Persévérance et ténacité, ce sont les maîtres mots de Slim Feriani, ministre de l’Industrie et des PME. Ce titulaire d’un MBA et d’un PhD en investissement et finance internationale à l’université George Washington n’en démords pas : travaillons et arrêtons de voir tout en noir, il faut juste être patients pour dépasser ce cap difficile.

Pour M. Feriani, dans ce climat que d’aucuns estiment morose il ne manque pas les signaux positifs pour une reprise progressive de la dynamique industrielle du pays, qu’il s’agisse des industries manufacturières, des IDE ou du secteur énergétique. 

Entretien (partie I) 

WMC : Monsieur le ministre, une question posée récemment par un porteur de projet m’a interpellée. Pour la création d’une entreprise, l’APII exige aujourd’hui que l’on dépose un formulaire à l’INNORPI qui doit certifier que le nom proposé pour la nouvelle entreprise n’a pas été accordée à une autre. Mais entre-temps, le jeune investisseur doit payer un mandat à la poste. Sachant que l’INNORPI et l’APII sont deux organismes sous tutelle de votre ministère. Comment se fait-il à l’ère de la digitalisation qu’il n y a pas partage d’informations dans une base de données commune pour éviter toutes ces allées et venues aux opérateurs ?

Slim Feriani: Pour la création d’entreprise, il est entendu que l’APII, en tant qu’interlocuteur unique, nous a fait gagner beaucoup de temps et de points, et je cite à ce propos notre classement au Doing Business. Il y a des années, l’interface directe comprenait un ensemble de services dont le fiscal ou municipal et cela a permis d’améliorer les prestations en direction des entrepreneurs, les startuppeurs, mais aujourd’hui, nous passons du guichet unique -qui offrait divers services- à de nouveaux procédés.

nous avons mis en place un front office où une équipe reçoit les clients et recueille les dossiers, et un back office qui s’occupe du processing pour l’aboutissement final des projets

Ainsi, pour faciliter les choses aux nouvelles entreprises, encourager les nouveaux investissements et améliorer la gouvernance, nous avons mis en place un front office où une équipe reçoit les clients et recueille les dossiers, et un back office qui s’occupe du processing pour l’aboutissement final des projets ; et la démarche est rapide. Le montage d’une société doit se faire en l’espace de 48h.

Nous avons créé le Registre national de l’entreprise dans lequel nous avons regroupé les services du registre du commerce (tribunaux) et de l’INNORPI. La loi a été votée l’année dernière à l’ARP et les choses vont changer vers le mieux. C’est juste une phase transitoire.

Mais nous comprenons la frustration de la part de certains que nous prions de faire preuve de patience le temps que le nouveau process se mette en place.

Mais nous comprenons la frustration de la part de certains que nous prions de faire preuve de patience le temps que le nouveau process se mette en place

Il y a tout un écosystème à l’échelle centrale et régionale et différentes représentations de plusieurs structures. Le ministère veille à agir pour le mieux dans l’intérêt du citoyen et des acteurs économiques et des entreprises d’une manière générale. Nous avons sous notre tutelle l’APII, l’AFI, l’INNORPI, les centres techniques et les centres d’affaires.

Dans chaque gouvernorat, il existe un centre d’affaires, des techno-parcs, des pôles technologiques et industriels, et nous sommes en cours de développer un nouveau mode d’emploi, celui des conventions sectorielles pour faciliter les démarches et les procédures aux opérateurs et également leur permettre de profiter des infrastructures et de la logistique mises en place par le ministère pour faciliter leur implantation. Et à chaque conseil des ministres, les mots d’ordre sont «simplifier, accélérer la vitesse d’exécution, raccourcir les délais, digitaliser et numériser». 

Digitalisation rime avec célérité, transmission rapide de l’information et réactivité et réalisations concrètes, est-ce le cas s’agissant de votre ministère ?

La digitalisation est en cours à l’échelle nationale, et il y a plusieurs programmes en la matière. Des choses ont été réalisées, d’autres non, mais le premier concerné reste le ministère des TIC.

Il n’empêche, nous sommes conscients qu’il faut être au niveau des évolutions numériques qui existent dans le monde. Nous avons quelques retards et nous comptons bien les combler.

Nos chantiers n’avancent pas aussi rapidement que nous le souhaitons parce qu’entre autres la productivité dans le secteur public a baissé énormément

Nos chantiers n’avancent pas aussi rapidement que nous le souhaitons parce qu’entre autres la productivité dans le secteur public a baissé énormément, et quand on parle de croissance économique, il faut mettre les choses dans leur contexte. Il faut d’abord avoir une stabilité sécuritaire. Et à ce niveau, il y a des progrès certains, comparé à 2011 et 2012, et c’est grâce à cela que la Tunisie a accueilli 8 millions de touristes de l’année dernière.

