Les Tunisiens sont, surtout depuis le 14 janvier 2011, rarement unanimes sur quelque chose. Pourtant, ceux qui étaient réunis, le 5 mars 2018, sous le toit de l’immeuble secondaire de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) -siège de la Chambre des représentants sous Ben Ali et puis du ministère des Droits de l’Homme après lui- l’étaient bel et bien, en discutant d’un des projets de lois les plus importants de l’histoire de la Tunisie : le Startup Act.

Anouar Maârouf, ministre des Technologies de la communication, qui y voit «un projet de loi ressemblant à la loi (d’avril) 1972» –qui a ouvert la porte au développement spectaculaire du secteur industriel au cours des quarante dernières années-, souligne qu’un «député m’a dit que le Startup act est encore meilleur». «Aujourd’hui est un grand jour», clame Boutheina Ben Yaghlane», directrice générale de la Caisse des dépôts et consignations (CDC).

Bien que la voie qu’emprunte le Startup Act soit «pénible et difficile», ce projet de loi «ouvre des perspectives prometteuses à nos jeunes», juge M. Maârouf. «Il leur ouvre devant la porte de l’espoir, au moment où le désespoir règne», renchérit Mohamed Ennaceur. Le président de l’ARP y voit aussi une sorte d’invitation à «réfléchir sur le long terme, puisqu’il fait partie d’un plan sur 5, 10 et 20 ans», «là où nous sommes concentrés sur le court terme».

Pour M. Ennaceur, «les élections municipales et régionales, puis législatives puis présidentielles sont certes importantes, mais elles ne doivent pas nous faire oublier le long terme».

Les politiques sont également unanimes sur les destinataires du Startup Act : outre les startupers déjà opérationnels ou porteurs de projets, les jeunes chômeurs –«un trésor non exploité», selon le mot du président de l’ARP»- qui «a aujourd’hui l’occasion de s’intégrer».

Le ministre des Technologies de la communication en est absolument convaincu qui souligne que ce projet de loi «s’adresse à la méritocratie et non aux gens qui ont de l’argent». Et que s’il est susceptible de donner de l’espoir, c’est parce que le fait de créer une startup «ne nécessite aucune autorisation ni beaucoup d’argent. Il faut seulement avoir une idée», observe M. Maârouf.

Projet «révolutionnaire liant la révolution tunisienne à la 4ème révolution industrielle», le Startup Act vise, selon lui, à «changer la mentalité dominante». D’abord, le ministre espère, grâce à ce texte, amener les jeunes tunisiens à cesser de courir derrière les emplois à vie qu’illustre, selon lui, l’engouement pour les concours de recrutement pour la fonction publique et les organismes assimilés. «La Poste a ouvert un concours pour 220 recrutements, nous avons reçu 220.000 candidatures», se désole Anouar Maârouf.

Mais pour le ministre, le Startup Act est destiné à provoquer une autre révolution : «diffuser la mentalité de la célébration de l’échec», car l’échec «ne doit pas être une entrave à l’acte d’entreprendre».

«C’est une loi exceptionnelle susceptible de freiner la fuite des cerveaux», résume le président de l’ARP. Elle est destinée, selon Ameur Laarayedh, président de la Commission de l’industrie, de l’énergie, des ressources naturelles, de l’infrastructure et de l’environnement à permettre à la Tunisie de «tirer profit de l’intelligence tunisienne».

A noter au passage qu’Ameur Laarayedh a récemment dirigé une délégation parlementaire qui s’est déplacée en France pour discuter avec des patrons tunisiens de startups installés dans ce pays, dont quelques-uns ont fait le déplacement à Tunis pour prendre part au séminaire organisé le 5 mars à l’ARP.

Aujourd’hui, «nous sommes à la croisée des chemins», observe Anouar Maârouf. «Soit nous continuons à former des compétences pour les autres, soit nous leur créons des conditions leur permettant de travailler en Tunisie pour que la valeur ajoutée reste en Tunisie».

Mais tout en reconnaissant l’importance du Startup Act, Amel Saïdane rappelle –et relativise un tant soit peu cet acquis- qu’il s’agit «d’une loi de rattrapage» puisque d’autres pays africains –comme le Rwanda et le Nigeria- ont précédé la Tunisie sur cette voie-là en créant un cadre juridique «qui est en train de les positionner» dans le monde des startups et de l’économie numérique.