Le président de l’Instance d’accès à l’information, Imed Hazgui, estime que le projet de loi sur la protection des données personnelles constitue un “grave recul” par rapport aux acquis accomplis en Tunisie dans les domaines de la transparence et la reddition des compte sous prétexte de protection des données personnelles, ce qui aura des retombées négatives, selon lui, sur l’adhésion de la Tunisie à l’initiative internationale de l’Open gov et portera atteinte aux fondements de la lutte contre la corruption et la garantie de la bonne gouvernance dans le secteur public.

Lors de son audition jeudi 10 mai devant la Commission parlementaire des droits, des libertés et des relations extérieurs, Hazgui a indiqué que l’Instance n’a pas été consultée sur le projet “malgré la relation étroite du projet avec le droit d’accès à l’information stipulée par l’article 32 de la Constitution et son influence sur les attributions de l’Instance fixées par l’article 38 de son statut qui énonce clairement l’impératif d’émettre son avis sur les projets de loi liés au domaine d’accès à l’information”.

Il a estimé que le projet de loi n’a pas séparé, dans son article 4, les données personnelles -portant sur la vie privée des personnes qu’il importe de protéger- des données portant sur la gestion des affaires publiques qui doit être soumise aux dispositions de la loi sur le droit d’accès à l’information étant donné qu’elle consacre le principe de transparence et de reddition des comptes.

Hazgui a fait remarquer que le projet de loi “offre un prétexté légal aux structures publiques pour exercer la politique de désinformation et constitue une grande régression par rapport à la consécration des principes de transparence et de reddition des comptes sous prétexte de protection des données personnelles”.

Il a fait valoir à cet égard que les articles 6, 10, 34 et 43 interdisent le transfert de données à autrui ce qui a offert une justification aux établissements publics pour s’abstenir de délivrer des documents publics sur les affaires publiques, sous réserve d’autorisation de la personne concernée ou l’Instance de protection des données personnelles.

“Le refus n’a pas été opposé aux demandeurs d’accès à l’information seulement mais a touché aussi l’instance d’accès à l’information elle même, ce qui consacre la politique de désinformation et d’atteinte aux principes constitutionnels telle que la transparence et la reddition des compte”, a-t-il ajouté, appelant à inclure un article stipulant que les dispositions du projet de loi ne s’appliquent pas aux demandes d’accès à l’information.

Le responsable de l’instance a critiqué également le fait que l’article 88 du projet de loi spécifie que l’instance de protection des données personnelles est habilitée à présenter une consultation des entités morales à propos des questions relatives au traitement des données personnelles, ce qui lui permet de remplacer l’instance d’accès à l’information dans la détermination du degré possible d’accès aux documents.

Il a par ailleurs mis en garde contre les appels pour la fusion de l’instance d’accès à l’information avec l’instance de protection des données personnelles, notamment en cette période de transition, eu égard aux vives critiques formulées aux pays l’ayant adoptée, à l’image du Canada et de l’Allemagne.

De son côté, le vice-président de l’Instance, Adnene Lassoued, a indiqué qu’il n’existe pas de liste noire sur la protection des données personnelles. Il a précisé que la législation européenne sur la protection des données personnelles, qui entrera en vigueur le 25 mai 2018 et vis-à-vis duquel la Tunisie doit adapter ses lois, accorde aux pays européens deux délais (2020 et 2026) pour l’adaptation de leurs législations nationales avec la protection des données personnelles.

Il pense que les initiateurs du projet de loi ont profité de l’étape délicate qu’a connue la Tunisie après sa classification dans deux listes noires pour précipiter l’adoption d’une loi “dans sa formation actuelle”, appelant les députés à faire preuve de circonspection, à l’élaboration d’une législation sans lacunes et ne s’opposant pas aux textes de loi, notamment celui d’accès à l’information, le système de lutte contre la corruption et de la bonne gouvernance.

“L’adoption de ce projet de loi va porter un coup dur à la classification de la Tunisie en matière de transparence, de reddition de compte, de bonne gouvernance et d’accès à l’information alors que la loi sur le droit d’accès à l’information a été classé parmi les 10 meilleurs texte de loi par l’Unesco”, a-t-il ajouté.

Tous les députés ont exprimé leur soutien total aux propositions des représentants de l’Instance d’accès à l’information, à l’exception de Lamia Meliah (Nidaa Tounes) qui a évoqué la question de la liste noire relevée par les représentants de l’Union européenne au cours de sa visite au Benelux avec le chef du gouvernement.