Selon les modèles numériques des climatologues, l’année 2019 sera une année pluvieuse en Tunisie, après trois années sèches, dont les impacts ont été fortement ressentis par la population. Le spectre de “révolte de la soif” plane déjà sur plusieurs localités du pays et l’absence de l’eau suscite davantage de protestations sociales.

Bien que l’histoire des pluviométries en Tunisie, pour plus d’un siècle, révèle que la fréquence de trois ans de sécheresse est rare et même risquée, car elle épuise les stocks en eau, la réalité des changements climatiques a changé la donne ces dernières années, et les effets de ce phénomène planétaire ne sont plus prévisibles.

Le “Plan climat pour la Tunisie” table sur une diminution des ressources en eau conventionnelles de la Tunisie de 30% d’ici 2030 et sur une baisse des ressources en eau de surface d’environ 5%. La Tunisie perdra, ainsi, environ 150 millions de mètres cubes (m3) de ses ressources actuelles en raison de l’élévation du niveau de la mer et de l’augmentation de la salinité dans les aquifères côtiers, selon le Plan climat présenté par la Tunisie à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCUNCC).

Le pays devrait, donc, se préparer à des phénomènes extrêmes, non seulement au niveau des politiques de l’Etat, mais aussi à une échelle plus restreinte (communautés locales, individus) pour prévenir les risques des changements climatiques et en atténuer les impacts, en particulier en ce qui concerne la ressource en eau, vitale pour la survie et pour la croissance économique.

La pénurie de l’eau, premier danger des changements climatiques

Les changements climatiques en Tunisie seront perceptibles à travers une augmentation de la température de deux degrés dans l’extrême sud et sud-est du pays, entraînant des précipitations plus faibles et une augmentation du taux d’évaporation et une réduction du volume des eaux des barrages et des ressources en eau mobilisées.

L’Observatoire national de l’eau avait déjà mis en garde contre une “révolte de la soif”, et contre les “protestations dans diverses régions du pays”, dans lesquelles des coupures d’eau ont duré plus qu’un mois.

La situation risque de s’aggraver, parce qu’au moment où les ressources en eau diminuent en Tunisie, à cause de la baisse des précipitations, les besoins en cette ressource rare augmentent, compte tenu du développement du mode de vie de la population et de l’expansion urbaine.

Ceci pourrait mener à un déséquilibre entre l’offre et la demande et à la perturbation de l’approvisionnement et de la distribution de l’eau, ce qui engendrera inévitablement plus de protestations sociales.

L’expertise des ancêtres pour protéger les droits des générations futures

Les ancêtres ont laissé de nombreuses techniques traditionnelles de récupération de l’eau, dont les “feskias”, des bassins construits par les aghlabides et qui constituent les plus importants ouvrages hydrauliques de l’histoire du monde islamique servant à lutter contre la sécheresse et à la pénurie d’eau.

Les bassins des Aghlabides de Kairouan sont les plus célèbres en Tunisie. Il s’agit d’une série de réservoirs constitués d’un petit bassin de décantation, d’un grand bassin pour l’emmagasinage des eaux et de deux citernes de puisage, d’une capacité de plus de 900 m3.

Ces ouvrages et d’autres systèmes adoptés par la Tunisie depuis les années 1970, tels que les “Tabias”, peuvent contribuer à la conservation de l’eau et aussi du sol ainsi qu’à la réalisation d’une autonomie pour les familles et les agglomérations, notamment dans les zones rurales.

Les Tunisiens doivent penser, désormais, à récolter l’eau pluviale en hiver pour lutter contre la soif et la pénurie d’eau en été. Ils ont déjà l’habitude de préparer leur réserve alimentaire appelée “El Oula”, pour la consommation pendant l’hiver.

Car, d’ici 2050, les réserves en eau de la Tunisie vont connaître une réduction de plus de 50% à cause du déficit pluviométrique, de la prolongation des périodes de sécheresse et du changement climatique.

Le stockage de l’eau n’est pas une technique nouvelle pour certaines régions du pays telle que la région de Sfax, où les habitants commencent leurs travaux de construction par le forage des puits et des “majels” avant d’entamer la construction des maisons.

Dans cette même région, la technique “Nasriah” est considérée comme une ancienne pratique de collecte d’eau à travers un ensemble de réservoirs connectés. Cette technique a été initiée par Mohammed Al-Nasser Al-Muhadi, selon le site de l’histoire de Sfax, pour répondre aux besoins en eau des habitants.