Qu’en est-il de la situation des industries manufacturières ?

Quand on a des investisseurs étrangers qui viennent quotidiennement, qu’ils soient déjà implantés en Tunisie, ou qui viennent d’ailleurs, quand je rencontre quotidiennement des opérateurs internationaux intéressés par l’investissement en Tunisie, c’est la preuve que notre site est toujours attractif et qu’on a confiance en nous. Ce sont des investissements de long terme, comme la nouvelle unité de Leoni implantée à Monastir avec 5.000 postes d’emploi, pour 53 millions d’euros. Là, nous parlons d’un investissement d’environ 200 millions de dinars.

quand je rencontre quotidiennement des opérateurs internationaux intéressés par l’investissement en Tunisie, c’est la preuve que notre site est toujours attractif

Tout ça pour dire que la stabilité sécuritaire est nécessaire en plus de la stabilité sociale et politique. Parce que le social est important. S’il y a des grèves anarchiques, ou des mouvements sociaux incontrôlables, ce n’est pas rassurant pour les investisseurs et cela ne permet pas d’avoir de la visibilité. Sécurité, stabilité politique et sociale, tout est lié.

Si nous n’avons pas ces ingrédients, nous ne pouvons pas avoir une croissance économique solide, durable et inclusive. Et d’ailleurs, j’ai également rencontré le groupe Benetton et je l’ai rassuré par rapport à la stabilité sociale et au soutien de l’Etat tunisien. 

Etes-vous optimiste quant à un rebond du secteur industriel dans notre pays ?

Evidemment. En Tunisie, beaucoup de choses ont bougé, beaucoup de choses ont changé et d’autres ont évolué. Mais il y a aussi la productivité qui a reculé et qui est nécessaire à la croissance économique. Tous les ratios, les fondamentaux et les équilibres macroéconomiques et financiers du pays dépendent de la croissance économique. Le 0,8% que nous avons vu il y a quelques années est insignifiant face au taux de chômage dont nous souffrons.

L’année dernière, c’était 2,5%, c’est mieux que les 1,9% de l’année d’avant…Mais cela reste insuffisant

L’année dernière, c’était 2,5%, c’est mieux que les 1,9% de l’année d’avant. Nous sommes donc sur une pente ascendante et nous parlons de 3% ou plus pour l’année 2019. Mais cela reste insuffisant, nous devons aller vers les 5% ou plus pour 2020. Et c’est ce que nous avons prévu, mais il faut que les conditions soient favorables, parce que dans le cas contraire cela ne sera pas évident.

Ceci étant, la réalité de notre secteur nous permet d’être optimistes, les investissements pour des extensions dans les industries manufacturières sont nombreux, le secteur du textile a repris du poil de la bête et il y a de l’intérêt pour le pétrole, le gaz et les énergies renouvelables.

Pour revenir à la stabilité économique, il y a plusieurs moteurs : consommation, investissement et export, mais il y a aussi le moteur démographique et la productivité. Nous avons malheureusement observé une régression alarmante de la productivité et surtout dans le secteur public et elle a touché l’administration et les entreprises publiques.

L’industrie manufacturière a souffert ces 8 dernières années. Il y a eu des périodes difficiles, et ces derniers mois, nous nous sommes engagés dans une nouvelle façon de faire. Nous avons lancé au début de cette année des partenariats PPP avec des objectifs tangibles, qualitatifs et quantitatifs.

Nous avons lancé au début de cette année des partenariats PPP avec des objectifs tangibles, qualitatifs et quantitatifs.

Nous avons une feuille de route, nous ne naviguons pas à vue. Un exemple : le secteur textile, qui a fait un saut en avant et avec lequel nous avons signé un pacte sectoriel.

Nous sommes en train de travailler sur des pactes sectoriels avec tous les acteurs économiques : le secteur des industries pharmaceutiques, les composants auto, l’agro-alimentaire parce que nous croyons fermement qu’il faut faire les choses différemment et travailler sur l’existant.

Nous sommes un pays qui a bâti et qui a investi dans l’éducation, le capital humain, la santé mais, qui n’avance pas recule, et c’est ce qui explique que d’autres pays similaires au nôtre aient avancé à des vitesses supérieures. C’est la raison pour laquelle nous devons accélérer les rythmes à tous les niveaux, d’où les startups act.

c’est pour cela que nous avons a mis en place un fonds d’appui et de relance de 400 MDT en direction des PME/PMI.

