Le chef du gouvernement, Youssef Chahed, le fait de s’accaparer le dossier de la lutte contre la corruption, semble commencer à déranger plus d’une partie, surtout que résultats enregistrés jusque-là sont maigres dus sans doute à un manque manifeste de volonté politique mais aussi d’absence de coordination avec les institutions en charge du dossier.

Des voix de plus en plus nombreuses se font entendre pour dénoncer le “caractère sélectif et revanchard” de la politique gouvernementale en la matière et pour réclamer trois solutions pour y remédier : l’institutionnalisation du dossier, son encadrement par les institutions de contrôle en place et l’unification des textes le régissant.

Au plan politique, deux cas récents méritent d’être cités. Le premier cas porte sur des informations non confirmées prêtant au Conseil supérieur de la sécurité nationale la décision d’avoir retiré, il y a deux mois, ce dossier des mains du chef du gouvernement.

Le second concerne le président du parti Afek Tounès, Yassine Brahim, qui a fait de cette monopolisation du dossier un alibi majeur pour sortir son parti du Gouvernement d’union nationale (GUN) en dépit de la décision des ministres et secrétaires d’Etat représentant le parti de rester dans ladite coalition.

L’INLUCC réclame plus d’efficience et propose

Au niveau des institutions, le magistrat Mohamed Ayadi, membre de l’Instance nationale de lutte contre la corruption (INLUCC), a déclaré, lundi 18 décembre 2017, que “la multiplicité des structures en charge du dossier de lutte contre la corruption et l’absence de coordination entre elles sont de nature à décrédibiliser leur action et à disperser leurs efforts”.

Pressenti pour succéder à Chawki Tabib -actuel président de l’Instance une fois cette dernière constitutionnalisée-, Ayadi, cité par l’Agence TAP à l’issue d’une réunion qui a regroupé les premiers responsables de l’INLUCC et les députés membres de la Commission parlementaire chargée de la réforme administrative, de la bonne gouvernance et du contrôle de la gestion des deniers publics, a dénoncé l’absence de volonté politique en matière de lutte contre la corruption.

Le magistrat a appuyé ses dires par deux exemples : la marginalisation -à dessein- de la Commission d’exclusion des opérateurs économiques de la participation aux marchés publics et l’inefficience des structures régionales. Il estime que ces structures, handicapées par un encadrement conséquent et par la modicité de la logistique mise à leur disposition, n’ont pas pu accomplir leur travail dans de bonnes conditions.

Nécessité d’unifier les textes régissant les marchés publics

Pour sa part, Chawki Tabib a tenu à préciser que la corruption dans les marchés publics est toujours florissante et qu’elle est favorisée par la pléthore des textes régissant ces marchés. Il suggère de regrouper dans un seul texte les décrets, lois, statuts et arrêtés régissant ce domaine.

Interpellé il y a plus de six mois sur la monopolisation de la lutte contre la corruption par la présidence du gouvernement, Kamel Ayadi, le président du Haut comité du contrôle administratif et financier (HCCAF) qui, rappelons-le, a été le premier à mettre en garde contre “la banalisation et la démocratisation de la corruption dans le pays”, a indiqué que “l’idéal serait de l’institutionnaliser. Cette lutte contre la corruption gagnerait, a-t-il dit, à s’appuyer sur des institutions (INLUCC, HCCAF, Cour des comptes, Cour de discipline financière, audits internes et externes, instances de prévention de la corruption…), à légiférer en amont et à faire en sorte que la corruption soit une exception et non plus la règle”.

Pressions extérieures sur la Tunisie

Les bailleurs de fonds sont du même avis. Au mois de juin dernier, dans une communication destinée à convaincre l’opinion publique tunisienne du bien-fondé de son partenariat avec la Tunisie, le Fonds monétaire international (FMI) dit “avoir engagé les autorités tunisiennes à rendre opérationnelle le plus rapidement possible la Haute autorité de lutte contre la corruption”.

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Par ailleurs, l’Union européenne, en classant, le 5 décembre 2017, la Tunisie “paradis fiscal” et en la menaçant de la blacklister prochainement pour d’autres dysfonctionnement (disparité fiscale, laxisme face à la circulation illicite de fonds, niches fiscales ”orientées”, généreuses subventions dont bénéficient abusivement les IDE…), s’associe en fait à son tour à cette campagne légitime de dénonciation de l’absence de volonté politique pour lutter réellement contre la corruption qui a tendance à se banaliser et à évoluer vers des formes plus graves telles que le crime organisé.

Quid de Nidaa Tounes et d’Ennahdha ?

Signe révélateur de cette absence de volonté de lutte contre la corruption, la décision de deux groupes parlementaires à l’Assemblée, en l’occurrence Nidaa Tounes et Ennahdha, de refuser d’adopter, dans le cadre de loi de finances 2018, deux articles dissuasifs de la corruption.

Le premier concerne l’institution d’un quitus fiscal qui devrait être présenté lors de l’achat d’un véhicule, d’un immeuble ou lors de la demande d’un permis de construire.

Le second porte sur la limitation de la circulation de l’argent liquide (cash). Les députés de ces deux partis auraient refusé de fixer un plafond aux transactions en liquide.

Conclusion : la plaie de la corruption –du moins une partie- réside dans le tandem Nidaa Tounès-Ennahdha.