Avec dix opérations en près de six ans et demi, le bilan du programme de cession des entreprises confisquées est relativement maigre. Mais les choses sont en train de s’améliorer assez rapidement. La réussite de l’opération de cession de Banque Zitouna et de Zitouna Takaful au groupe qatari, Majda Tunisia, constitue un acquis important.

Toutefois, on est encore loin de l’objectif de 19 sociétés cédées en 2018, comme l’annonçait en janvier 2018 Adel Grar, président directeur général d’Al Karama Holding en poste depuis vingt mois. 

On le savait déjà, alors que l’ancien président Zine El Abidine était encore au pouvoir, et on en a eu d’innombrables preuves après sa chute le 14 janvier 2011 : sous l’ancien régime, il y avait un système de prédation qui a permis aux parents, proches et amis du président déchu et de son épouse Leïla Trabelsi de s’enrichir de manière illicite qui va être confirmé et démontrée.

Ces preuves ont d’abord été apportées par le rapport de la Commission nationale d’investigation sur les affaires de corruption et de malversation, créée en février 2011 et présidée par feu le doyen Abdelfattah Amor. Elles ont ensuite, trois ans plus tard, en 2014, été confirmées par la Banque mondiale dans son fameux rapport, «la Révolution inachevée».

Pour débarrasser l’économie du pays de ce système, 114 personnes de la sphère Ben Ali-Trabelsi ont vu leurs biens –dont près de 400 entreprises, 550 propriétés, 48 bateaux et yachts, 40 portefeuilles d’actions et d’obligations, 367 comptes en banques, dont la valeur avait alors été estimée à 13 milliards de dollars- confisqués en 2011. Un patrimoine qui devait être mis en vente pour essayer de renflouer les caisses de l’Etat.

C’est de ce legs du régime Ben Ali que la Tunisie essaie depuis plus de sept ans de se débarrasser. Si politiquement la page a été rapidement et radicalement tournée, avec la mise en place d’un Etat démocratique, dans le cadre duquel les Tunisiens jouissent des libertés dont ils ont été privés pendant longtemps, l’exercice s’avère plus compliquée sur le plan économique.

Le bilan de six ans de cession de ces entreprises et biens confisqués est-il à la hauteur des attentes ? Un atelier organisé le 13 juillet 2018 par la Commission de la réforme administrative, de la bonne gouvernance, du contrôle de la gestion de l’argent public, au sujet du «dispositif de confiscation, de gestion de récupération : évaluation des résultats et recherche de solutions» a clairement répondu par la négative. Et surtout mis à nu les nombreux dysfonctionnements dont souffre ce dispositif composé de trois structures (Commission de confiscation, Commission de gestion, et Commission de récupération des fonds à l’étranger) : non confiscation de biens confiscables, faiblesse des fonds récupérés à l’étranger, longueur des procédures de cession des biens confisqués, etc.

De ce fait, il n’est guère étonnant que le nombre de participations de l’Etat dans des entreprises confisquées effectivement cédées –pour ne prendre que cet exemple- n’ait pas alors dépassé 9 milliards de dinars.

On en est désormais à 10 milliards de dinars depuis la conclusion, début octobre 2018, de la cession –pour 370 millions de dinars- des participations de l’Etat tunisien dans le capital de la Banque Zitouna (69,15% du capital) et sa filiale Zitouna Takaful (70% du capital) par Al Karama Holding à la société MAJDA TUNISIA, de l’homme d’affaires qatari, Hamad Victor Nadhim Ridha Agha, agissant pour la famille régnante qatarie.

Ces 10 opérations menées à leur terme démontrent que la communauté des affaires tunisienne –et étrangère- est intéressée par la reprise de sociétés confisquées. Les treize participations de l’Etat (dont quatre n’ont pas encore été vendues) –devenu propriétaire après la confiscation- dans des sociétés confisquées ont été cédées par voie d’appels d’offres qui ont suscité de 4 à 13 candidatures. Sauf une opération dans laquelle l’Etat a du procéder de gré à gré, en l’occurrence celle portant sur les 25% du capital de Tunisiana…

Dans ce dossier, l’Etat avait été confronté à deux problèmes. D’abord, aucun opérateur économique sur le marché local n’était en mesure de mettre sur la table les 600 millions de dollars demandés. Ensuite, à l’international on ne s’est pas bousculé pour racheter les 25% à ce prix là.

Du coup, les pouvoirs publics ont décidé de couper la poire en deux en cédant 15% au qatari Qtel déjà détenteur de 75% du capital de Tunisiana et au prix demandé, et en gardant les 10% restants qui «rapportent tous les ans un joli pactole», témoigne un ancien haut responsable de cet opérateur.

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