Aujourd’hui, il y a une nouvelle génération de startuppers, dont des centaines et des centaines de niveau international et qui sont sollicitées par la Sillicon Valley. Il faut préserver l’existent et le renforcer. Et c’est pour cela que nous avons a mis en place un fonds d’appui et de relance de 400 MDT en direction des PME/PMI. Parce qu’il y en a qui souffrent au niveau des financements bancaires et passent par des difficultés financières conjoncturelles.

Nous avons plus de 200 PME/PMI qui ont déposé leurs dossiers à la direction générale des PME. La direction chapeaute cette opération avec un comité de pilotage national constitué des représentants des ministères et institutions concernés. Une trentaine d’entreprises ont bénéficié de l’accord.

Le pacte sectoriel avec le textile a été concrétisé après plusieurs mois de travail avec les professionnels.

Nous sommes régulièrement en concertation avec les acteurs du secteur privé, les chefs des grands groupes. Le pacte sectoriel avec le textile a été concrétisé après plusieurs mois de travail avec les professionnels.

Nous sommes là pour faire ce qu’il faut. Aujourd’hui, nous faisons face à de nouvelles demandes qui concernent essentiellement la main-d’œuvre spécialisée.

A la fin des années 80, la Tunisie est sortie de la crise grâce, en grande partie, à une productivité record. Comment l’Etat compte reprendre la main en la matière ?

Vous parlez des années 86/87/88 et c’est différent de nos jours. La productivité ce n’est pas une personne sur laquelle nous tapons pour que tout redémarre. C’est du top down, donc il y a un chef de gouvernement qui pousse le gouvernement à la performance et le gouvernement qui pousse l’administration à être plus productive.

Et il y a aussi un management à mener en incluant les nouvelles technologies, la numérisation, mais encore une fois ce sont des chantiers en cours et les résultats ne sont pas visibles au quotidien, mais ils sont là.

Comment pouvons-nous les déceler, s’agissant de votre ministère ?

Il y a nombre de nouveaux dispositifs et de chantiers mis en place pour atteindre ces résultats, dont des mesures sur le plan technologique, de nouvelles procédures où plusieurs autorisations sont éliminées pour faciliter au maximum la tâche des opérateurs et encourager les investissements.

Des lois ont été votées dans ce sens. Malheureusement on ne parle pas des success story, il ne faut pas voir que le négatif. Nous sommes un peuple très exigent parce qu’éduqué, nous exportons les compétences (1,2 million des Tunisiens sont à l’étranger). Mais pour nous repositionner en tant que site le plus attractif de la région, il faut de la persévérance, beaucoup de travail et de l’ambition. Il ne faut pas être pessimiste ou négativiste, il y a des potentiels énormes pour aller de l’avant pour la Tunisie. Nous restons très encouragés par les perspectives des deux, trois, quatre et cinq prochaines années.

Mais pour nous repositionner en tant que site le plus attractif de la région, il faut de la persévérance, beaucoup de travail et de l’ambition

On nous dit que les signaux sont au rouge, mais il y en a qui sont positifs, quand on parle de 2,5% de croissance ou quand on parle de plus de 20% au niveau des exportations, quand on a du positif, on doit le reconnaître et arrêter de dire que tout va mal.

Le secteur des industries manufacturière se porte relativement bien, ça dépend des entreprises, ça dépend du secteur, qu’il s’agisse des composantes autos, de l’aéronautique, du pharmaceutique, ils se portent relativement bien vu le contexte, mais le contexte n’a pas été facile.

Avec phosphate Gafsa, nous avons perdu des marchés, des recettes et un positionnement.

On parle aujourd’hui de l’industrie 4.0, il y a 5-6 ans on n’avait pas ça, l’industrie 4.0, ce sont les nouvelles technologies industrielles et la robotisation. En outre, la PME est un élément essentiel de cette démarche et au cœur des orientations stratégiques du gouvernement, qui a engagé des réformes tous azimuts dont les mesures prises par le gouvernement telles la nouvelle loi sur l’investissement, la loi relative au PPP, la loi sur les start-up Act et la loi sur le registre national des entreprises.

la PME est un élément essentiel de cette démarche et au cœur des orientations stratégiques du gouvernement

Il y a aussi les pactes avec les technopoles, parce qu’une technopole c’est l’infrastructure grâce à laquelle nous pouvons faire beaucoup de choses, et il y en a qui se portent bien comme celle de Monastir ; et nous y avons effectué récemment une visite avec les membres du gouvernement. Elle est spécialisée dans le textile. Et ce qui est intéressant dans les pactes sectoriels, c’est que nous aidons le secteur privé dans la formation de la main-d’œuvre qualifiée spécialisée.

A suivre

Entretien conduit par Amel Belhadj Ali