Parce que le directeur exécutif de Nidaa Tounes se charge principalement de l’exécution des besognes que son père ne peut pas ou ne veut pas assumer, celui-ci n’acceptera probablement pas de «débrancher» son fils que s’il décide de changer lui-même.

Le choix du passage en force par le chef de l’Etat peut s’expliquer : l’autre méthode est très coûteuse pour une personnalité au fort ego –pour ne pas dire plus- puisque exigeant de douloureuses remises en question.

En fait, que reproche-t-on au chef de l’Etat ? Trois choses essentiellement: de s’être allié à Ennahdha après avoir construit son élection sur la promesse d’y faire contrepoids, voire de le combattre, d’avoir contourné la Constitution de 2014 pour imposer une présidentialisation du régime politique qu’il savait inatteignable par les moyens légaux, c’est-à-dire constitutionnel, et de vouloir faire hériter le fauteuil présidentiel à son fils, Hafedh Caïd Essebsi.

Si le premier reproche est un tant soit peu discutable –car c’est moins le principe même de la «concorde» (Al Wifak) entre BCE et Ghannouchi, que la manière dont ce concept a été géré et sa finalité qui sont en cause-, les deux derniers le sont beaucoup moins.

Que l’hôte du Palais de Carthage ait tout fait depuis le début de son mandat pour étendre ses prérogatives présidentielles au-delà de ce qui concède la nouvelle Constitution, au détriment du chef du gouvernement, cela ne fait aucun doute et il y est parvenu très largement.

L’accusation de vouloir transmettre «quelque chose» à son fils n’est également pas imméritée. Bien évidemment, BCE la rejette, niant avoir une telle intention et défendant le droit de son fils à être un acteur politique et avoir de l’ambition. Il s’insurge en particulier contre un concept «inventé» par notre confrère Zied Krichen, directeur de la rédaction du quotidien «Le Maghreb » : la «transmission démocratique» -celle de la fonction présidentielle s’entend.

Là, le président n’a pas tort. Nul ne peut en effet priver son fils de ce droit et il ne peut y avoir de «transmission démocratique» dans la Tunisie d’aujourd’hui. Toutefois, n’en déplaise au fondateur de Nidaa Tounes, il y a bien eu transmission, et non-démocratique de surcroît. C’est en l’occurrence celle du parti présidentiel dont les commandes sont passées des mains du père à celles du fils. De manière absolument illégitime.

Récemment, Béji Caïd Essebsi a martelé pour la énième fois que son fils est légitime là où il est, à la direction de Nidaa Tounes parce que, affirme-t-il, il en est l’un des fondateurs. Ce qui est archi faux : HCE n’a acquis cette qualité qu’au lendemain de l’élection présidentielle quand le père a ouvert les portes du cercle des fondateurs à son fils et l’y a fait entrer avec deux autres personnalités (Mohamed Ennaceur et Fadhel Ben Omrane, respectivement président de l’Assemblée des représentants du peuple et chef du groupe parlementaire du parti présidentiel). Et peu de temps après, M. Caïd Essebsi Jr devenait le directeur exécutif de cette formation.

Or, rien n’habilite HCE à occuper et à exercer cette fonction : il n’est pas «l’officier le plus ancien au grade le plus élevé», n’a ni un parcours militant, ni les qualités de leader de son père. De surcroît, l’attribution des plus hautes fonctions dans les partis politiques dignes de ce nom, c’est-à-dire démocratique, doit se faire par voie d’élection, c’est-à-dire de compétition. Or, c’est probablement parce qu’aussi bien le père que le fils doutent de pouvoir arriver à leurs fins par ce biais que Nidaa Tounes n’a pas tenu de congrès véritablement démocratique plus de huit ans après sa création.

Une question s’impose alors : pourquoi le président de la République a-t-il transmis les rênes du parti à son fils ? Avec le recul, on comprend pourquoi BCE a imposé son fils à la tête du parti présidentiel.

D’abord, pour pouvoir -malgré ses dénégations et l’affirmation qu’il n’y plus aucun rôle depuis son élection- continuer à contrôler totalement cette formation sans laquelle il ne pouvait maîtriser le jeu politique dans le pays.

Ensuite, le chef de l’Etat s’est servi de son fils comme bouclier et … bélier –cet engin qu’on utilisait à l’Antiquité pour enfoncer les portes des fortifications.

En effet, à y regarder de plus près, on s’aperçoit que le directeur exécutif de Nidaa Tounes s’est chargé principalement de l’exécution des besognes que son père ne peut pas ou ne veut pas assumer. Un rôle dans lequel HCE est très certainement irremplaçable puisqu’il est fort probablement le seul parmi les dirigeants du parti à être disposé à le jouer avec le zèle dont il a jusqu’ici fait preuve. Ce qui veut dire que BCE n’acceptera de «débrancher» son fils que s’il décide de changer lui-même.

Moncef Mahroug