Cette technique a été, pour longtemps, la plus importante source d’approvisionnement en eau potable dans la ville de Sfax. Les habitants la vénèrent en allouant un tiers de leurs domaines à la construction de réservoirs liés à la Nasriah, ce qui a porté le nombre des réservoirs à 366.

La récolte des eaux de pluie, une technique fréquente dans plusieurs pays

Selon une étude de l’ITES, intitulée “L’eau à l’horizon 2050”, il tombe sur la Tunisie en année moyenne environ 36 milliards de m3, avec une très forte variabilité entre 11 et 90 milliards de m3. Or, les eaux de surface mobilisées dans les lacs, les barrages et dans les nappes aquifères ne totalisent qu’environ 4,8 milliards de m3/an.

Il reste donc pour clore le bilan 31,2 milliards de m3/an. Il est légitime de se demander si l’on peut récupérer une partie additionnelle de cette pluviométrie non mobilisée. Le réexamen du bilan consiste à chercher à identifier les emplois de ces 31,2 milliards de m3 afin d’en récupérer le maximum soit sous forme directe ou indirecte.

Une part de ces ressources peut être récupérée à travers la technique de récolte des eaux de pluie, déjà utilisée dans des pays comme l’Inde ou le Mexique -où une organisation mexicaine a réussi à installer un système de récupération des eaux pluviales au profits des logements, des écoles et des établissement de santé.

Ce système a permis de garantir des sources d’eau durables à environ 12 millions de Mexicains, selon l’organisation Isla Urbana.

Au niveau international, la FAO définit la collecte ou récolte des eaux de pluie (CEP) comme étant toutes les technologies qui récupèrent l’eau de pluie pour la rendre disponible à la production agricole ou à des fins domestiques.

La CEP vise à minimiser les effets des variations saisonnières de la disponibilité en eau dues aux sécheresses et aux périodes arides et vise à améliorer la fiabilité de la production agricole.

Cela pourrait paraître insignifiant de retourner à des anciennes pratiques de collecte des eaux alors que le monde connaît une véritable révolution technologique. Mais, les observateurs et les agronomes reconnaissent que les techniques de conservation des eaux et des sols ont plusieurs avantages, dont l’atténuation des impacts des inondations, la réduction du coût de l’énergie utilisée pour le pompage et le transport des eaux et la réduction de la demande sur les ressources des barrages et aussi de la nappe souterraine.

Des données de l’Observatoire national de l’eau montrent, déjà, ce jeudi 26 juillet 2018, que les ressources des barrages tunisiens, estimées à ce jour à 869,917 millions de m3, sont en baisse de 91,816 m3 par rapport à la moyenne des 3 dernières années.

A cet effet, il est plus que jamais recommandé de préserver l’eau. Tout citoyen peut jouer son rôle et penser à récolter les eaux de ruissellement pour ses besoins domestiques. L’Etat est appelé, pour sa part, à imposer aux promoteurs immobiliers et à toutes les nouvelles constructions des ouvrages de collecte des eaux.

Car, les eaux de pluie sont des eaux gratuites qui peuvent être utilisées pour l’irrigation des jardins, le nettoyage des surfaces et du linge et, partant, réduire la pression sur les eaux du réseau de la SONEDE.

Les industriels et hôteliers peuvent, eux aussi, penser à des systèmes de collecte des eaux de pluie, à travers des réservoirs et des citernes, pour réduire leur consommation d’eau.

Une pauvreté hydrique qui impose la révision des politiques agricoles

La Tunisie fait aujourd’hui partie du club des 20 pays les plus vulnérables et les plus exposés aux impacts des changements climatiques. Cette réalité doit pousser les décideurs à repenser la politique agricole pour l’adapter à la nouvelle donne climatique.

Car, l’agriculture demeure l’un des premiers secteurs consommateurs d’eau, en particulier les cultures irriguées qui accaparent 80% des ressources en eau mobilisées, soit 2,2 milliards m3 par an, dont 75% provenant de la nappe souterraine. Les cultures irriguées occupent une superficie de 450.000 hectares en Tunisie, soit 8% des superficies cultivées du pays.

Concrètement, ceci veut dire qu’il faut abandonner certaines cultures consommatrices de l’eau telles que les fraises, car pour la production d’un seul kilogramme de ce fruit, il faut consommer 380 litres d’eau. L’Etat gagnerait à promouvoir, à contrario, des cultures adaptées au climat aride et semi-aride qui ne nécessitent pas de grandes quantités d’eau telles que la figue de barbarie, les oliviers et d’autres cultures à sec.