Dans le cadre de la couverture de la campagne électorale, webmanagercenter.com a posé des questions aux 26 candidats en lice pour la présidentielle anticipée du 15 septembre 2019, questions ayant trait aux prérogatives du président de la République telles que définies par la Constitution tunisienne de 2014.

Pourquoi Abdelkrim Zbidi s’est présenté tardivement aux élections présidentielles ? Comment pourrait-il concrétiser ses promesses s’il n’a pas un parti fort pour le soutenir ? Ces questions que l’on pose trop souvent depuis que Zbidi a décidé de briguer la magistrature suprême invitent elles-mêmes à d’autres interrogations ! Y-a-il un temps pour décider de plus s’engager parce que notre pays a besoin de nous ? Et est-ce l’existence d’un parti fort derrière un postulant à la présidence est seul garant du succès de l’exercice présidentiel ? L’exemple de feu Béji Caïd Essebsi est éloquent à plus d’un titre. Lâché par son parti, lynché par ses proches, il est mort déçu et amer avec plein de regrets !

Qui parmi nous pourrait attester du succès ou de l’échec de toute personne briguant aujourd’hui la magistrature suprême ?

Tout ce que nous pouvons faire est juste essayer de sonder les intentions des uns et des autres !

Faisons donc plus ample connaissance avec le candidat Zbidi à travers l’entretien ci-après.

 

Voici l’entretien avec le candidat Abdelkrim Zbidi.

WMC : Si vous êtes élu, quelles seront vos priorités, en matière de défense et de sécurité nationale ?

Abdelkrim Zbidi : L’évolution du contexte international et régional mais également les tensions sociales en interne ont créé chez le Tunisien un fort sentiment d’insécurité. Notre programme prévoit une plus grande cohérence de la stratégie nationale en matière de sécurité intérieure et extérieure, et une meilleure coordination, coopération et implication des acteurs et des structures intervenantes en matière de défense et de sécurité nationale.

Le monde d’aujourd’hui est dangereux, l’émergence de nouveaux risques, de guerres non conventionnelles, de nouveaux types d’armes à haut contenu technologique et informationnel montre que le paradigme classique de la défense doit être dépassé. Plus que jamais, il faut avoir le pouvoir d’anticiper les crises et d’innover en matière d’approche.

La sécurité globale suppose également que tous les citoyens soient impliqués dans celle-ci et que l’approche préventive, qui vise à désamorcer les crises avant même qu’elles ne surviennent et à éradiquer les causes des différentes formes de délinquances, soit privilégiée.

En fin de compte, il s’agit de restaurer le sentiment de sécurité des citoyens grâce à des institutions fortes et modernisées.

Quelle est votre approche pour combattre la contrebande sur nos frontières et son implication sur l’économie du pays ?

La question de la contrebande est une question complexe qui renvoie aussi bien à des aspects économiques que sociaux et sécuritaires. En fait, il s’agit de la souveraineté de l’Etat et de sa capacité à faire respecter la loi. Mais il serait illusoire de penser que la répression toute seule conduirait à éliminer ce fléau.

La diplomatie économique que nous comptons mettre en œuvre avec les pays voisins intégrera cet aspect. Nous sommes convaincus qu’une plus grande intégration économique et une meilleure coordination des choix en matière de politique douanière et fiscale contribuera à rendre la contrebande moins profitable voire inutile.

La création d’une véritable dynamique économique dans les zones frontalières, le développement de zones franches, l’amélioration des infrastructures de transport et le renforcement des forces de sécurité et des services douaniers dans certaines voies de transit par ailleurs assez bien connues devraient également permettre de combattre efficacement ce fléau.

Que feriez-vous sur la question libyenne ?

Nous sommes convaincus des liens profonds et historiques qui unissent les deux pays. Nous sommes également convaincus que la stabilité et le développement de la Tunisie sont intimement liés à l’évolution de la situation en Libye. Même si le contexte est extrêmement complexe, nous ne pouvons pas et nous ne devons pas rester passifs. Plusieurs familles tunisiennes ont perdu non seulement des emplois mais des vies en Libye. Aujourd’hui encore nous cherchons des réponses claires et nettes à la disparition dans ce pays de deux de nos valeureux journalistes.

Nous devons être du côté de nos frères libyens dans cette terrible épreuve, nous devons faciliter le dialogue entre eux pour qu’ils parviennent à une solution négociée et fondent une véritable démocratie. Nous sommes là et nous serons là pour que, dès que possible, on puisse apporter notre soutien fraternel à la reconstruction de la Libye et à la consolidation de ses nouvelles institutions.

Comment envisagez-vous de renforcer le rôle de la diplomatie tunisienne et quels seraient les dossiers prioritaires ?

Dans le respect de la doctrine diplomatique tunisienne fondée par le leader Habib Bourguiba depuis l’indépendance, nous comptons approfondir et élargir la présence tunisienne dans le monde.

L’approfondissement de la diplomatie tunisienne implique une meilleure présence dans le monde mais également dans les institutions multilatérales. La diplomatie vise en premier lieu à améliorer notre intelligence et notre compréhension du monde, et en second lieu à revigorer et renforcer nos liens avec nos partenaires.

