’à son terme ?

Par Dr Ahmed Hafsia*

Il y a des dynamiques surprenantes et intrigantes qui ne peuvent cependant échapper aux observateurs avertis. L’une de ces dynamiques constatées après le “printemps arabe“ se traduit par l’émergence dans les pays arabes -dont les populations sont à majorité sunnite- de mouvements d’inspiration religieuse qui portent souvent des noms accrocheurs tels que Renaissance (Nahdha), Réforme (Islah), ou encore Justice et Progrès (Adala wa tanmyia), etc.

Les pays arabes à majorité sunnite sont ciblés

Le discours officiel diffusé par les appareils de ces mouvements évoque des programmes économiques qui touchent au quotidien du citoyen. Présentant ces membres comme des hommes du Bien, individus pieux vivant dans la crainte de Dieu (Ikhafou Rabbiye) donc dignes de la confiance populaire.

Ce discours omet de divulguer l’idéologie qui sous-tend l’action de ces mouvements, lesquels, de l’Atlantique à l’océan indien, dans les pays arabes à majorité sunnite, œuvrent dans un but précis, celui de l’affaiblissement de l’Etat-nation sinon de sa destruction par entre autres l’instauration de régimes parlementaires plongeant les pays dans une spirale d’instabilité.

Par la promotion de milices et cela à plus d’un titre : “défense de la révolution“, par exemple, ou encore “défense des bonnes mœurs“. Milices dont l’objectif inavoué est celui de marginaliser les forces régaliennes, aboutissant à la fin de l’Etat de droit et, à terme, de la mort de l’Etat. Ainsi que par le relâchement des services de l’Etat propice au développement de l’économie informelle laquelle limite les ressources de ce dernier et finira par l’asphyxier.

Mais pourquoi, peut-on se demander, cette idéologie s’acharne-t-elle à détruire l’Etat souverain ?

Le rétablissement du Califat

La réponse réside dans les faits que les théoriciens et idéologues de ces mouvements avaient décrété que le rétablissement du Califat ne peut passer que par la destruction de ces entités (Etat-nation) supposées s’opposer à ce grand rêve.

Un grand rêve qui se matérialise pour eux par le retour d’une construction mythique : L’Empire Ottoman.

Dans les pays arabes sunnites, de l’Atlantique jusqu’à l’Océan indien, ces mouvements d’obédience frériste ne rêvent que de s’arrimer à la Turquie qu’ils présentent à nos intellectuels comme un Graal de modernisme et de puissance. Bref, leur vendre le “Turkish Dream”.

Les moments chocs de l’Histoire

Je ne parlerai pas dans cet article du “Turkish Dream”. Je ne veux pas faire mal à un pays frère sinon ami. Je me contenterai de parler d’histoire et de dates. Parce que les dates sont ce qu’elles sont et quels que soient les idéologies et le poids de l’ignorance qui les sous-tendent, ces dates sont immuables.

Je les cite, il s’agit de 1830, de 1881, de 1882, de 1911 et enfin de 1924. Dans l’ordre, ces dates évoquent la colonisation de l’Algérie par la France. 1881 est la date de l’établissement du Protectorat français en Tunisie. 1882 est l’année de l’occupation de l’Egypte par la Grande-Bretagne laquelle accapare le Canal de Suez creusé par le Français Ferdinand de Lesseps et inauguré une dizaine d’années plus tôt ????. Le Royaume-Uni se met de la sorte dans la perspective de continuer à contrôler la route de l’Asie et affirmer sa mainmise sur le commerce entre l’Orient et l’Occident.

Les Grands tournants de l’Histoire

A la suite du délabrement de la dynastie Hafside et des velléités espagnoles sur l’Afrique du Nord, la Tunisie devint officiellement province ottomane en 1575.

Si les dates diffèrent, le sort fut le même pour l’Algérie, pour la Libye ainsi que pour l’Egypte. Il en sera ainsi jusqu’à la colonisation de nos pays par des puissances occidentales.

Nous pourrons écrire des dizaines de livres et noircir des milliers de pages pour parler de cette période de notre Histoire, mais nous ne pourrons effacer le fait que la “Sublime Porte” soit restée les bras croisés pendant ces épisodes douloureux longtemps et bien avant l’abolition du si fantasmé Califat.

Si nous avons été colonisés, c’est parce que nous étions colonisables, disait Habib Bourguiba.

La responsabilité de la “Sublime Porte” serait donc double :

1 –Celle de notre état de délabrement qui a fait de nous des entités colonisables. Rappelons à nos chers idéologues qu’à l’époque nous étions sous domination turque.

2 – Celle de s’être défaussé pendant ces épisodes douloureux.

La suite, nous la connaissons : des hommes et des femmes se sont levés, nos aïeux, grands-parents et parents ont payé le prix du sang durant de terribles décennies, ont enduré la prison, l’exil, la perte de proches et d’êtres chers pour que nos pays accèdent à l’indépendance.

L’Egypte, la Libye, la Tunisie, l’Algérie (pays du million de martyrs) ont payé le tribut du sang pour recouvrer leur souveraineté, sans que la désormais République turque ne bouge le moindre doigt, même pour un soutien moral.

Le Sermon du Salut

Messieurs les idéologues de ce nouveau monde, de quel droit osez-vous nous demander d’abandonner cette souveraineté, gagnée de haute lutte, au prix du sang, à une entité, en l’occurrence la Turquie, qui n’a pas été fiable dans un passé, pas si lointain, qui s’est défaussée à des dates cruciales douloureuses. Le faire serait renier le sacrifice des hommes et des femmes qui ont irrigué de leur sang la terre si vaillamment défendue par nos ancêtres.

*Auteur de “Le Grand Meccano”, Essai politique.

*NDLR : le titre, le chapeau et les sous-titres sont de la rédaction.