L’augmentation des avoirs nets en devises auprès de la Banque centrale de Tunisie (BCT) en un laps de temps, au cours de la dernière période, “n’est pas réelle”, même si le gouvernement et les autorités monétaires qualifient cette évolution “d’indicateur positif de la reprise de l’économie nationale”, selon des analystes économistes.

Ils estiment que les chiffres ne reflètent pas la réalité en ce sens que la Tunisie alimente ses réserves par des crédits d’un coût élevé pour financer les importations et rembourser les crédits précédents ainsi que le service de la dette.

Jusqu’au 15 juillet 2019, les réserves en devises de la Tunisie s’élevaient à 16,3 milliards de dinars, permettant de couvrir 91 jours d’importations, contre 80 jours le 13 juillet 2019 et dépassaient les 140 jours en 2010.

Lors d’une conférence de presse conjointe avec le chef de la mission et représentant résident en Tunisie du FMI, Bjorn Rother (le 17 juillet 2019 à Tunis), le gouverneur de la BCT, Marouane Abassi avait expliqué cette amélioration des réserves en devises de la Tunisie par l’augmentation des recettes touristiques (plus de 20% des devises à fin juin 2019), par la hausse des transferts des Tunisiens à l’étranger et par la maîtrise de la balance commerciale.

Abassi avait exprimé sa satisfaction quant aux résultats réalisés dans le domaine de la politique monétaire et l’amélioration des indicateurs économiques, surtout en ce qui concerne la maîtrise du déficit budgétaire, ce qui permettra à la Tunisie, selon lui, une sortie réussie sur les marchés financiers internationaux.

Alors, l’agence TAP a recueilli les avis des économistes et la lecture du gouvernement à travers le Conseil des analyses économiques (présidence du gouvernement) concernant les causes de l’amélioration des réserves en devises de la Tunisie durant les dernières semaines.

Ainsi, l’expert Moez Joudi estime que la cinquième source de réserves en devises demeure les crédits étrangers, sachant que la Tunisie obtient des crédits en devises et les remboursera à un moment où le dinar est en baisse à un coût élevé.

Il appelle au décompte des avoirs, sans le décompte des crédits, étant donné qu’ils représentent des ressources non permanentes qui seront remboursées à un coût élevé, faisant observer que la BCT utilise des mécanismes techniques incluant les crédits du dénombrement des devises.

D’après lui, la Tunisie alimente ses réserves en devises à travers les crédits pour financer les importations et rembourser les anciens crédits ainsi que les intérêts y afférent.

Il insiste sur la nécessité de préserver les réserves en devises à un seuil de plus des 100 jours d’importations, lequel est descendu au cours de ces dernières années sous la barre de 65 jours.

Joudi assure que l’exécutif est acculé suite à cette baisse à recourir à l’emprunt pour faire face aux transactions et aux dépenses du budget.

L’expert souligne que les données de l’INS indiquent que le déficit commercial a atteint 9,5 milliards de dinars et que la Tunisie achèvera l’année avec un déficit de l’ordre de 20 milliards de dinars, déficit qui, selon “anéantira les avoirs en devises”.

Le niveau de l’emprunt, une première dans l’histoire de la finance en Tunisie

Des analystes expliquent qu’une partie des réserves en devises est constituée de crédits, sachant que la Tunisie a obtenu en un mois 3,4 milliards de dinars, ce qui est une première dans l’histoire de la finance en Tunisie.

Ils estiment que les réserves en devises qui ont atteint 16 milliards de dinars sont constituées d’au moins 4 milliards de dinars de crédits, à l’exception des dons, et ne proviennent donc pas des exportations, ce qui signifie que les avoirs ne sont que 12 milliards de dinars, soit seulement 70 jours d’importation après la déduction des crédits.

L’emprunt pour consolider les avoirs en devises est une action normale

Pour Sonia Nakach, membre du Conseil des analyses économiques (instance consultative relevant de la présidence du gouvernement), l’évolution des réserves en devises de la BCT s’est faite progressivement de 77 jours (le 3 juillet) à 80 jours (le 12 juillet), puis 87 jours et 91 jours respectivement les 15 et 17 juillet 2019.

Elle impute cette hausse à des facteurs structurels qui peuvent être démontrés à travers une comparaison entre les avoirs actuels en devises avec ceux de la même période de 2018 qui ne représentaient qu’entre 74 et 77 jours d’importations en juillet 2018.

Ces facteurs structurels consistent également en l’accroissement des entrées du secteur du tourisme cette année et l’amélioration relative de l’exportation des produits miniers et pétroliers, selon Nakach.

Les facteurs conjoncturels sont constitués, quant à eux, de rentrées additionnelles de devises comprenant la cinquième tranche au titre du Mécanisme élargi de crédit (MedC) conclu avec le FMI (près de 730 millions de dinars à la fin de juin 2019), le crédit de la Banque mondiale au profit de la STEG (environ 422 millions de dinars) et l’emprunt obligataire obtenu par la Tunisie sur le marché financier international (près de 2,3 milliard de dinars).

Nakach considère que le dénombrement des devises étrangères est transparent et les chiffres paraissent quotidiennement, ce qui permet d’identifier les facteurs structurels ou conjoncturels qui les impactent.

En outre, l’amélioration des avoirs après les opérations d’emprunt ou d’investissement étranger est un phénomène normal qui a lieu plusieurs fois par an.

La stabilité du prix de change des devises, notamment l’euro, est due à la baisse de l’euro sur le marché mondial et l’orientation des opérateurs vers la vente des devises.

Cependant, a-t-elle fait remarquer, cette stabilité ne peut durer qu’après une reprise effective des bénéfices du tourisme et de l’exportation du phosphate, car sans cela le reste des indicateurs s’orientera, à nouveau, vers une baisse du dinar.

La Tunisie vit à l’heure des contradictions

Les analystes économiques estiment que la Tunisie vit à l’heure des contradictions, car au moment où le déficit de la balance commerciale a atteint 10 milliards de dinars et celui de la balance des paiements se situe à 11% du PIB, les avoirs en devises sont stables.

Les autorités monétaires du pays indiquent que les avoirs sont stables alors qu’au même moment un important déficit est enregistré aux niveaux des balances commerciale et des paiements ainsi qu’au plan des flux totaux financiers vers le pays.

La deuxième contradiction est relevée dans le fait que la Tunisie connaît un déficit financier, une stabilité du prix de change du dinar et un fort taux d’intérêt directeur, alors que les données officielles révèlent une hausse du taux d’intérêt sur le marché monétaire à 7,83% et une baisse continue des liquidités évaluée quotidiennement à 15 milliards de dinars.

Quant à la troisième contradiction, elle réside en l’abandon déguisé du flottement du dinar vers la fixation de son prix pour montrer sa stabilité, ce qui a causé des pertes aux banques en raison du mécanisme de fixation du prix adopté, ce qui est également en contradiction avec les demandes des bailleurs de fonds.

Par ailleurs, la fixation du prix du dinar a été décidée en réponse aux besoins du marché financier national en devises mais celui dispose aujourd’hui d’importantes sommes en devises qui ne peuvent être utilisées du fait que les importateurs ont des surplus de devises, ce qui constitue un danger conduisant certains à s’orienter vers la spéculation.