Il va sans dire que nous commencerons par le premier cercle de notre voisinage immédiat. Le Maghreb doit devenir une réalité concrète présente dans la vie de tous les jours des Tunisiens.

Le monde arabe et la Méditerranée sortent d’une période trouble.

Notre diplomatie sera au service de la cause palestinienne. Nous porterons dans le monde une éthique du vivre ensemble dans une planète qui est elle-même en danger et dont la défense exige une coopération internationale et de nouveaux axes diplomatiques.

L’élargissement de la diplomatie tunisienne exige une meilleure couverture géographique et institutionnelle de toutes les régions du monde. Nous sommes pour une plus grande présence en Afrique. Mais nous pensons également que l’Asie mérite une plus forte présence de la diplomatie tunisienne.

Quelle est votre vision pour le développement d’une diplomatie économique tunisienne dans le monde ?

Notre diplomatie économique sera en ligne avec les grands principes de l’approche historique tunisienne des relations internationales. Nous serons toujours au service de la paix dans le monde avec la conviction que le doux et bon commerce est un support et un moyen pour la paix entre les nations.

En deuxième lieu, la diplomatie économique ne se réduit pas à la facilitation du commerce et d’échange de biens et de services. Il y a l’approche directe qui vous dit, qu’il suffirait d’ouvrir plus de représentations diplomatiques dans le monde et de leur donner un rôle plus économique. Nous adhérons à cette approche. Mais nous préconisons également une approche plus indirecte qui relèvera d’une stratégie de soft power tunisien qui sera affinée dans le cadre de l’ITES (Institut tunisien des études stratégiques, ndlr).

Pour l’instant, je peux vous dire que la diplomatie économique résulte également de la diplomatie et de la coopération scientifique, culturelle, etc. En d’autres termes, le développement de l’économie passe par l’échange d’expériences, de technologies, de compétences, etc.

En troisième lieu, la diplomatie économique ne doit pas se limiter aux représentations officielles et publiques tunisiennes. Le secteur privé sera le fer de lance et non seulement le bénéficiaire passif de cette diplomatie. Nous comptons développer la capacité de la Tunisie de suivre ses enfants et ses entreprises partout dans le monde.

Nous voulons que ces entreprises soient mises en réseaux et qu’elles puissent communiquer entre-elles. Dans le cadre de ce soft power tunisien, nous pensons ainsi développer une véritable intelligence économique tunisienne. 

L’Afrique ça représente quoi pour vous ?

Beaucoup de choses ont été dites à propos de ce continent qui reste pourtant largement méconnu. Certains confondent les pays africains avec leurs capitales et sous-estiment non seulement les problèmes de logistique entre eux et à l’intérieur des pays africains, mais également la complexité des contextes et des constructions institutionnelles.

C’est pour vous dire que nos relations ne seront pas qu’une question de vols à instaurer ou d’ambassades à inaugurer. D’autres ne voient en Afrique que des bouches à nourrir et des marchés à arracher.

Avant même que d’être l’un des plus importants marchés de ce nouveau siècle, l’Afrique risque de poser certains des défis les plus importants que l’humanité aura à affronter. Des changements climatiques à la déforestation aux mouvements des populations, l’Afrique se prépare à vivre de nouvelles révolutions dont les issues restent difficiles à prévoir.

C’est pour cela que si j’accorderais une première importance à l’avenir économique de l’Afrique, je ne veux pas sous-estimer les défis auxquels elle devra faire face. Et je propose que la Tunisie soit à l’avant-garde pour l’élaboration de réponses idoines.

La création d’un marché africain reste toujours envisageable. Mais il faudrait préparer les conditions pour la réussite de cette initiative, aussi la Tunisie sera de plus en plus présente dans toutes les structures qui participent à l’élaboration de stratégies ; de politiques ou même d’actions africaines.

La Tunisie a trop longtemps tourné le dos à l’Afrique, nous avons intérêt à exploiter notre bonne image et réputation pour se positionner autrement. Il en va du développement de notre économie, mais il en va également de notre sécurité. 

Près de 15% de la population tunisienne sont à l’étranger, nous en avons une connaissance approximative, et avec les nouvelles générations nous risquons de perdre progressivement leur attachement à leur pays d’origine et à celui de leurs parents et grands-parents. Vous feriez quoi pour eux ?

En premier lieu, je serais à leur écoute. Autrement dit, je leur demanderais ce qu’ils peuvent faire pour leur pays. Cela vous rappelle certainement quelque chose. Mais je vais le faire quand même. Ma conviction est que ces enfants de la Tunisie ont essentiellement besoin de reconnaissance. Qu’on leur propose un projet ou une ambition collective. Ceux qui sont à l’étranger passent leur temps à rêver de la Tunisie, à vouloir lui apporter quelque chose d’eux-mêmes. Nous n’avons pas su bien nous organiser pour bien les connaître et les écouter.

