La récente hausse de 1% du taux directeur de la BCT est destinée à juguler l’inflation. Elle a, cependant, soulevé un tollé de toutes parts. Cette contestation nationale peut provoquer un choc positif afin que le pays envisage de s’attaquer aux racines de l’inflation.

La Banque centrale de Tunisie (BCT), vent debout, persiste et signe, “Tout sauf l’inflation”. Lors de la conférence de presse du mercredi 20 courant, son gouverneur, Marouane El Abassi, tenait bon face à l’animosité générale provoquée par la hausse, peut-être attendue mais tout de même brutale, du taux directeur de la BCT de 1%, d’un seul coup. Ce qui le fait passer de 6,75% à 7,75%, palier assez élevé.

Les Banques centrales de par le monde progressent par quart de point. Dans ses propos, le gouverneur Professeur Marouane El Abassi laissait entendre qu’il faut terrasser l’ogre de l’inflation, car le pays traverse une crise macro-financière grave.

Par beaucoup d’aspects, cette crise menace la solvabilité du pays. Grave, le visage fermé, déterminé, pugnace, le gouverneur a pris ses responsabilités. La cohue environnante ne semble pas le déstabiliser dans sa résolution. Il faut que la BCT demeure une institution crédible vis-à-vis de tous les partenaires internationaux et des marchés ainsi que des opérateurs nationaux.

Le gouverneur Professeur Marouane El Abassi laissait entendre qu’il faut terrasser l’ogre de l’inflation, car le pays traverse une crise macro-financière grave.

La BCT entend montrer qu’elle fait un usage responsable de son indépendance. Cette hausse n’est pas dirigée contre les travailleurs. Le gouverneur récuse cette allégation qui attribue à la BCT de récupérer d’une main ce que le gouvernement a donné de l’autre avec les récentes augmentations salariales.

Il est vrai que les salaires seraient rognés. Il est tout aussi vrai que la trésorerie des entreprises serait éprouvée. Pareil pour les investissements qui pourraient se laisser partiellement inhiber.

Alors, est-ce le moment de relever le taux directeur et avec cette amplitude ?

Loin du “fait du prince“, il s’agit d’une décision collégiale

La rumeur présente la hausse du taux directeur de la BCT comme un “fait du prince“, un caprice de monétariste rigoureux et qui tourne le dos aux soucis des ménages et des entreprises. Et qui risque de casser une relance elle-même timide et qui pique du nez. Au lieu des 2,8% prévus dans le budget, l’INS nous apprend qu’elle n’a été que de 2,5% en 2018.

Le bon sens voudrait que ce contexte soit soulagé par une baisse que par une hausse. En réalité, cette décision d’augmentation a été mûrement réfléchie par le Conseil de la politique monétaire lequel s’est réuni une semaine avant le Conseil d’administration de la BCT. Et, ce dernier, après débat, a validé la hausse. “Les doses homéopathiques sont inopérantes“, soutient le gouverneur. Cela est vrai dans une certaine mesure.

“Ancrer les anticipations” tel est le signal fort à l’adresse des opérateurs     

La décision a surpris par son ampleur. Qu’elle soit nécessaire, cela peut se justifier. Cependant, les partenaires sociaux souhaitaient au moins qu’on y aille crescendo par palier de quart de point. Cette augmentation massue, plaide en chœur le gouverneur et le staff de la BCT, doit produire un effet d’endiguement. Il est nécessaire désormais de travailler à “ancrer les anticipations“ dans les mœurs managériales. C’est ainsi de par le monde. Rien ne se fait plus au p’tit bonheur la chance. Les milieux d’affaires doivent s’y familiariser.

le gouverneur estime que la BCT n’a pas été bien sévère au regard des mesures autrement plus pénalisantes prises dans des pays proches

De surcroît le système de paiement et la stabilité financière des banques doivent être préservés. Le gouverneur a pris ses détracteurs à contre-pied. Quelqu’un a-t-il jamais songé à évaluer le coût de l’inaction, c’est-à-dire d’une clémence monétaire, en clair d’un laxisme monétaire ?

La réponse fuse acérée comme une pointe de flèche meurtrière. Qui voudrait d’une inflation à deux chiffres ? Et en corollaire, sans le dire mais tout en le laissant sous-entendre, l’économie du pays résisterait-elle à un tel désastre ?, se demandait en substance Marouane El Abassi.

Inquiet des plaintes exprimées de-ci, de-là, le gouverneur rappelle que tout bien considéré, la BCT n’a pas été bien sévère au regard des mesures autrement plus pénalisantes prises dans des pays proches, telles la Turquie ou l’Egypte. Certains pays ont été bien plus stricts en matière de hausse des taux d’intérêt et de dépréciation de leur devise nationale.

