Cette affaire de la “Laverie russe” montre la faiblesse de l’application des lois, du contrôle et des mesures de traçabilité des flux d’argent provenant de l’extérieur vers la Tunisie. Elle alerte sur la défaillance de l’arsenal juridique mis en place en Tunisie pour lutter contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Bien que cet arsenal soit renforcé après la révolution et la chute de la dictature, la vigilance demeure de rigueur.

L’exemple de la société “Moninvest AD”

“Moninvest AD” a reçu un transfert de 166.615,50 euros (environ 490.015 dinars) à son compte en Tunisie, en novembre 2013, au titre d’une transaction relative à des “équipements industriels”. L’argent provient d’une société chypriote, également impliquée dans le blanchiment d’argent, “Crystalord Limited”. Il a été transféré via la banque “Trasta KomercBanka”, dont le siège est en Lettonie.

Cette banque a joué un rôle crucial dans la vaste opération de blanchiment d’argent et dans le mouvement des fonds à partir de la Russie vers l’Europe et d’autres pays du monde.

Elle a été contrainte de fermer en vertu d’une décision de la Banque centrale européenne (BCE). Sa licence lui a été retirée en 2016, après la publication de l’enquête de l’OCCRP qui a dévoilé son rôle (de la banque) dans des opérations compliquées d’escroquerie, permettant le blanchiment de sommes colossales d’argent.

L’entreprise serbe “Moninvest AD” est active principalement en Russie. Elle opère dans la gestion de projets de construction et effectue des transferts d’argent “suspect” en devises (dollars et euros) vers ses comptes ouverts dans des banques en Lettonie, en Moldavie et en Tunisie, d’après des documents.

Elle a vraisemblablement utilisé son compte ouvert en Tunisie, comme étant un “compte transit” pour camoufler ses opérations de blanchiment d’argent, brouiller la piste de la source originale de l’argent et conférer une sorte de “légitimité” à ses transferts vers l’Europe.

En effet, cette compagnie a profité du climat “révolutionnaire” et de l’existence en Tunisie, à cette époque, d’une loi interdisant la levée du secret bancaire. Les dispositions autorisant la levée de ce secret n’ont été introduites qu’une première fois en janvier 2015, à l’occasion de l’adoption de la loi de finances complémentaire 2014, mais ont soumis cette mesure à un recours à la justice. Ce n’est qu’en décembre 2016, et après avoir fait l’objet de tergiversations et de controverses, que la voie judiciaire a été enlevée dans le cadre de la loi de finances 2017.

Autre exemple, des factures non conformes

Outre les banques de la place, deux entreprises tunisiennes spécialisées dans l’export de fruits et agrumes ont été évoquées dans les documents sur le “Russian Laundromat”, rapporte dans son enquête l’agence TAP.

D’après ces documents, une société dénommée “Seabon Limited” impliquée dans le blanchiment d’argent a transféré, à partir de la Moldavie, 95.240 dollars (environ 237 960 dinars), au compte d’une société tunisienne opérant dans l’exportation des agrumes et dattes.

“Seabon Limited” est enregistrée dans les Iles Vierges Britanniques, classées paradis fiscal dans le monde et reconnu en tant que tel par la loi tunisienne numéro 3833 datée du 3 octobre 2014. Elle a été dissoute en février 2016, selon le portail des sociétés britanniques, soit directement après l’exposition de l’affaire de la “Laverie Russe” par l’OCCRP.

Le transfert qu’elle avait fait au profit de la société tunisienne, a été effectué au titre d’une transaction de “matériaux de construction”, ce qui ne représente aucun lien avec le domaine d’activité de la société, suscitant ainsi des soupçons.