Pour les jeunes de la troisième et quatrième génération, nous lancerons un programme pour que les étudiants tunisiens vivant à l’étranger puissent venir en Tunisie en mobilité. Une structure particulière dédiée à l’investissement des Tunisiens de l’étranger sera mise en place. Elle ne sera pas dans une posture d’attente et passive, mais ira prospecter les grands noms de la finance et de l’industrie d’origine tunisienne.

Compte tenu des prérogatives constitutionnelles du Président de la République, comment pensez-vous pouvoir influencer les politiques et les actions du Gouvernement ?

Je serais le chef et le premier serviteur de l’Etat. Certains voient dans les élections une opportunité pour réaliser une ambition. J’y vois un appel du devoir, une responsabilité immense de défendre, de servir et de ne pas décevoir les gens. Mes relations avec le gouvernement obéiront à ce qui est prévu dans les lois et la Constitution, mais également à cette philosophie de l’engagement et de la responsabilité.

Contrairement à ce qui est dit, le rôle du président de la République est complexe. Il ne s’agit pas d’un super chef du gouvernement, mais il n’est pas non plus une institution d’enregistrement des lois et des décisions.

Mon action sera directe et symbolique. Elle sera symbolique, parce que dans ma conception, le chef de l’Etat doit incarner l’exemplarité et doit se positionner comme le digne héritier des pères de la Nation. Enfant, j’étais fasciné par le regard, la gestuelle et la parole de Bourguiba. Un président qui marquait les esprits et montrait toujours la bonne direction. Les temps ont changé et je ne vais pas mettre le costume de Bourguiba ni occuper tout l’espace. Mes dernières années passées au service de mon pays et au côté de feu président Béji Caïd Essebsi mon beaucoup appris sur la difficulté d’être président dans des moments difficiles, et surtout lorsque le champ politique devient très éclaté.

Je pense donc qu’au-delà de mon rôle d’arbitrage entre acteurs et institutions, je dois me mettre au service du gouvernement pour l’aider à réussir sa mission. S’il y a influence, cela sera celle de la coopération, de la confiance et de l’abnégation dans le service mutuel des intérêts supérieurs de la Nation. Je suis indépendant et je pense qu’il s’agira là d’un atout important. 

Quels sont les domaines sur lesquels vous seriez prêt à vous battre pour influer sur les politiques du Gouvernement et pourquoi ?

À part les domaines qui me reviennent de par la Constitution, la question ou l’une des questions qui me tiennent le plus à cœur est celle de l’éducation. Je me revois encore jeune écolier à rêver de soigner les pauvres. C’est l’école de la République qui m’a permis d’être là où je suis. J’aimerais que cette école reste aussi généreuse envers tous nos enfants.

Pour une jeune démocratie et pour une réelle représentativité des élus, seriez-vous prêt à rendre le vote obligatoire ?

C’est une question compliquée. Les constitutionnalistes pourraient certainement vous répondre mieux que moi, et il est certain que je choisirais les meilleurs d’entre eux pour m’épauler. Mais je vais vous répondre franchement, l’engagement dans les choses de la citée devrait être volontaire et libre. C’est au sens de la responsabilité du citoyen que nous devons avant tout nous adresser. Et c’est ce sens de la responsabilité que nous devons avant tout développer. Mettre en œuvre une obligation peut être utile, mais alors il faudrait que cela rentre dans le cadre d’une vision et d’un projet plus large de responsabilisation des citoyens.

Dans quelle situation vous pourriez envisager de dissoudre l’Assemblée ?

La dissolution de l’Assemblée est une solution extrême en cas de crise grave. L’idéal c’est la continuité, la crédibilité et la prévisibilité des actions. J’espère que nous pourrons très rapidement retrouver une certaine forme de sérénité politique pour se mettre tous au travail.

Est-ce que vous pouvez envisager de démissionner si vos engagements et promesses de campagne ne sont pas tenus?

En politique tout est possible. Mais le soldat que je suis ne déserte jamais. Comme je vous l’ai dit, je n’y vais ni par ambition ni par obligation. J’y vais par sens du devoir et de la responsabilité envers mon pays. Je me suis interdit de faire des promesses impossibles à tenir. Ma ligne de conduite est de ne pas mentir, ni à moi-même, ni à mes proches ni à mon peuple. Mes engagements seront tenus. Inchalah.

Une estimation de votre budget de campagne

Je n’ai pas encore une estimation précise et nous n’avons pas encore bouclé notre budget. Si je passe au deuxième tour, il faudra trouver d’autres moyens. Ce que je peux vous dire pour l’instant, c’est que nous avons la chance de compter sur de nombreux bénévoles. Des gens qui sont venus vers nous simplement pour donner un coup de main et que je remercie du fond du cœur par ailleurs. Ma consigne est que l’on fasse preuve de toute la transparence nécessaire et que l’on respecte scrupuleusement aussi bien les consignes de l’ISIE que la législation.

 

NB: Nous avons adressé ces questions aux 26 candidats en lice pour cette présidentielle anticipée du 15 septembre 2019. Les réponses seront publiées en fonction de leur réception par notre rédaction.