L’inflation se fait coriace et le dinar est pris en ciseau

La bonne nouvelle de repli de l’inflation au courant du mois de janvier où on l’a vu refluer de 7,5% à 7,1% a vite été éclipsée par la hausse du taux de la BCT. L’inflation fait feu de tout bois, martèle le gouverneur. L’inflation importée résiste et ne plie pas. Le déficit commercial s’aggrave et atteint un plus haut jamais enregistré auparavant. On serait, selon l’INS, à un taux supérieur à 11% du PIB, un bien triste record. Qui n’augure rien de bon, car, devant être couvert par des apports en devises, il saigne nos réserves de change.

La seule arme dont disposait la BCT pour contrer la baisse du dinar était l’intervention sur le marché en rachetant le dinar contre devises. Or il se trouve que nos réserves de change touchent à leur étiage qui est de 90 jours, plancher dicté par les marchés pour garantir une solvabilité a minima.

Il faut savoir que le pays a vu ses rentrées en devises pour le phosphate baisser de 75%. Et la facture énergétique a été multipliée par quatre. Devant ce tarissement des recettes, la BCT se trouve démunie de munitions pour enrayer la baisse du dinar. Ajouter à cela que le pays consomme à tour de bras.

La Chine, la Russie et la Turquie enregistrent un excédent commercial inédit, et qui amplifie, avec notre pays.

Le gouverneur cite des exemples de producteurs qui ont suspendu leur activité industrielle et se sont convertis à l’importation. Le pays voit son déficit se creuser avec des destinations lointaines hors nos zones d’échanges traditionnelles. La Chine, la Russie et la Turquie enregistrent un excédent commercial inédit, et qui amplifie, avec notre pays.

De surcroît l’inflation sous-jacente, c’est-à-dire provenant des produits de base dont l’alimentation, est en train à son tour d’augmenter. Très mauvais signe. Le dinar est pris dans un effet de ciseaux avec des flux disproportionnés de sorties de devises qui augmentent et de recettes qui ont été durement amputées.

Vaille que vaille, il faut faire pièce à l’inflation. Et le gouverneur espère avec l’augmentation du taux être en zone positive, c’est-à-dire avec un taux d’intérêt réel positif. En effet, le taux du marché qui sera plus élevé que le taux directeur de la BCT pourrait redonner goût aux particuliers et autres investisseurs d’épargner. Le moins qu’on puisse dire est que ce résultat, tout en étant plausible, n’est pas garanti, pour autant.

Une solution de moindre mal

Dans sa lutte contre l’inflation, le gouverneur de la BCT se trouve bien seul. On ne voit pas de riposte ferme de l’administration à infléchir le déficit commercial. Et pour ce qui est de la pénalisation de l’investissement, le gouverneur considère que cette hausse est moins pénalisante qu’une inflation qui flambe. L’impact sur les ménages est nuancé. Les crédits logement ont été exemptés. Les crédits à la consommation, qui n’ont rien des dépenses de caprice, tel le crédit auto, vont renchérir. Tout a un coût.

La BCT, en dépit de tous ces dégâts collatéraux, juge que la décision de hausse est la bonne décision. Et, qu’elle a été prise au bon moment. On a entendu le chef du gouvernement dire qu’il envisage d’aider les entreprises à surmonter cette épreuve. Nous pensons en effet que la bonification des taux d’intérêts sur les crédits d’investissement serait une des solutions qui soulageraient les investisseurs.

Mais par-delà toutes ces contingences, cette hausse vient rappeler que l’heure est peut-être venue pour libérer le compte capital. L’informel détient un matelas considérable de devises. Et la loi sur l’amnistie de change tarde à venir. La raison voudrait que l’on s’oriente en ce contexte particulièrement éprouvant vers des solutions fortes.

Si l’administration ne se mobilise pas avec des mesures contraignantes pour réduire l’hémorragie provoquée par le déficit commercial, c’est l’informel qui prendra le pouvoir économique dans le pays.

On a cité l’ouverture du compte capital, et pourquoi ne pas le dire tout haut, aller de go vers une convertibilité totale du dinar ? Il faut se dire que la BCT en matière de lutte contre l’inflation dispose de moyens réduits, à savoir les instruments de marché et particulièrement le taux d’intérêt. Mais reconnaissons que c’est une arme bien modeste et qu’en toute vraisemblance elle abonde dans le sens souhaité par le FMI, mais ce n’est pas l’arme fatale contre l’inflation. Et si l’administration ne se mobilise pas avec des mesures contraignantes pour réduire l’hémorragie provoquée par le déficit commercial, c’est l’informel qui prendra le pouvoir économique dans le pays. Il s’agit bien d’un scénario extrême mais il n’en est pas moins probable.

Ali Abdessalam