Le rapport du FMI annonce une sixième revue pour le mois de septembre. Le parcours réformateur suivi par la Tunisie est progressif mais discipliné. Le dialogue entre le FMI et la Tunisie se poursuit sur le mode “Business as usual“.

Mercredi 17 courant, Marouane El Abassi, le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (BCT) et Bjorn Rother, chef de la mission du FMI, donnaient une conférence de presse conjointe, à Tunis. C’était l’annonce publique du rapport de la cinquième revue, conclue au mois de mai dernier et avalisée par le Conseil d’Administration du Fonds le 24 juin. Elle fut naturellement suivie d’un déblocage dans le cadre du mécanisme de crédit convenu entre les deux parties.

Il faut garder à l’esprit qu’une revue crée l’événement. Tous les bailleurs de fonds marchent dans les pas du FMI. Quand ce dernier libère une tranche, tous les autres en font autant. Notamment l’UE et la BAD. Et depuis peu, les marchés, aussi.

Le satisfecit du FMI a donné du crédit au road show fait par la Tunisie auprès des investisseurs pour le récent emprunt obligataire de 700 millions d’euros émis sur le marché des Eurobonds.

Une VIème revue et, en toute vraisemblance, un nouveau déblocage

Une mission du FMI, conduite par Bjorn Rother, a séjourné en Tunisie du 11 au 17 Juillet 2019 afin de s’assurer du suivi du rapport. Ainsi le veut la coutume, instituée par le Fonds.

Responsables et experts des deux bords ont besoin, régulièrement, d’accorder leurs violons. Le message est que la Tunisie est sur une trajectoire de discipline financière rigoureuse. Mais le tempo des réformes demeure lent. La Tunisie a, depuis toujours, plaidé la progressivité. De la sorte, elle pense atténuer les rigueurs de la conditionnalité du Fonds. Mais la volonté politique est résolue et c’est ce qui rassure les responsables du Fonds.

Le pays est en train de reconfigurer son cadre macroéconomique et de rationaliser la gestion de ses finances publiques.

L’approche tunisienne est persuasive. Le pays n’est pas dans une approche de suivisme aveugle des instructions du FMI mais bien dans une dynamique de refondation consciente de sa gestion macroéconomique. Le salut du pays est à ce prix.

C’est, par conséquent, plus un acte d’autodiscipline que de servilité aux commandements du Fonds. Les deux parties y trouvent leurs comptes. Et d’ailleurs cela s’avère payant pour la Tunisie d’être l’auteur de sa propre renaissance macroéconomique. En prenant les devants, elle contraint, en toute délicatesse, ses partenaires à ne pas la lâcher. C’est presque une situation où les rôles seraient inversés.

Longtemps la Tunisie a été présentée comme l’“élève modèle“ pour ses percées audacieuses en matière de libération économique. A l’heure actuelle, elle donne le sentiment qu’elle est le maître d’œuvre de son élan réformateur. C’est valorisant, tout en manquant de moyens, de prouver que l’on ne manque pas de ressources.

De la sorte, on peut réformer en toute souveraineté et en totale indépendance. On s’assure de la coopération du Fonds, et dans le même temps, on se met en situation de ne pas subir sa tutelle. Et on peut en mesurer les effets car on sait qu’en toute vraisemblance on s’achemine vers une sixième revue.

Par conséquent, un nouveau déblocage. Le financement du budget de l’Etat s’en trouve garanti et cela donne une visibilité aux investisseurs et moins d’intransigeance aux partenaires sociaux. Ces derniers seraient plus enclins à différer les augmentations salariales dans la fonction publique, pour éviter que le pays s’étouffe par la dette, que parce qu’il s’agit d’une abstinence dictée par le Fonds.

Tout sauf l’inflation

Sur des registres économiques et financiers variés, la conjoncture enregistre une certaine détente. La BCT a obstinément plaidé pour la hausse des taux, relevant son taux directeur, en trois temps, d’un montant total de 2,75% depuis mars 2018, le portant à 7,85%, son niveau actuel. Quand bien même il ne s’agit pas d’une inflation strictement monétaire, cette politique a aidé à faire reculer l’inflation sur la même date de 7,7% à 6,8%. Au bout du compte, on a connu un basculement bienfaisant avec un taux d’intérêt réel positif.

En effet, 7,85% – 6,8% fait apparaître un solde de 1,05% de différence positive. Cela n’a pas manqué de muscler le dinar tunisien. L’augmentation des taux a favorisé les placements en dinars de préférence aux placements en devises.

Au bout du compte, cette option de rupture en politique monétaire et économique a fini par écarter le risque d’assèchement des liquidités et de contraction du financement de l’économie.

On a conjuré cette menace car on s’est rangé à la rationalité économique. Et tant mieux si cette attitude abonde dans le sens des commandements du FMI. Au moins nous serons les initiateurs de notre propre relance, toujours en concertation avec les experts du Fonds mais en prenant nous-mêmes les devants.

Toutefois, quelques points de discorde persisteront. Le FMI plaide pour une dépréciation du dinar à l’effet d’ajuster les échanges extérieurs. Cette option se trouve démentie par les faits dans le présent cas d’espèce. La dépréciation du dinar n’a pas dopé nos exportations. Pas plus qu’elle n’a ralenti nos importations. Tonifier notre monnaie est une chose bénéfique, soutient la BCT, et cela ne remonte pas les experts du Fonds contre le pays.

La Tunisie, élève méthodique     

Le pays sait se serrer la ceinture. Et c’est à son avantage. Le resserrement du crédit a eu des effets bénéfiques. En imposant un ratio Crédits sur dépôts à 120%, la BCT a ralenti la croissance des encours de crédit, réduisant la pression sur la recherche par les banques des dépôts à tout va.

Dans le même temps, il a induit un meilleur encadrement du crédit. En effet, la BCT, pour refinancer les banques sur le marché monétaire, demande une couverture par des effets de crédits à l’économie à hauteur de 60%. Et des BTA à hauteur de 40%. Le secteur productif a été mieux servi, de ce fait. Cependant, cela n’a pas relancé l’investissement. Il faut croire que ce dernier se met en position d’attentisme pour cause de rendez-vous électoraux décisifs.

Par ailleurs, du fait d’un meilleur taux de recouvrement de ses créances, qui sont passées de 9 à 17%, le trésor a observé une certaine abstinence et n’a pas émis de dette pour ce premier trimestre. C’est un élément ce qui a permis de contenir le déficit budgétaire. Ce dernier a baissé à 4,6% en 2018 contre 6% en 2017, et de se situer à 3,9% pour la loi de finances 2019.

Méthodiquement, le pays est en train d’endiguer ses dérapages. Il parvient à apprivoiser son déficit budgétaire mais pas encore son déficit commercial. Et il ne réussit toujours pas à rallumer les feux de la croissance. Et comme le soulignent les experts du Fonds, le secteur industriel ne retrouve pas encore suffisamment de punch.

Mais à l’examen, le Conseil d’Analyses économiques fait un travail considérable en la matière. Le CAE a suggéré un programme de 100 mesures pour faire repartir la croissance. Et il œuvre avec les fédérations sectorielles à finaliser des plans de compétitivité avec les filières industrielles.

A ce jour, deux secteurs industriels, à savoir le textile-habillement et celui des composants autos, ont conclu de tels programmes. Les professionnels les ont accueillis avec enthousiasme et, a priori, cela ouvre de nouvelles perspectives de reprise de la croissance que de relance de l’investissement.

Nous pensons, pour notre part, que ces plans de compétitivité préfigurent le nouveau modèle économique. Méthodiquement, le pays s’attelle à desserrer les contraintes qui entravent la reprise. Cela finira par payer.

Il est vrai, comme le soulignent les experts du FMI, que l’Europe, notre principal client, est en recul de croissance. C’est certes un élément contrariant mais cela n’a pas empêché le secteur textile de grappiller, en dépit de perspectives maussades, de précieuses parts de marché en UE. Le pire n’est jamais sûr et c’est d’autant plus vrai quand on possède une certaine vaillance réformatrice.

La BCT se lance dans un vaste programme de decashing à l’effet de pousser le secteur informel à intégrer le circuit organisé. Cela ne se fera pas en un jour mais l’essentiel est de créer la passerelle. A l’évidence cela finira par payer. Et tous ces éléments réunis ensemble finiront par générer une synergie laquelle tôt ou tard fera revenir la croissance.

Là-dessus, rappellent les responsables tunisiens, on pourra aborder les réformes à fort impact social. Dans un contexte de croissance économique, il est plus aisé de traiter la question des transferts sociaux en tous genres et notamment la compensation des produits de l’énergie ainsi que des produits de base. Et en cela les experts du FMI semblent prêts à donner du temps au temps. Ils soutiennent que même après le départ de Christine Lagarde, le Fonds continuera à faire le nécessaire, avec le même lot de sympathie. Cela augure de meilleurs rapports avec le Fonds.

Ali Abdessalam